Meet... Connor

  




- " Le premier arrivé est le chef ! "


- " Le deuxième est un nul, et le troisième un MEGA nul ! "

- " Ouah Adrian t'as perdu contre Tristan, la honte !
- " Il m'a mis le portail dans le ventre !
- " C'est parce-qu'il était devant toi banane ! Allez hop moussaillons ! Embarquez et allons piquer l'or des autres riches !
- " Et après on le donnera aux pauvres ?
- " Je m'appelle pas Robin des Bois, Tristan ! Moi, je suis Connor le Stygien, les mers sombres sont mon seul foyer et je pourfends tous ceux qui tentent de s'y immiscer ! Grimpez sur mon navire, moins que rien, avant que mon courroux ne vous emporte au fond des océans !
- " Oh la la c'est de plus en plus long...
- " Je sais pas où il va chercher tout ça...
- " Allez làààààààà ! Montez, le soleil se couche ! Ou la malédiction va vous emporteeeeer ! "


- " Bien joué Adrian, les ennemis à tribord sont aussi terrassés ! Nous n'avons plus qu'à trouver un endroit où mouiller avant de piquer un bon roupillon ! Tristan, passez au vent de l'île !... Tristan.. TRISTAN ! "



- " Je sais pas comment tu fais pour être dans la lune alors qu'il hurle depuis tout à l'heure.
- " Quand on jouera aux indiens son nom ça sera "Vent entre les oreilles !"





- " Les enfants ! Écoutez Neha et rentrez maintenant ! Il se fait tard ! 
- " On arrive !
- " On arrive !
- " Connor...? 
- " Oui j'arrrriiiiveuuuuhh... "





𝅘𝅥𝅯 Pavillons noirs et têtes de morts
Voilà les pirates, voilà les pirates
Pavillons noirs et têtes de morts
Voilà les pirates qui arrivent dans le port


Ils sont cruels ils sont méchants
Et sous les ongles ils ont du sang
C'est le sang des petits enfants

- " Connor... ? Qu'est-ce-que tu chantes ? "

Ils aiment les coups et la bataille
Quand ils' s'battent ils font pas d'détail
"D'abord on tue, après on parle"

- " Mais enfin Connor on en a déjà parlé de cette chanson... "

J'AI PAS PEUR MAMAAAAAANNNN
MOI J'VIENS JUSTE D'AVOIR 9 AAAAAAANNNNNS
J'suis plus un petit enfant
J'veux partir sur l'océan
Moi ils m'font pas peur
J'veux juste aller voir ailleurs
Si la mer a la même couleur avec les pirates


PAVILLONS NOOIIRS ET TÊTES DE MOOOORTS
VOILA LES PIRATES, VOILA LES PIRATES
PAVILLONS NOOOIRS ET TÊTES DE MOOOORTS
VOILA LES PIRATES QUI ONT QUITTÉ LE PORT

PAVILLONS NOOOOIRS ET TÊTES DE MOOOOOORTS
VOILA LES PIRATES, VOILA LES PIRATES
PAVILLONS NOOOIRS ET TÊTES DE MOOOOORTS
VOILA LES PIRATES QUI ONT QUITTÉ LE POOOOOORT





- " Mais j'ai chaaauuuud !
- " Il fait frais. Tu t'es encore beaucoup agité avant de te coucher et si tu ne te couvres pas tu vas attraper froid. Allez. "



- " Fais de beaux rêves mon petit pirate.
- " Connor le Stygien. J'suis plus un bébé.
- " Eh bien Connor le Stygien ferait mieux de chanter de plus jolies chansons sinon la Lune risque de lui jouer un tour à sa façon. Bonne nuit mon chéri.
- " Bonne nuit Tata Luna. "



𝅘𝅥𝅯 Na nanana et nanana
Nanananana nanananana
Na nanana et nanana
Nanananana nanana na na

- " Chuteuh.
- " J'aime pas cette chanson elle me fait peur."

Sa mère ne l'a jamais revu
Juste une photo dans une revue
Le jour où il a été pendu
Sa mère ne l'a jamais revu
Juste une photo où il a été pendu

La lalala lala la la
Pavillons noirs et têtes de morts
Voilà les pirates, voilà les pirates
Pavillons noirs et têtes de morts
Voilà les pirates qui arrivent dans le port
Voilà les pirates
Voilà les pirates

...

