Meet... Kate 3/3

 





Sharon, en bon cœur d'artichaut, s'est rapidement éprise de Daniel. Protégée depuis toujours, elle menait alors une existence légère à l'écart de la tyrannie de notre sœur. 
Mais cela était sans compter le décès de nos parents et la désignation de Jane comme héritière de la lutte. Sans aucun garde-fou, la nouvelle maîtresse de maison n'avait plus qu'à claquer des doigts pour voir ses désirs exaucés. 



C'est à ce moment-là que Sharon a pris la mesure de qui était vraiment Jane. Fine mouche, elle n'a pas cherché à l'attaquer de front.


Elle l'a observée, des mois durant, jusqu'à pouvoir placer ses pions de manière à ce que Jane ait tout intérêt à l'avoir dans son camp. En contrepartie, Sharon a obtenu la sécurité de Dan en même temps que son exclusivité. 
C'était sans compter l'esprit retors de notre sœur. Si elle ne s'est plus approchée de Dan, c'est moi qu'elle a envoyée. Quand tout le monde était occupé à la surface, elle organisait des rendez-vous secrets au sous-sol pour que je le détourne des bras de notre triplée. 


L'objectif de la manœuvre était d'embrouiller l'esprit de Dan pour qu'avec Sharon ils ne forment pas un duo que Jane considérait comme trop dangereux.
Cette-dernière n'en a jamais rien su, mais j'ai refusé de jouer à son jeu. 


Profitant du secret, j'ai transformé ma relation avec Dan. Avec lui, j'ai décidé de faire renaître Kate. Pour maintenir l'illusion, je continuais mon numéro de ventriloque en pleine lumière et dans l'ombre je me découvrais chaque jour un peu plus.


Je revivais. 

Littéralement. 


Et je ne boudais pas mon plaisir, ma fierté de voir que je pouvais être appréciée pour moi-même. C'était si libérateur ! Tout ce qui sortait de ma bouche, c'était Kate qui l'avait pensé. Cela peut paraître anodin, presque absurde, pourtant j'avais l'impression de briller de mille feux. Cela avait d'autant plus de saveur que l'on ne se voyait que quelques heures hebdomadaires, parfois des semaines pouvaient nous séparer ; des semaines durant lesquelles j'avais l'impression de vivre en apnée. Autant dire que les sensations qui s'éveillaient en moi lors de nos retrouvailles étaient plutôt intenses.



C'était la première fois de ma vie, à plus de vingt ans, que j'avais une relation sincère avec quelqu'un. Kate avait enfin trouvé une oreille à qui parler.


J'étais si fière d'avoir réussi à communiquer avec un Dan qui se fermait de plus en plus au monde, si touchée de voir qu'il semblait lui aussi reprendre son souffle à mes côtés. 
Jusqu'au jour où je me suis retrouvée exactement là où je ne voulais pas arriver.



Heureusement, j'ai eu un sursaut de conscience et j'ai tout arrêté. Je ne voulais pas faire ça à Sharon, et je le lui ai dit. Il m'a regardé avec une drôle d'intensité, puis il a sourit.


Il m'a présenté ses excuses, m'a dit que j'avais raison, et nous avons regagné nos places respectives au sein de notre amitié.
Je tenais tellement à être quelqu'un de respectable... Bien sûr que j'étais tombée amoureuse de lui. Mais c'était impensable pour moi de trahir Sharon, qui certes ne m'était jamais venue en aide, mais qui ne m'avait jamais manqué de respect non plus. Et elle avait été la seule pendant un sacré moment. Par ailleurs, j'avais été tellement loin dans le déni de moi-même que pour la seule occasion qui m'était donnée d'être celle que je voulais être, j'avais envie d'être à la hauteur. Et enfin, je n'avais pas besoin de plus, de toute façon. Ma vie intime, je l'avais toujours vécue à l'intérieur, comme à des années astrales de la réalité. Derrière mes paupières closes, un faux Djalil amoureux de moi avait laissé la place à un Daniel dont je n'avais pas à inventer les regards. Dans la pénombre, je jouissais déjà dans les bras de Dan.


Ce que, malgré mes précautions, malgré notre relation platonique, les radars de Sharon ont capté.


Elle a tenté de m'extirper des aveux et j'étais bien contente de pouvoir la regarder droit dans les yeux. Mais cela ne lui a pas suffit ; verte de jalousie qu'elle était, désarçonnée de voir que le contrôle lui échappait. Depuis quelques temps, son comportement était devenu extrêmement problématique, sa dernière scène l'ayant conduite à agresser une cliente du bar qui avait battu des cils trop près de son petit-ami. 
Hargneuse, perdant encore une fois tout sens des réalités, elle s'est mise à m'humilier avec un sadisme qui me faisait malheureusement beaucoup penser à Jane. La bonne nouvelle, c'est que j'étais bien trop habituée à cela pour que cela m'atteigne. Ce n'était pas comme si son avis m'importait, de toute façon, étant donné la créature haineuse qu'elle était en train de devenir, année après année. 



