Meet... Kate 2/3

 




Le temps file.





Pour certains il façonne, il sculpte ; des corps et des destinées.




Pour d'autres, il érode.


Je le sentais au fond de moi que ça allait arriver.



C'était la deuxième fois qu'un de mes rêves se transformait en cauchemar. Avec le recul, je me demande si ce n'est pas mon algorithme de départ qui a toujours été cassé. J'ai toujours été celle qui n'était pas prévue, celle de trop, celle dont on pouvait se passer. Dans le ventre de ma mère, déjà, je me suis construite à l'ombre de mes sœurs avec ce qu'elles ont bien voulu me laisser ; parfois ce qu'il y avait en trop, parfois ce qu'elles avaient déjà utilisé.


C'est paradoxalement ce jour-là que j'ai compris que je n'étais pas la seule à ne pas être maîtresse de mon destin.


Ce jour-là a marqué une autre étape dans la dépossession de mon propre corps, et Djalil a réalisé qu'il ne s'appartenait pas non plus. J'ai essayé de tirer parti de sa désillusion, du sentiment de trahison qu'il ressentait à l'égard de Jane, mais elle et ma mère lui avaient complètement lavé le cerveau.


Je lui ai dit que je n'étais pas d'accord, que personne n'avait le droit de me forcer, et ce salaud m'a renvoyé à mes sentiments pour lui - que je gardais pourtant secrets - en pleine face. Il s'est fait l'écho du discours maternel qui déclarait que rien ne devait différencier les deux formes de Jane. Il fallait donc que je perde ma virginité en même temps qu'elle et que je me plie à toutes ses préférences, avec Djalil comme instructeur. 
J'ai résisté aussi longtemps que j'ai pu.





Pour la forme. Parce-qu'au fond, je sais parfaitement que ce n'est pas moi qui décide.



Les mois ont passé et Jane a fini par se désintéresser de Djalil. Elle s'est mise à butiner à droite et à gauche, multipliant nos expériences par la même occasion. 
Et puis il y a eu un incident dont je n'ai jamais vraiment rien su, mais qui a vidé les caisses de l'organisation ; caisses qu'il a fallu renflouer au plus vite. 


C'est ainsi que la monétisation de mon corps a commencé. Là encore, j'ai écopé de ce que ma sœur ne voulait pas. J'ai voulu fuir, la première fois. 


Je venais enfin d'arriver à trouver du réconfort dans les caresses et les étreintes de Djalil qui continuait de venir me voir par dépit, et si j'étais prête à faire semblant avec les autres éphèbes pris dans les filets de ma sœur, je ne l'étais pas à ressentir du dégoût. Mais là encore ma volonté n'a pas pesé lourd face à la valeur pécunière de ma jeune carcasse.
Ah pour ça, j'étais précieuse à mes parents. Et une erreur de ma sœur a permis de rééquilibrer la balance qui avait toujours jusque-là basculé fortement en ma défaveur. 



La sadisme de Jane a pris une ampleur effroyable ces années-là. J'ai souvent essayé de me rebeller mais n'ai jamais obtenu le moindre soutien en dehors de vagues et faibles réprimandes de mon père à l'encontre de Jane. Il a fallu que celle-ci aille trop loin pour obtenir une réaction de ma mère, dont l'attention a été captée par un détail.


Sûre d'elle, de son statut dans la famille, de son bon droit, Jane a avoué avec un sourire en coin me donner de mauvais conseils quand j'étais avec les clients. L'un d'eux avait été de toujours accepter les sollicitations dangereuses car elles rapportaient plus ; ce qui était faux, par dessus le marché, car interdit donc tu. Quand j'ai exposé les curieux symptômes qui me brûlaient le ventre et les parties intimes, ma mère a vu rouge.



Et pour avoir compromis mon intégrité, ou plutôt celle d'une de leur poule aux œufs d'or, elle l'a contrainte à non seulement partager le panel de client en deux parts équitables, mais également à se soumettre pour moitié à ce qui me plaisait à moi. C'était une piètre consolation, mais à mes yeux, c'était une véritable victoire. Enfin, j'allais me voir exister.
Naïve que j'étais...


Le deal a du tenir une semaine, à tout casser, avant de se faire dévorer par le caractère abusif de Jane.


Puis, l'étape finale du plan de ma mère a pris forme avec l'annonce de mon départ chez des parents éloignés. J'ai assisté médusée, mais sans grande surprise, à l'indifférence totale de mon entourage. Personne n'a posé de question. Plus personne n'a prononcé mon prénom. Même Djalil, pour lequel j'avais toujours des sentiments, malgré moi et malgré lui ; j'aurais aimé que lui au moins, puisqu'il venait se réconforter entre mes bras, exprime ne serait-ce qu'un regret. Mais tout ce dont j'ai été témoin, c'est de son amour dévorant pour mon double qui ne lui accordait plus que de rares regards. Ce qu'il ne savait pas, c'est qu'il s'agissait des miens.
Suite à ce triste constat, j'ai arrêté de ruer. J'ai joué le rôle que l'on attendait de moi, Jane s'est alors aussi désintéressée de moi, et la vie a filé tandis que j'apprenais à devenir l'ombre d'une criminelle.