Ma mère que j'n'ai jamais revue
Lalalalala-la , Lalalalala-la
Mais moi j'me ferai pas pendu
Lalalalala-la , Lalalalala-la
Non il faut pas que j'sois pendu
Lalalalala-la , Lalalalala-la
Si je veux la voir quand elle s'ra rev'nue
Lalalalala lala la la la



***




- " Ah bon ?
- " Ne faites pas l'innocent, Monsieur Connor. Je vous ai vu.
- " Oh mais vous avez les yeux partout, aussi...
- " Et pourtant vous persistez à vouloir truander.
- " C'est dans mes gènes de pirate. J'y peux rien. D'ailleurs, vous voudriez pas voguer sur les mers avec moi ? Vous seriez plus utile que les deux bons à rien d'à côté. Avec vos yeux perçants on pourrait échapper à tous les pièges ! 
- " Pardonnez-moi, mais je n'ai pas envie de partager le trésor avec quelqu'un qui ne sait pas compter. "


- " C'est la différence entre vous et moi. À votre place, j'aurais sauté sur l'occasion. 
- " Je dois être trop honnête pour être un pirate.
- " Vous avez raison. Je ne ferai jamais des affaires avec vous si vous voulez que tout soit équiqu... étiqu... euh... équitable. Soit. Vous pouvez disposer.
- " Bien essayé Connor le Stygien, mais jusqu'à vos 18 ans, c'est moi la cheffe. Donc refaites-moi ces calculs et respectez les lignes du cahier espèce de petit cochon.
- " Roooooo...."





***





- " Vous avez compris les garçons ?
- " Ouais !
- " On dit Oui, Adrian.
- " Oui ! On fait exactement comme d'habitude.
- " Moui... J'ai envie de dire un peu mieux que d'habitude. Surtout un petit pirate à bretelles. "



- " Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler, Dame Luna. "



***





- " Attends j't'explique...
- " Nan mais j'ai compris Connor. C'est non, c'est tout.
- " Mais nan mais il faut du challenge ! Je te dis ! Celui qui perd doit exécuqu... exécuter les gages des deux autres.
- " Ouais c'est ça, si c'est toi qui perds tu vas jamais les faire les gages !
- " Pffff comme si vos petits gages de rien du tout me faisaient peur.
- " Nan c'est nul. On joue pour jouer, c'est tout.
- " Nan c'est ça qui est nul.
- " À toi Adrian.
- " Je joue pour jouer, Connor. Ok ?
- " Si tu perds je te promets de pas choisir un gage trop difficile.
- " La dernière fois on a été punis pendant deux jours ! Moi j'ai plus envie.
- " Et si je te laisse être le chef sur le navire ?
- " ... ?
- " Pendant deux jours.
- " Quatre. Pour réparer la punition.
- " Trois. 
- " Et même si je perds pas. Genre si j'suis deuxième.
- " Deal.
- " Ok. Allez... "




- " T'as triché !
- " T'as avalé un perroquet ou quoi ? Non, j'ai pas triché. T'es nul, c'est tout. Et arrête de pleurnicher tu seras le chef sur mon navire."


- " Allez, là ! Neha va revenir bientôt ! Hihi !
- " Le fait pas Adrian ! C'est trop risqué !
- " Oh hey la poule mouillée... Tu veux y aller avec lui ? Nan ? Alors silence. Adrian si tu respectes pas les marchés, ça va pas le faire ! 
- " ... Je suis sûr que t'as triché.
- " Et comment j'aurais fait, hein ? 
- " J'en sais rien c'est pas moi le tricheur !
- " Moi je vais plus jouer avec vous. Vous êtes que des pleurnicheurs. Plus la peine de venir sur mon navire puisque c'est comme ça.
- " C'est pas TON navire. On a le droit autant que toi, d'abord.
- " Bah tu verras quand tu essaieras de monter.
- " Tata Luna elle a dit que...
- " Tais-toi Tristoune. 
- " L'appelle pas comme ça. Et puis tu fais le méchant mais t'es pas un vrai pirate j'te rappelle.
- " J'suis pas un vrai pirate parce-que je suis un EN-FANT. Mais quand je serai un HOMME, je serai un pirate.
- " Un pirate qui a peur du noir, tu parles !
- " AH OUAIS ? Eh ben tu vas voir si j'ai peur du noir, mauviette !"


- " Allez viens, Tristan. Il fait le malin mais il oublie tout le temps qu'il fait des cauchemars et que c'est nous que ça réveille."





