2.
Avant de
retourner chez elle, il fallait donc que Léonor rende visite au chef
de la police, Germain Vasseur, qui résidait au Manoir « de
Musa ». Irène d’Atlantys lui avait indiqué la route à
prendre, à savoir la Centrale, en direction du pont, puis lui avait
dit de s’arrêter à la seconde bâtisse. L’avantage de ce
Quartier, c’est que l’on pouvait difficilement se perdre. La
route menant du pont au Domaine d’Atlantys longeant le précipice,
s’appelait la « route du Précipice », la voie du
milieu, la « route Centrale », et la dernière parallèle
se nommait la « route du Domaine des Rivières ». Une
fois en chemin, la jeune femme remarqua à la lumière du jour que
l’aménagement de l’espace était tout autre que sur la rive
gauche. Ici, pas de maisons accolées, beaucoup de verdure, aucune
pollution, qu’elle soit visuelle ou auditive, des maisons
spacieuses… En quelques mots, c’était un morceau du jardin
d’Eden qui avait été implanté sur ce côté d’Atlantys.
Revenant à elle, Léonor appuya un peu brusquement sur la pédale de
frein : elle avait failli louper le manoir.
La jeune
femme fit donc marche arrière, puis se gara sur l’allée avant de
se diriger vers la porte d’entrée. C’était une jolie maison en
pierre, certes moins imposante que celle qu’elle venait de voir,
mais qui devait malgré tout contenir un certain nombre de pièces.
Alors qu’elle venait de fouler le perron et s’apprêtait à
actionner la sonnette, une voix l’interpella :
-« Je
serais vous, je ne ferais pas çà. »
Léonor
se retourna et vit un homme interrompu dans son footing s’avancer
vers elle.
-« N’avez-vous
donc pas de cœur ? Réveiller ces pauvres gens alors qu’il
n’est même pas neuf heures ? »
La jeune
femme resta interdite un instant avant de demander :
-« Excusez-moi…
Vous êtes ?
-« Ah…
Vous ne savez pas… C’est bien ce qu’il me semblait… Vous êtes
nouvelle pas vrai ?
-« Euh
oui, mais…
-« Et
comment vous appelez-vous ? Et surtout, que faites-vous de si
bonne heure un dimanche matin devant la maison du chef de la police ?
Si c’est pour une urgence, il faut appeler le 000. Pas la peine de
venir déranger…
-« Je
m’appelle Léonor Angès et ce que je viens faire ici ne regarde
que la personne que je viens voir. Si vous voulez bien m’excuser… »
La jeune
femme allait refaire une tentative pour appuyer sur la sonnette, mais
la voix de l’inconnu la retint encore une fois :
-« Mais
qui cherchez vous à voir ? Je peux peut-être vous aider ?
-« Vous
m’aideriez en me laissant faire ce que j’ai à faire.
-« Mais
je ne peux pas !
-« Et
pourquoi donc à la fin ? s’impatienta Léonor.
-« Mais
parce-que j’ai deux adolescentes qui vont être insupportables
toute la journée si elles sont réveillées avant 9h ! Alors
s’il vous plaît, attendez – il regarda sa montre- 8 minutes
avant d’appuyer sur ce maudit bouton.
-« Vous
êtes Germain Vasseur ?
-« Oui
pourquoi ? »
Léonor
poussa un soupir et posa les poings sur ses hanches :
-« Ca
vous amuse ? »
Germain
Vasseur parti alors d’un rire franc :
-« Ah
ça oui alors ! J’adore les nouveaux ! »
Nan
mais je rêve, pensa-t-elle. Avec un rigolo pareil, pas étonnant que
l’enquête soit au point mort…
Voyant
l’air profondément agacé de son interlocutrice, Germain Vasseur
se calma et dit d’un air qu’il espérait sérieux :
-« Que
puis-je pour vous ? »
Léonor
lui expliqua la raison de sa visite, et s’attendait à tout instant
à sentir sa présence indésirable. Au lieu de ça, il l’écoutait
patiemment et lui dit même sur le ton de la confidence :
-« La
pauvre Irène… Il faut avouer que c’est bien triste ce qui lui
arrive. Perdre son fils, sa bru, puis son petit-fils… Et puis nous
qui n’avançons pas un chouilla. Vous ne serez sûrement pas de
trop dans l’équipe. »
La jeune
femme n’en croyait pas ses oreilles. Ils allaient coopérer si
facilement ? Ils ne se sentaient pas vexés, mis sur la touche ?