J'ai fini par la repousser mais elle ne m'a pas laissée partir avant de lancer son dernier missile : 


- " Savoure bien tes derniers moments avec mon mec parce-que tu vois, là..." Elle a plaqué ma main sur son ventre. "Je porte un lien qu'aucune des deux Jane ou cette connasse de Julie ne pourra jamais égaler. Il est à moi pour toujours."

Satisfaite de ma sidération, elle s'est enfin écartée. Je savais que Daniel ne voulait pas d'enfant. Ce n'était pas "plus tard", ce n'était pas "peut-être", c'était "jamais". Muette, je réalisais qu'elle l'avait forcément piégé et rapidement je me suis souvenue d'une conversation que j'avais eue avec lui, où, alors qu'il commençait à prendre ses distances vis à vis d'elle, de plus en plus ulcéré par ses crises, il m'avait posé des questions sur une soirée dont il ne se souvenait de rien après avoir trinqué avec une Sharon très insistante. Mes larmes de rage n'ont pas pu attendre le départ de ma psychopathe de sœur qui en a bien évidemment puisé un contentement malsain. 


Je n'ai pas su quoi faire de cette information. Je me suis sentie impuissante, j'ai considéré que les dés étaient jetés. Alors Je n'ai rien dit. Et puis une partie de moi pressentait qu'une époque allait s'achever. Alors j'ai pris la décision de prendre Sharon au mot et d'en profiter.


Je suis donc revenue sur ma parole et j'ai volé un baiser à Dan. Un baiser joyeux, vif, qui a été suivi d'un autre afin de clarifier mes intentions : non, je n'avais pas glissé, oui j'avais envie de plus.


Dan, évidemment déconcerté, n'était pas sûr de la marche à suivre. Alors je me suis mise à califourchon sur lui, lui ai délicatement enserré la tête entre mes mains et ai incliné sa nuque de manière à ce qu'il puisse recevoir mes lèvres. Cette scène, je l'avais répétée des millions de fois. Seule dans ma chambre, j'apportais et recevais la tendresse qui m'avait manquée toute ma vie. Cette nuit-là, mes rêves ont pris corps. Cette nuit-là, j'ai fait l'amour pour la première fois.




Hasard du calendrier ou destin, l'occasion ne s'est plus représentée. Quand ce n'était pas Sharon qui se faisait omniprésente, c'était Dan qui partait en reconnaissance pendant plusieurs jours ou c'était Jane qui avait tout un tas de projets pour moi. Si bien que le délai légal pour avorter est passé et une première bombe a été lâchée : Sharon a annoncé le pot-aux-roses à Dan qui a pété les plombs, effrayant suffisamment ma sœur pour lui faire prendre la fuite après avoir menti en assurant qu'elle allait trouver une solution pour interrompre la grossesse.
Presque une année est passée sans que Sharon ne remette les pieds à Oasis Springs. Pendant ce laps de temps, la vie a repris son cours, mais Daniel ne s'est plus approché de moi. Je me suis de nouveau retrouvée seule. Je ne sais pas si c'est l'habitude qui a fait le job, si le fait de l'avoir pressenti a aidé, mais je n'en ai pas souffert tant que ça.


Peut-être aussi que j'étais soulagée de ne pas me sentir obligée d'avouer à Dan tout ce que je savais. Tout ce que j'avais fait. Là encore, je me suis persuadée que tout déballer ne changerait rien. Alors je me suis complu dans la solitude. Jusqu'à cette deuxième bombe qui était censée m'apporter la liberté à laquelle j'aspirais depuis si longtemps.


"Jane est morte. Tu es libre, Kate."

Tremblante de tout mon corps, mon cerveau a eu du mal à traiter l'information, incapable de formuler le fait qu'une de mes sœurs avait tué l'autre sur la base d'un mensonge : Jane n'avait pas tué le bébé de Sharon, contrairement à ce que cette dernière venait de raconter pour justifier son acte. J'étais la mieux placée pour le savoir. D'où venait cette version ? Sidérée, je l'ai laissée raccrocher en m'adressant ses meilleurs vœux pour ma nouvelle vie. 
Je ne savais pas quoi faire, j'étais prisonnière de mon corps.