***



La porte claquée, il avait retenu son souffle jusqu'à ce qu'il n'entende plus les pas de ses frères. Le cœur à cent à l'heure, il avait ensuite cherché frénétiquement l'interrupteur qu'il avait actionné, soufflant de soulagement une fois les lumières allumées. Il avait repris son souffle, haletant, luttant contre la peur panique qui était en train de le gagner. Quelques respirations plus tard, il était capable de bouger.
L'enfant regarde avec des yeux écarquillés son environnement, tiraillé entre une angoisse sourde et une certaine fascination. Il parait que c'est la chambre de son père. Un père absent ; vivant, mais invisible. Un père en prison. Un père qui ne voulait pas les voir. 
Sa tante Luna disait que c'était parce-que la prison n'était pas un endroit pour les enfants, mais il avait bien vu pourtant à la télé que des enfants rendaient visite à leurs parents incarcérés. Il s'était souvent demandé si elle ne lui mentait pas, la suspectant parfois de les garder éloignés de leurs parents... Mais à chaque fois, il suffisait de repenser à son visage aimant pour qu'il fasse taire son imagination débordante. Non... Si jamais Luna avait une raison de les tenir à distance de leur père, cette raison était forcément bonne. Il lui faisait une confiance absolue, elle représentait la personne la plus chère à ses yeux, la plus précieuse. En colère, il avait maintes fois tenté de l'éloigner, de lui faire du mal. Mais son amour semblait inconditionnel. Et il aimait même penser qu'il était son préféré. 
Le cœur tout gonflé, ses traits se détendent, sa peur se calme et il s'autorise à être curieux. L'ombre chassée, ce n'est plus si terrifiant. C'est même plutôt cool. Son père doit être quelqu'un de très courageux pour dormir dans une telle chambre... Il lui ressemblera certainement plus tard.


Connor est interrompu dans ses pensées par la voix de Neha qui scande son nom. Ragaillardi, il se dit qu'il va pousser la plaisanterie un peu plus loin, qu'il va tester un peu plus son courage. Il rabat l'interrupteur et fonce dans le placard.


Ses minables de frères vont être drôlement impressionnés quand il va leur raconter son audace. 

Neha passera plusieurs fois devant la chambre et en ouvrira même la porte, perplexe, pendant que Connor, lui, exultait et jouait avec la dernière limite avant de se cacher quand elle s'approchait.




Mais ses poltrons de frères finiront par lâcher le morceau et tous écoperont de corvée de patates dans une ambiance plus que tendue, Neha lui avouant plus tard qu'elle s'était réellement inquiétée.




***






Comme tous les soirs une fois la tête posée sur l'oreiller, sa nuque s'est raidie à la seconde où la main de Luna a quitté ses cheveux. À 9 ans, cela fait longtemps qu'il ne la retient plus. Et pourtant, la dignité dans laquelle il se drape ni ne lui réchauffe le cœur, ni ne le rend invisible aux monstres tapis dans la nuit, et ce même si certains sont devenus ses amis. Car oui, les nuits de Connor sont mouvementées. Pas toutes, certes, mais suffisamment pour qu'il anticipe chaque jour les angoisses nocturnes. Il a tenté plein de choses, déjà, pour mieux dormir. La chanson des pirates en fait partie. Aussi sombre soit-elle, elle lui apporte du réconfort, en particulier depuis qu'il se l'est appropriée en lui ajoutant un couplet. Un couplet qui le motive, qui lui donne de la force au sein même de l'adversité. Il sait bien lui déjà que le monde est dur, tandis que ses frères se complaisent dans leur statut d'enfant, innocents qu'ils sont quant à la lutte qui les attend. Si Adrian s'en sortira parce-qu'il est intelligent, il a peur pour Tristan qui trouve en leur triplé un ange-gardien. Connor lui sait bien qu'il ne faut compter que sur soi-même, en particulier depuis le jour où il s'est rendu compte de deux choses : Tata Luna n'est pas éternelle, il sait qu'il n'y a pas que les vieux qui meurent, et Tata Luna peut devenir Maman, un jour. Or les bonnes mamans s'occupent de leurs bébés, pas des grands enfants. Alors Connor ne compte que sur lui-même, pour être prêt le jour où sa tata ne sera plus uniquement sa tata à lui.
Mais ce qu'il n'avait pas anticipé, c'est la solitude qui allait découler de cette prise de conscience. Parce-que quand on est grand et autonome, on n'appelle pas sa tata quand on a peur. Et on ne croit plus aux monstres et aux fantômes.