C’est à se moment là que, profitant du silence qui s’était
installé pendant les réflexions de Léonor, l’estomac de cette
dernière se fit entendre :
-« GROOUUUIIIICCCKKKK ! »
Le chef
de la police écarquilla les yeux :
-« Grand
Dieu ! Mais vous êtes affamée ! Venez vite manger quelque
chose…
-« Je
vous remercie, coupa Léonor, mais je vais rentrez chez moi…
-« Vous
plaisantez ? Coupa à son tour le policier. S’il vous arrivait
malheur sur la route, on m’accuserait aussitôt de non assistance à
personne en danger ! Et puis je ne vous parle pas de l’effet
qu’aurait votre décès sur le perron du chef de la police, si vous
deviez rendre l’âme à l’instant. Ah non, non, non – dit-il en
disparaissant chez lui – vous donner un bout d’omelette est
beaucoup plus sûr et…. »
Léonor
n’entendait plus ce qu’il disait. Ne sachant pas quelle conduite
adopter, elle resta sur le perron, sur lequel réapparu Germain
Vasseur :
-« Mais
ne restez pas là ! La maison ne fait pas encore à emporter. »
C’est
quelque peu gênée que Léonor atterrit dans la cuisine du chef de
la police, dans laquelle ce dernier s’affairait avec aisance.
-« Vous
aimez les poivrons au moins ?
-« Euh
oui…
-« Tant
mieux. Parce-qu’à Atlantys, c’est comme ça qu’on fait les
omelettes. Avec ça, vous êtes sûre que vous serez parfaitement
intégrée.
-« Parce-que
j’aime les poivrons dans les omelettes ?
-« Mais
oui. Nous ne sommes pas très farouches vous savez. Il y a juste des
règles indispensables, comme aimer les omelettes aux poivrons…
-« Et
ne pas sonner avant 9h, finit-elle.
-« Oui
c’est ça ! S’enthousiasma son interlocuteur. Ah ! Ils
nous ont envoyé une futée. Quelle aubaine !
-« Il
y en a sûrement d’autres, non ?
-« Ne
soyez pas trop pressée Léonor – je peux vous appelez « Léonor »,
hein ? On s’appelle par nos prénoms, entre coéquipiers –
vous venez d’arriver ! Et puis le ventre vide on n’apprend
rien. »
Germain
Vasseur venait à peine de mettre l’omelette sur le feu que la
jeune femme entendit la maisonnée s’agiter.
Il le
remarqua et dit :
-« Ca,
c’est la bonne méthode pour réveiller des adolescentes. »
Après
avoir posé le plat sur le plan de travail et invité Léonor à
prendre une assiette, il la fit ressortir de la maison pour l’emmener
sur une terrasse à l’arrière, où vinrent les rejoindre quelques
membres de la famille. Le grand-père, Victorien, et une des
adolescentes, Clara. Cette dernière semblait au courant de la
majorité des éléments du dossier concernant Nyls d’Atlantys, ce
qui étonna Léonor. Devant le trouble de son invitée, Germain
Vasseur expliqua :
-« Dans
la grande majorité, les métiers restent au sein d'une même
famille. Mon père, et mes ancêtres avant lui, ont toujours été
dans la police. La famille des Plaines regroupe tous les médecins de
l’histoire du Quartier. La famille d'Atlantys a toujours régné.
Et c’est comme ça pour toutes les vieilles familles. C’est
pourquoi j’essaie de former mes filles et mon fils depuis qu’ils
sont petits, et que Clara, tout comme sa sœur, est au courant de
certains dossiers sur lesquels la police a travaillé.
-« Mais
il n’y a pas de notion de confidentialité ?
