2.18 Heave, Ho !

 




 ⚠ Trigger Warning : Violences  

Récit pour public averti






- " Ouuuaaaiiiss ! Bravo Rog ! Ha ha on va pouvoir faire des tours tous les deux !"

L'enfant saisit l'animal avec enthousiasme et plonge son visage dans son épaisse fourrure dont la poussière qui la recouvre le fait éternuer.

- " Oh faut vraiment qu'on te rachète une brosse..."

À cette pensée, Téo se rembrunit. Combien de choses encore allaient-elles allonger la liste des choses laissées dans son ancienne maison ? Son ventre se serre d'appréhension alors qu'il jette un regard anxieux aux alentours. Il déteste cet endroit. C'est moche, il n'a pas de chambre, et les gens lui font peur. Et son père... il est où son père ? La chaleur est étouffante mais pourtant le garçon frissonne : il ne sait pas l'expliquer, mais il a le sentiment de perdre un à un les composants de sa vie.
Un vrombissement électrique, en direction duquel il tourne instinctivement la tête, le sort de ses pensées. Il découvre alors le premier enfant qu'il voit dans le quartier, juché sur un quad qui ressemble à ceux qu'il entoure dans les catalogues de Noël depuis qu'il est en âge de tenir un crayon. Des lunettes d'aviateurs sur le nez et un casque hyper classe sur le crâne, le petit pilote fait forte impression à Téo qui le regarde bouche bée manœuvrer avec aisance malgré l'allure pour se garer et saluer Melissa Martinez à qui il signifie avoir un paquet pour elle.
Intimidé, Téo se contente de serrer son compagnon à quatre pattes contre lui, avant de lui faire la discussion pour se donner une contenance lorsque le petit aux airs de caïd déboule sur la terrasse en balançant des épaules.


Le jeune garçon, que Madame Martinez appelle Tomas, va repartir quand il semble subitement changer d'avis et se diriger vers lui selon une trajectoire en épingle.


- " Il est trop cool ton raton-laveur. Ca fait longtemps que tu l'as ?
- " Non... On vient de l'adopter. 
- " Ah ouais ? Mais adulte et tout ? 
- " Ouais. Il me suit partout. La vétérinaire pense qu'il a été élevé avec des humains.
- " Ouah trop la classe. Il s'appelle comment ?
- " Rog.
- " Ouah trop la classe. Hey, t'as des cartes Void Critters ?
- " Heu..." Hésite Téo devant le changement soudain de sujet. " Nan. Ma mère voulait pas que j'ai de console. Mais là pour Noël elle a dit d'accord.
- " Oh la loose. Bon c'pa grave, y'a des trucs qui reste ici. Des vieux trucs, mais j'y ai joué cet été et ça marche encore. Tu veux jouer ?
- " Heu... Oui..."

Melissa Martinez a donc sorti la vieille console et Tomas a distribué les cartes, dont la répartition a laissé Téo circonspect : 

- " Hey c'est pas parce-que j'ai pas de console que je sais pas que Kampos il est tout naze.
- " Mais c'est un truc qui date de la préhistoire. Les meilleures cartes ont été volées par les autres enfants qui venaient ici. Regarde, moi, qui j'ai.
- " Bah c'est quand même mieux qu'un poussin. 
- " Haha un poussin. Franchement j'te jure ça change rien ils ont le même niveau. On changera après si tu veux.
- " Ok, d'accord."


Téo observe son camarade pendant que ce dernier manipule les cartes électroniques afin de les insérer dans la console. La délicatesse n'est visiblement pas son fort - il n'est pas mécontent de ne pas avoir de jouets à lui prêter, finalement - il n'aime pas tellement son côté présomptueux, mais son naturel avenant le rend malgré tout sympathique. D'ordinaire, ce n'est pas un garçon vers qui il se serait tourné pour jouer. Cependant, étant donné le peu de propositions que le coin offrait, il n'allait pas faire la fine bouche.
Dans l'attente du chargement de la partie et pendant que Tomas étale sa science comme de la confiture, Téo se permet un petit soupir, soulagé de reprendre sa place d'enfant, ne serait-ce qu'un instant.





***







Le soleil décline lentement mais sûrement à l'horizon, balayant méthodiquement les lames du store une à une. Quand celles-ci commenceront à s'assombrir, il y aura urgence. En attendant le décompte de ce sablier clair-obscur, elle laisse son esprit s'enliser dans des débats intérieurs sans fin : partir comme cela était prévu, rester ici à l'écart, ou participer au rapt kamikaze d'une pièce maîtresse de l'échiquier au risque de saper les efforts qu'a pu fournir Daniel pour être dissocié de La CLOES ?
En pensant à la future victime, un profond malaise la fait changer de position.