Seulement, décider de ne plus croire n'est pas suffisant.


Actuellement, il est coincé entre deux réalités possibles : soit il est encore un enfant qui a besoin des adultes, soit les fantômes existent. Des fantômes qui lui chuchotent à l'oreille des choses qu'il ne comprend pas mais qui l'obsèdent et ont un impact sur sa vie sans qu'il n'ait aucun pouvoir dessus.





Connor s'est aperçu qu'il avait des connaissances qu'il n'avait pas acquises... sciemment. Crocheter une serrure était l'une d'elles, un apprentissage récent. Mais le plus perturbant restait encore quand il avait pris conscience qu'il s'avait manier un couteau à la façon dont il l'avait senti se caller dans sa main, dont il était capable de jauger lequel était le plus adapté à sa poigne. Il avait appris, par ailleurs, à se méfier de ce qu'il pensait connaître, car si son cerveau savait, son corps restait ignorant et demandait à pratiquer avant de pouvoir exercer une parfaite maîtrise.
L'effet grisant de se savoir capable de toutes ces choses se disputait à l'inquiétude quant à la nature de ces compétences. 
Toujours est-il que ce soir ses petits doigts arrivent enfin à leur but : la serrure abdique. La porte s'ouvre et un courant d'air froid lui frappe le visage et le réveille.
Déconcerté, il se rend compte qu'il a encore été somnambule. Mais sa stupéfaction n'est rien en comparaison de celle qui le saisit quand il réalise qu'il est à un pas de franchir un interdit. Il prend le temps de la réflexion. Il écoute. Mais comme à chaque fois qu'il est réveillé, les voix se sont tues. Et puis il se rappelle que conscient, il ne comprendrait de toute façon pas ce qu'elles diraient. Son souffle s'accélère, ses sourcils prennent un pli décidé : il pose le pied sur la première marche.


Il descend avec précaution, faisant à peine craquer le bois sous lui. L'odeur de renfermé lui fait plisser le nez tandis que ses yeux tentent de s'habituer à l'obscurité qui semble s'évaporer seconde après seconde, lui dévoilant une petite pièce qui ressemble à un salon. La poussière est partout et flotte dans l'air, remuée par son passage et le faisant tousser. Il balaie du regard son environnement quand un mouvement sur sa droite lui fait obliquer la nuque dans cette direction.




Sous ses yeux horrifiés, l'armure sur pied se met à léviter. Son estomac et son cœur remontés dans sa gorge l'empêchent de crier. Sa terreur marque néanmoins une pause quand un souffle d'air putride lui parvient de sa gauche et que sa tête tournée par reflexe lui apprend qu'il y a une porte dérobée derrière la bibliothèque. Le souffle court, il retourne son attention sur l'armure qui a repris sa place comme si de rien n'était. Là encore, il a le choix de rebrousser chemin. Mais il sait qu'il a besoin d'aller au bout. Alors il suit ce qui ressemble de plus en plus à un itinéraire.




Le sol change sous ses pieds pour se faire froid et rugueux. Un couloir qui donne sur la gauche s'offre à lui, mais la première chose qu'il voit, c'est une autre porte en vieux bois juste en face. Il commence par celle-là. Puis il sait qu'il a été trop loin.


Il se rend compte qu'il ne saisissait pas encore la pleine définition du mot terreur. Là, devant lui, c'est une salle de torture. Il se met à trembler de tout son corps, de toute son âme d'enfant qui s'échappe seconde après seconde, aspirée par l'abîme qui l'entoure. Il sent ses pieds humides, il regrette son coup d'œil instinctif.



De l'urine coule le long de ses jambes et s'étale de manière à recouvrir une tâche bien plus sombre incrustée dans la pierre. L'air fait maintenant un bruit terrible dans sa gorge. Des larmes plein les yeux, la panique le sidère. Il a envie de toute son âme d'hurler le nom de Luna, qu'elle vienne le chercher, mais il se sent prisonnier de son propre corps qui ne répond plus. Il subit impuissant une décharge incommensurable de stress, accentué par des sons, puis des voix de plus en plus fortes. Des claquements lui éclatent aux oreilles, à droite, à gauche ; des hurlements résonnent contre les os de son crâne. Et puis le silence. Ou presque. Lui parvient alors un léger sifflement, dont le volume augmente et diminue au rythme de ce qui lui semble être une respiration. Et puis un autre claquement y met fin, juste avant qu'une lumière qui a pris la forme du chevalier de l'autre pièce fonde sur lui et pousse un cri guttural que pour la première fois son esprit conscient peut traduire : 




VENGEANCE.