-« Bien
sûr que si. Mais elles ont assez vite compris le concept et ont
arrêté de tout raconter à l'école. Et puis très jeunes, elles
ont montré un esprit déductif très aiguisé. Pourquoi s’en
priver ? Elles agissent en tant que consultants, quand leur
vieux père est victime de son grand âge. Nos dîners sont des
plus passionnants ! Vous devriez d’ailleurs revenir un de ces
soirs. Quoiqu’en ce moment, je dois bien avouer qu’ils sont assez
silencieux…
-« Parce-que
vous n’aboutissez pas ?
-« J’ai
bien peur que oui… Pas de trace d’effraction, pas d’empreinte,
pas de témoin…
-« Vous
êtes bien jolie mademoiselle, coupa Victorien Vasseur.
-« Oui
Papa. Mange ton omelette. Je disais donc, que la mort de Nyls est un
vrai mystère…
-« Nyls…
Nyls d’Atlantys ? Interrogea Victorien. Il est mort ?
-« Papa,
ça fait plus d’un mois. Fini ton assiette, ça va refroidir.
-« Et
vous êtes de la police Madame ? Ou Mademoiselle ? Insista
l'aîné.
-« Clara
chérie, emmène Papi prendre ses cachets, et débarrasse l’assiette
de Léonor s’il te plait.. »
Une fois
seuls, Germain poursuivit :
-« Je
suis désolé. Il a très mal réagi lorsqu’il a été mis à la
retraite, et son état se dégrade de jour en jour. Enfin voilà.
Pour Nyls, j’ai bien peur qu’il ait emmené son secret dans la
tombe.
-« Et
l’autopsie n’a rien révélé. C’est vrai que c’est étrange…
Qu’en est-il des suspects ? Qui avez-vous interrogé en
premier ?
-« Personne.
-« Comment
ça, « personne » ?
-« On
n’avait aucune piste. On allait pas y aller au hasard.
-« Et
ce… Ce Ladopthé, rétorqua-t-elle en jetant un coup d’œil sur
le papier fourni par Irène d’Atlantys.
-« Ca,
c’est une coup de la vieille Irène. Je me trompe ?
-« Non,
c’est exact.
-« Ladopthé…
La pauvre… Elle se raccroche à tout ce qu’elle peut.
-« Mais
c’est bien la première personne à qui profite la disparition de
Nyls, non ?
-« Non
Léonor. Certainement pas. Rappelez-vous, ici, tout est une question
de sang. La première personne aurait été le frère de Nyls.
-« Il
avait un frère ?
-« Non.
Mais il a une tante.
-« Eh
ben alors...
-“ Eh
ben alors c’est une femme. Une femme ne peut pas gouverner
Atlantys.
-« Ca
ne marche pas par alliance ? Elle n’est pas mariée ?
-« Si.
-« Comment
s’appelle ce monsieur ?
-« Edouard
Plenozas. »
Le
policier perçu l’étincelle dans le regard de la jeune femme :
-« Qu’y
a t-t-il ?
-« C’est
le deuxième sur la liste.
-« Vous
perdez votre temps. Il a un alibi.
-« Mais
vous l’avez interrogé alors !
-« Papa !
Le téléphone pour toi ! Cria une voix à l’intérieur de la
maison.
-« Combien
de fois je vais devoir leur dire de se déplacer au lieu de crier…
Bref, vous…
-« PAPA !
C’est urgent il paraît !
-« Bon…
On va devoir remettre cette conversation à plus tard . Cherchez
ailleurs en tout cas. Vous perdez votre temps. »
Il se
leva et lui présenta sa main :
-« Ravi
d’avoir fait votre connaissance. Appelez-moi dans la semaine. Vous
connaissez le chemin…
-« Oui
ça ira."
Il fit quelques pas avant d'ajouter en tournant légèrement la tête et en continuant d'avancer :
-« Ah,
au fait... Il y a des gens que l’on n’interroge pas. »
Léonor
n’aimait pas du tout la sensation qu’elle ressentait. Il était
clair que les grands sourires, les plaisanteries et les « vous
ne serez pas de trop dans l’équipe » du chef de la police
n’étaient là que dans un but : la mettre en confiance
pour la garder sous contrôle.
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