Mon lavage de cerveau me retenait captive.

Claquemurée trop longtemps dans les désirs des autres, je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire de moi. Pire, j'ai eu cette impression paradoxale que ma vie venait de prendre fin. Alors même que Sharon avait pris soin de préciser que personne ne savait pour le décès de la vraie Jane en dehors de Julie et Dan et qu'il ne tenait qu'à moi de poursuivre l'œuvre de nos parents ou de claquer la porte, comme elle. Dans les deux cas, je me voyais condamnée. C'est là que j'ai pris conscience que si je n'avais rien dit à Dan, pour le bébé, c'était tout simplement que je n'étais plus qu'un animal soumis à mes sœurs qui tirait une improbable satisfaction à penser par elle-même quelques heures par mois. J'étais absolument incapable de prendre une quelconque décision importante, une décision avec des conséquences. Si bien qu'après de nombreuses heures assise au bord du gouffre, j'ai trouvé la force d'aller demander de l'aide.


Le moins que l'on puisse dire, c'est que je n'ai pas été bien reçue.


J'ai profité de la sidération provoquée pour avouer tout de go qui j'étais. Julie ne m'a pas crue et aurait appuyé sur le détente si Dan ne l'avait pas stoppée avec une exclamation affirmée.


Devant les yeux exorbités et le poignet tremblant de Julie qui devait penser voir un fantôme, je n'ai eu la vie sauve que grâce à l'autorité naturelle qu'exerçait Dan. Nos regards à tous deux se sont alors croisés et j'ai pu l'observer commencer à assembler les pièces du puzzle. Comme il lui manquait des pièces, je leu ai raconté ma vie.


J'ai tout dit : ma disparition, la maltraitance, les viols, le proxénétisme. 



J'ai expliqué à quel point j'avais besoin d'eux, à quel point ils m'avaient aidée à ne pas sombrer, et qu'ils étaient tout ce qu'il me restait. Et comme je savais ce qui les liait à la CLOES, je n'ai pas hésité à leur proposer de continuer. Paradoxalement, alors que tout me permettait de fuir Jane, j'ai décidé de continuer à vivre à travers elle. J'avais une furieuse envie d'aller au bout et de donner à Kate une vie nouvelle et sans regret. Je ne voulais pas les abandonner. J'avoue avoir espéré que s'ils décidaient tout de même de partir ils me prendraient avec eux. 
Ils ont échangé un regard, puis ils ont accepté mon offre.


Quand l'atmosphère s'est détendue, j'ai souhaité évoquer le dernier non-dit.



La raison de la disparition de Sharon, et l'année qui a suivi.




Aussi fort ai-je pu détester Sharon, je n'ai pu me résoudre à l'abandonner à son sort. Personne ne devrait être seul pour porter et élever un enfant. J'ai également puiser ma motivation dans l'espoir secret d'avoir ne serait-ce qu'un petit impact sur cet enfant. Cet enfant qui dans ma fantasmagorie était un peu le mien, fruit de nos amours sincères avec Dan.
Cette période a donc été très particulière pour moi aussi. Pour la première fois j'ai eu une relation normale avec une de mes triplées. J'ai adoré me sentir indispensable, lire de la reconnaissance dans le regard de Sharon, cette sœur qu'enfant j'espionnais en espérant pouvoir imiter le dixième de la grâce afin qu'elle daigne poser le regard sur moi.
Mais la plupart du temps, Sharon n'était pas avec moi.



Tout comme moi, elle avait une vie parallèle, intérieure, dans laquelle elle se réfugiait le plus souvent possible pour échapper à la cruelle réalité.


J'ai toujours été d'une nature optimiste. Je n'ai jamais cessé de croire. Ainsi, quand Isabel est arrivée, quand j'ai vu la joie illuminer le visage de ma sœur, j'ai cru encore. J'ai cru que cette petite merveille était le miracle qui allait sortir Sharon de sa rancœur et moi de ma fausse peau. Je me disais qu'avec ce que nous avions partagé, Sharon voudrait me garder près d'elle pour la seconder. Et puis moi aussi j'avais envie de pouponner, de prendre soin du bébé de mon ami, de mon amant, de mon âme-sœur.
Mais évidemment, rien ne s'est passé comme cela.


Sharon est perdue.

Cette certitude a traversé mon cœur quand je l'ai entendue, jour après jour, nuit après nuit, raconter à ce petit être une réalité déformée pleine de rancœur et de haine. Alors chaque jour, chaque nuit, je repassais derrière et l'inondait de mots doux et lui dépeignait un avenir radieux. 