***






Un hurlement la réveille en sursaut.


Un hurlement long, sans souffle. Surnaturel. Et pourtant, elle reconnaît le timbre.


Désorientée, son esprit confus la fait se cogner à un meuble qu'elle ne pensait pas à cette place. Et puis elle se rappelle l'époque présente. Ce n'est pas son frère qui hurle. C'est son neveu. Elle se précipite à l'étage mais le cri s'amenuise à mesure qu'elle monte. Alors elle redescend aussi sec et tombe sur Neha, affolée, qu'elle envoie dans la chambre des garçons. 
Luna n'arrive pas à situer l'origine du bruit, alors elle appelle : 

- " CONNOR ! OÙ ES-TU ? CONNOR ?! "

Mais rien d'autre que la hurlée.


Et puis plus rien.
Dans la cuisine, elle réfléchit à toute vitesse, quand une intuition la dirige vers la porte de la cave qu'elle trouve déverrouillée. À cet instant, elle ne sait si elle est soulagée ou en colère, mais elle ne prend pas le temps de le découvrir. Elle se précipite dans les escaliers et déboule dans le salon privé de feu son père.



À son grand désarroi, elle le découvre vide. Elle cherche partout, redoutant et espérant à la fois une énième facétie de son neveu, en vain.

- " CONNOR ! CONNOR ! " Implore-t-elle désormais, l'angoisse lui vrillant les cordes vocales.

De tout son être elle implore l'univers de lui épargner un autre drame. Pas à lui. Pas au petit Connor. Pas à elle. Elle a trop souffert, déjà. Elle ne supporterait pas de perdre quelqu'un d'autre, et encore moins un de ses enfants. À fortiori celui qu'elle savait le plus fragile. Elle ne s'autorisait pas à échouer.

- " COOOONNNNOOOORRRRRR ! "

Sa rage la pousse alors à se secouer et à chercher ailleurs, s'en voulant d'être restée en bas si longtemps. Quand tout à coup, un bruit lourd la fait se retourner.


L'intense soulagement qu'elle ressent lui remplit les poumons et lui fait basculer la tête en arrière, les yeux presque révulsés. Elle se sert ensuite de cet élan pour se projeter vers son neveu et le serrer brutalement contre sa poitrine.


Il s'agrippe à elle, les membres tremblants, tout en haletant et gémissant dans son cou. Elle le rassure, le presse, lui caresse la tête, lui embrasse la joue et le front, et recommence. Elle lui dit qu'elle l'aime, aussi, un nombre incalculable de fois.


Et puis arrive le moment où tous deux se calment. Elle attend encore de longues minutes puis pose la question : 

- " Que s'est-il passé ? "

Il ne répond pas. Certainement en est-il encore incapable.

- " Sortons d'ici. Sache juste qu'il sera toujours temps d'en parler. Je suis à ton écoute, Connor."

Contre toute attente, il se libère et la regarde de ses yeux mouillés : 

- " Tu ne vas pas me croire...
- " Bien sûr que si mon chaton.
- " Non je sais. Tu vas me dire que ça n'existe pas.
- " ... Je vais croire ce que tu ressens. "

Une lueur d'espoir apparaît alors dans ses petits yeux bleus.

- " Il y a des gens qui me chuchotent des choses. Qui me font faire des choses, la nuit."

Un frisson secoue l'échine de Luna. Elle ne pensait pas, adulte, être encore effrayée par des histoires de fantômes. Peut-être parce-que si les fantômes des enfants ne lui font plus peur, ceux des adultes en revanche... 

- " Qu'as-tu entendu, ce soir ?"


- " Je ne sais jamais quand je me réveille ! Je me rends juste compte de ce que j'ai fait. Là on m'a emmené jusque dans le sous-sol... et... et... je me suis réveillé et... je sais que j'aurais pas du mais... j'ai continué et ... et... l'armure elle a... elle a bougé... Et la porte s'est ouverte... et y'avait du sang par terre et... et... y'a un fantôme qui m'a crié dessus... "

Luna le sert à nouveau dans ses bras tandis qu'il se remet à pleurer.