Ça n'a pas été tous les jours facile, cependant. Ma résignation aidait, mais je n'étais pas du même bois que Jane.



Je n'étais pas aussi forte, pas aussi téméraire. Ça m'a pris des années pour réussir à camoufler ma sensibilité pour de bon.


Toujours est-il que j'ai fini par y parvenir, à force d'entrainement. Cela a été l'âge d'or de notre collaboration à Sharon, Jane et moi. Nous avions trouvé un équilibre : chacune connaissait sa place, chacune y restait.
Jusqu'à ce qu'une nouvelle pièce apparaisse sur l'échiquier.











Commentaires

Eulaline a dit…
A force d'être prise pour un objet, Jane est devenue un objet et a entraîné Kate là-dedans et les parents n'y ont plus rien vu d'autre que des objets dont ils pouvaient se servir à leur guise. Que tout cela est malsain, et comme si cela ne suffisait pas, il a fallu en plus y ajouter la prostitution.
Combien ont vu, dans l'entourage, ce qui étaient en train de se passer et n'ont rien fait? Je me demande...
GGO a dit…
Eulaline Tous les proches du couple O'Meara étaient complices, plus quelques parents endeuillés que le drame a rapproché. Le mot d'ordre c'était : se venger à tout prix. Il n'y avait plus de bien ou de mal.
Les parents Magnolia n'ont pas connu Kate, mais ils savaient pour le proxénétisme. Je ne peux pas en dire plus pour le moment.
Agathe La Petite a dit…
Bon sang, que ce chapitre est dur ! Et malsain.
En a t'il fallut des rénonciations à cette pauvre Kate pour devenir "Jane". Tu m'étonnes qu'ensuite elle ne soit pas très bien dans sa tête, on le serait à moins.
Je suppose que cela devait être dur pour Jane aussi. Mais quand même moins, puisqu'elle, elle gardait son identité.

Jusqu'à quel point peut-on se venger ? Quand on devient pire que ses ennemis, n'est-ce pas la preuve que l'on se fourvoit ?
Et, je vois dans la réponse que tu apportes à Eulaline, que tout le monde savait ou presque. Même les parents Magnolia savaient pour la prostitution. Perosnne ne disait rien. Je sais bien que face à un groupe comme Oaz'Corp, il ne faut pas faire de sentiments. Mais là, ils ont franchi la ligne rouge à mon sens.
(et sinon, ils sont encore vivants les parents O'Meara ou pas ? Je ne sais plus si tu donné cette info ou non)
GGO a dit…
Agathe Je pense que ça a été très dur pour toutes (même pour Sharon, vous ne savez pas tout car il y a des choses qu'elle a gardé pour elle), mais c'est sûr qu'elles ne l'ont pas géré de la même façon. Ceci étant dit, finalement, il me semble que c'est le caractère flexible de Kate qui l'a préservée. Sharon a un psychisme fracturé et Jane a fait beaucoup, beaucoup de mal en réponse à ce qu'elle a subi. Kate, elle, n'irait pas si mal, je pense, si elle pouvait se débarrasser de la peau de Jane qui commence sérieusement à lui taper sur le système avec le temps. Surtout parce-qu'elle est seule à la porter, désormais. C'est son instinct de survie qui l'a poussée a faire la proposition qu'elle a faite à Dan dans la saison 1. Je croise les doigts pour qu'elle ait le temps d'exaucer son souhait, ne serait-ce que partiellement...

Pour certaines personnes, la fin justifie les moyens. Perso, moi, je le pense pas du tout si tu as besoin d'être rassurée XD

Pour les parents Magnolia qui n'ont rien dit, attention, nous n'en savons rien, encore, de ce qu'il s'est passé. Mais oui, ils étaient au courant.

Et les parents O'Meara sont morts, comme quasi tous ceux de leur génération. Ne restent que ceux qui étaient en retrait, qui donnaient un coup de main de temps en temps sans trop en savoir. Mais même eux ne sont pas nombreux.
Il reste une interrogation, c'est le père Magnolia, aussi. La dernière fois qu'on a entendu parlé de lui alors qu'il était vivant, c'était quand il était accompagné de Pepper... *tête de mystère*

Merci infiniment pour ton investissement dans mon histoire, ça me touche beaucoup.