Quant à Jane, ne voyant pas la poule aux œufs d'or revenir, elle a perdu patience et m'a demandé de me débarrasser du bébé. 
Horrifiée, il m'a fallu quelques jours pour voir la chance qui était offerte à ma nièce. Et ironie du sort, je savais exactement comment faire. J'avais lu et relu les rapports officieux concernant l' "Épidémie du Berceau". J'ai donc drogué la petite pour la faire passer pour morte en mettant cela sur la mort subite du nourrisson, avant de la soustraire au regard de sa mère et de la confier à un orphelinat en la laissant dans son couffin devant la porte. Sharon a de nouveau disparu suite à cela, ne réapparaissant que pour exécuter leur sœur. Du moins, c'est ce que je pensais... Car dans les faits, tout ne s'est pas tout à fait déroulé comme cela, comme je l'apprendrai plus tard.


Je crois que Dan est passé par toutes les couleurs au fil de mon récit.


"Tu as une fille qui t'attend si tu le souhaites."


Je me doutais de sa réponse mais je ne voulais pas décider pour lui et c'était une donnée qui pouvait potentiellement influencer son choix de vie à un moment si crucial.
Sans surprise, sans vouloir en savoir plus sur ce que je pouvais lui apprendre sur ce bébé, il a réitéré sa volonté de continuer avec moi à diriger La CLOES. 
Un silence a suivi, évoquant davantage que des mots ce qu'il se passait entre nous ; j'avais vu les affaires de bébé qui étaient entassées dans le salon, et l'absence de plusieurs mois de Julie prenait enfin du sens. Cela faisait beaucoup de bébés pour quelqu'un qui n'en voulait pas... Ce qui était sûr, désormais, c'est que même avec Sharon hors cadre, je n'avais pas ma place près de lui. L'occasion avait été loupée. Pour me donner du cœur au ventre, fidèle à mon optimisme de toujours, je me suis dit que rien n'était gravé dans le marbre et que si jamais leur couple perdurait la Kate libérée trouverait certainement quelqu'un juste pour elle. Mais en attendant...


J'avais une guerre à gagner.






Commentaires

Eulaline a dit…
Je suis contente pour cette petite fille qui a survécu :) qui a pu échapper à toute cette folie. Evidemment, on ne se réjouit jamais qu'un enfant désiré soit éloigné de son foyer mais dans ce cas-ci, je veux croire que c'est une vraie chance, oui.
J'aurais préféré que l'abandon ne ressemble pas à "débarrasse-toi de l'enfant" mais Sharon ne s'adressait pas à n'importe qui, il est fort à parier qu'elle connaissait très bien Kate... D'ailleurs, je ne sais pas si Kate a eu raison de lui faire croire que sa fille était morte :/ Sans doute Sharon avait-elle de cette mise en scène pour lâcher définitivement sa fille :/ Et Kate devait le savoir.
Oh que je suis triste pour ce deux-là et triste, tellement triste, pour Jane aussi. Des destins brisés.. Tant de destins brisés :/

Je suis heureuse aussi de ces moments "sincères" partagés entre Dan et Kate. Tu m'avais dit que je comprendrais le lien et la lumière se fait sur tous ces événements que je ne comprenais pas. Cela fait sens et c'est oufissime. J'adore!
GGO a dit…
Eulaline : On pourra donner toutes les excuses à Sharon, elle aurait ruiné la vie de sa fille en l'impliquant de force dans sa vendetta. Je suis d'accord, aucun enfant ne mérite cela et c'est une vraie chance, car, je ne fais pas de mystère, elle est heureuse dans sa nouvelle famille :)

Oui c'est sûr pour Jane, mais en réalité, malheureusement, elle fait très peu de cas de l'enfant, à cet instant-là. Jane est cassée, aussi, et je regrette de ne pas lui avoir consacré un Meet. Peut-être que ça viendra, mais je n'ai pas trouvé le moment. On verra bien. Mais Jane n'a que très très peu d'empathie et si Max était la personne la plus à même de l'aider à guérir (il l'a quand même convaincue de faire un enfant avec lui, ce qui était parfaitement improbable), il aurait été déçu du résultat parce-que si lui aurait pu tourner la page, pas elle...

Si Kate n'avait pas simulé la mort d'Isabel, Sharon n'aurait jamais laissé tombé. Il fallait que ce soit définitif dans son esprit.

Oh je suis contente pour Dan et Kate ! C'était tellement dur d'écrire Kate dans la peau de Jane alors que Kate essaie de refaire surface ! Ca ne collait pas avec la psychologie de Jane c'était trop bizarre ! Mais je suis contente si cela a pris du sens, maintenant.

Merci pour ce message, Eul. <3