- " Que t'a-t-il dit, ce fantôme ?
- " Je crois que c'était "vengeance". Je te jure Tata que je te mens pas.
- " Je sais que tu ne me mens pas, Connor. Je te crois. On va trouver une solution. Tu n'es pas tout seul. Je suis là. On va trouver une solution. "

C'est sorti plus vite qu'elle ne l'aurait voulu. Car même si cela le rassure temporairement, elle navigue dans le brouillard. Cet évènement fait terriblement écho aux cauchemars que faisait son frère Maximilien et pour lesquels il avait été médicamenté enfant puis adolescent. Or, son père avait fait pression sur le psychiatre qui s'était occupé de son frère ; il ne voulait pas comprendre, juste le faire taire. Ce qui était à l'opposé de ce que souhaitait Luna. Mais elle savait combien les voies du psychisme étaient mystérieuses... et combien il lui serait facile de dévoyer la promesse qu'elle venait de faire. 







***







- " Tu voulais me voir ? "


- " Assis-toi s'il te plaît. "



Connor avait terminé la nuit dans le lit de Luna, Neha dans le lit de Connor, chaque adulte ayant la responsabilité de rassurer les enfants. Tous avaient passé une journée très étrange, mais c'est bien Connor qui avait souffert le plus des regards qui lui étaient adressés. Ses deux frères l'avaient tenu à l'écart, se trouvant frappés de mutisme dès qu'il s'approchait d'eux. Il comprenait, bien sûr... Il n'était pas idiot... Le spectacle qu'il avait donné la nuit précédente était effrayant... Toutefois... Toutefois il ne pouvait pas s'empêcher de se sentir trahi. Qui d'autre qu'eux étaient plus à même de le comprendre ? Plus angoissant encore, si ses frères de ventre, ceux qui avaient partagé sa vie depuis toujours, ne le comprenaient pas, avaient peur de lui, auprès de qui trouverait-il du soutien ? Du réconfort ? Sa tante Luna s'imposait à lui, bien entendu, mais son visage navré n'augurait rien de bon.

- " Connor... J'ai beaucoup réfléchi. J'ai longtemps pensé qu'il valait mieux taire les éléments les plus sombre de notre histoire. Je le pense toujours, en quelque sorte. Mais cela ne s'applique pas à toi. Je m'apprête à te dire des choses très dures, inquiétantes, mais si je le fais, c'est parce-que je crois que les non-dits te font beaucoup de mal. "


- " Tu es un pe... Tu es un garçon aussi intelligent que sensible. Tu perçois des choses au-delà des apparences, des demi-vérités. En ça tu es différent de tes frères et c'est pour ça que nous avons cette conversation ce soir, juste toi et moi. "


- " Ce que je vais te dire ce soir, je ne peux pas t'imposer de le cacher à Tristan et Adrian... Mais si je suis désolée de te donner cette responsabilité, je te demande de ne rien dire. Pour le moment tout du moins. Parce-que contrairement à toi, ce qu'ils ne savent pas ne leur fait pas de mal."

Il ne répond rien. Il attend juste résigné ce qui va lui tomber sur le coin du museau.

Luna prend une grande inspiration, puis relâche courageusement l'air en se dirigeant vers le sofa pour prendre place à ses côtés.

- " Connor... Dans notre famille, il n'y a pas que des gens comme Tonton Hugo ou moi-même. Ton grand-père, mon père, était quelqu'un de très méchant. C'était même un bandit. Tout cet argent, tout ce qui nous appartient, provient des crimes qu'il a commis. Et ta grand-mère, ma mère, en a payé le prix de sa vie.
- " ... ?
- " Notre grand-père avait des ennemis qui s'en sont pris à elle et... ils l'ont tuée Connor. Ils ont tué ma Maman."

Il sent son visage se défaire et les larmes lui monter aux yeux devant l'horreur de la révélation. Et puis tout à coup, il fronce les sourcils : 

- " Ils l'ont tuée ici ?
- " ... Non ! Non bien sûr non... Je ne pourrais pas rester dans cette maison si cela avait été le cas. À fortiori avec vous !"

Il baisse la tête, déçu. Cela aurait expliqué son fantôme. Mais qui cela pouvait-il être ?

- " Il a tué d'autres gens, ton père ?
- " ... Euh... Je..." 

Elle a l'air perplexe et le regarde avec un drôle d'air. Elle finit par répondre : 

- " Je ne sais pas s'il a tué des gens, ça ne m'a jamais intéressée et pour tout te dire, je fuyais tout cela. Je ne voulais rien avoir à faire avec l'entourage de mon père.
- " Moi je crois bien qu'il y a eu des morts ici."

Tous deux pensifs suite à sa déclaration, il brise bruyamment le silence en annonçant : 

- " Je veux déménager !"

Elle le regarde, de nouveau interdite, avant de dire : 

- " Mon chéri... Les fantômes de notre histoire nous suivront toute notre vie. Il faut apprendre à vivre avec."

Il écarquille grand ses yeux, effrayé et plein de colère : 

- " MAIS MOI JE VEUX PAS VIVRE AVEC !"


- " ILS ME FONT PEUR ! ET À CAUSE D'EUX MES FRÈRES ME PARLENT PLUS !  JE VEUX PAS VIVRE AVEC ! JE VEUX PAS JE VEUX PAS JE VEUX PAS !
- " Connor shhhh je comprends... Tes frères ont juste besoin d'un petit peu de temps, très vite tout reviendra à la normale...
- " Y'A PAS DE NORMAL AVEC MOI ! RIEN N'EST NORMAL CHEZ MOI !! 
- " Personne n'est normal, Conn...
- " SI ! TOUS LES AUTRES ! MOI JE LE SENS BIEN ! C'EST PAS TOI QUI VOIT CE QUE JE VOIS ! 
- " Non, c'est vrai. Mais j'ai pris rendez-vous avec le Docteur Langelot et ensemble on va les faire partir."

Connor ressent l'équivalent d'un coup de poignard en plein cœur. Les traits tirés vers le bas, la bouche tordue en une moue douloureuse il articule : 

- " Tu ne me crois pas... "

Et il éclate en pleurs.


- " Oh chéri bien sûr que je te crois... Je cherche juste à t'aider. La seule façon de combattre ces fantômes, c'est d'être plus fort et plus malin qu'eux. Et le Docteur Langelot va nous y aider.
- " ... Mais comment ?"

Il renifle, les lèvres tremblantes, et elle l'aspire contre elle.


Il n'a pas l'énergie de la repousser.

- " Je ne sais pas encore, mon chéri. C'est pour cela que nous allons y aller. Pour trouver de l'aide."


Assommé, Connor n'en est pas moins septique. Qu'est-ce-que ce docteur va bien pouvoir faire ? Comment va-t-il le rendre plus fort ? Mais surtout... Combien de nuit cela va-t-il prendre ?


   Combien de nuits d'angoisse encore ? Combien de temps à se sentir... si seul ?







***







Les jours et les nuits se sont enchaînées sans apporter d'amélioration. Pour faire face, pour stopper le cercle vicieux des nuits sans sommeil qui créaient de la fatigue, de la peur et de l'agressivité, Luna a cédé et Connor a bénéficié d'un traitement. Le calme est revenu, mais les cernes du jeune garçon ne sont pas parties. Sans que l'autre ne le sache, le neveu et la tante se sont mis à prier. Prier à s'en blanchir les jointures. Prier pour que cela s'arrête.


S'ils avaient su, certainement auraient-ils été plus précis dans leur demande. Parce-qu'ils sont sur le point de découvrir qu'il faut se méfier de ce que l'on souhaite.











Commentaires

Agathe La Petite a dit…
Donc, des triplés, comme les soeurs O'Méara. Les enfants de Jane et Max, j'imagine. Des enfants élevés par Luna, puisque ni le père, ni la mère ne pouvaient ou ne voulaient les élever. Ou ils préféraient peut-être les savoir éloigner de leur mode de vie.
J'ai l'impression que Connor a hérité de la sensibilité de son père (Bon sang, je dis ça de Max *choquée*) ou d'un don de médium, peut-être ?
Il faut dire que la maison Villaréal est empreinte de tellement de drames que certaines personnes doivent le sentir. Comme Connor.

C'est intéressant en tout cas, cet épisode. Et ces enfants. J'espère qu'ils pourront être un peu épargné de la folie de leurs parents.
GGO a dit…
Agathe Oui, c'est exact, Connor a la même sensibilité que son père. Hâte de vous en parler, même si ce n'est pas pour tout de suite ! ^^"

Croisons les doigts très fort, alors :D