Si Daniel est vivant, cela va le rendre fou. 
Il ne lui a jamais parlé d'elle, mais il n'a pas eu besoin. La photo farouchement gardée par Silvia contre toute raison, les silences manifestement douloureux de son compagnon sur la jetée, les diversions habilement amenées quand le nom du Docteur survenait lors des élaborations de plans étaient autant de signes qui la rendaient intouchable. Il lui paraît improbable que cette femme et Daniel soient en bon terme, mais connaissant son partenaire, c'est une évidence qu'il ne supportera pas que son camp lui fasse du mal. Sachant cela, il est de son devoir de veiller à la sécurité du Docteur Muto. Mais prendre cette décision, c'était faire un sacrifice dont elle n'arrivait pas à mesurer le bénéfice. D'un côté elle risquait d'y passer, de l'autre elle passerait le reste de sa vie à regretter de ne pas avoir tenté sa chance. 
Tout ce qu'elle avait fait depuis la mort de Mario n'avait été qu'une série d'obligations, de choses à accomplir pour réaliser sa vengeance. Ce soir, elle veut et peut faire un choix pour elle. Julie sent, au fond, qu'elle est enfin prête à abandonner le combat si cela lui permet de sauver Daniel. Mais les chances de survie sont minimes, ce qui revient à abandonner Téo. Instinctivement, ses yeux se tournent vers son téléphone, là où sont affichées les données qu'elle et Daniel ont commandé la nuit de leur fuite après avoir déposé le petit paquet dans une boîte aux lettres. Peut-être qu'il est temps... Pour tout le monde.
Une ombre familière obscurcit la lucarne de la porte avant de pénétrer dans la pièce. Vaseuse, elle se redresse pour accueillir son amie, amie qui n'ose même plus demander comment elle va et demande d'un ton las :


- " Tu es décidée ?"

Décidée à quoi ? À mourir ? À abandonner un enfant ? L'homme qu'elle aime ? Comment faire un choix pareil ?
Luna soupire et s'assoit lourdement sur le lit avec une aura tellement chargée de mépris que Julie en tombe à la renverse sur les couvertures.



Elle se met à pleurer à chaudes larmes, terrassée par la détresse qui l'habite. Au bout d'un moment, elle sent le matelas se redresser, comme libéré d'un poids, et Luna souffle : 

- " Je ne peux plus faire ça. Je ne suis même pas désolée, Julie. J'en peux plus. Je pars."

Julie se redresse brusquement et essuie ses larmes avant de se précipiter pour la retenir.

- " Tu ne peux pas faire ça !"


- " Eh ben regarde-moi bien.
- " Tu ne peux pas partir maintenant !
- " Si ! SI ! C'est mon devoir, même ! J'ai tout essayé. J'ai été patiente. Mais à ce stade, tu as besoin que quelqu'un te fasse revenir à la raison de force ! Si la seule solution qu'il me reste c'est de te lâcher, eh ben je vais le faire !... "


- " ... Je ne suis pas une putain de babysitter. Je t'ai toujours soutenue, j'ai mis ma vie en parenthèse pour venger Mario et veiller sur sa femme, mais ça va trop loin. J'en ai marre. C'est sans fin.
- " Je ne peux pas le perdre lui aussi..."



- " TU L'AS DEJA PERDU !" Explose Luna. "Ce serait le premier à être fou de rage de voir que tu traînes dans les parages alors que vous AVIEZ TOUT PREVU pour votre sécurité ! ÇA me rend complètement barge que tu ne respectes pas le plan ! Mais BORDEL bien sûr que tu n'arrives pas à faire un choix ! Ce n'est pas le moment d'en faire un ! C'est pour ça que le plan de sortie est tracé à l'avance ! Pour ne pas avoir à réfléchir et sauver son cul ! Mais bordel Julie tu as perdu la tête ?! Tu veux tous nous faire crever à pleurnicher nuit et jour dans cette piaule miteuse ? Il s'est SACRIFIÉ ! Pour que vous viviez LIBRE !! Et toi tu restes là à te demander si tu vas aller piétiner son sacrifice dans une mission kamikaze ? Parce-que si ce n'est pas la milice d'Oaz'Corp qui te dégommera c'est le Villareal. De ce qu'on en sait, ça peut très bien être un piège pour te coincer. S'il sait pour Kate, il sait forcément pour toi.
- " S'il l'avait...
- " ARRETE ! ARRETE DE FAIRE CA ! ARRETE DE TROUVER DES EXCUSES ! J'EN PEUX PLUS !" Des larmes menaçant de déborder, Luna reprend, la voix cassée : "J'en peux plus. Tu ne sais toujours pas si tu as décidé de mettre fin à ta vie ce soir, mais c'est certain que tu as décidé de rester. J'ai pas signé pour ça. J'ai pas signé pour annoncer à tes gosses que tu as choisi des morts au lieu d'eux. Ne compte pas sur moi pour ça. Je me barre.
- " Eh ben vas-y, barre-toi..."


Une cacophonie insoutenable s'élève alors dans la pièce :

- " Mais moi je refuse de lui tourner le dos...
- " C'est ce qu'il t'a demandé...
- " Il a tout sacrifié...
- " Pour que tu vives...
- " Pour ses parents, pour ses sœurs...
- " Qui ont tous joué leur rôle...
- " Il n'y a personne pour se battre pour lui...
- " Parce-qu'il y a un moment pour se battre et un autre POUR FUIR...!
- " IL EST PEUT-ETRE VIVANT QUELQUE PART...
- " TU N'EN SAIS RIEN !
- " S'IL Y A NE SERAIT-CE QU'UNE CHANCE JE DOIS LA SAISIR ! JE NE DORMIRAI PLUS JAMAIS SI J'APPRENDS QUE J'AURAIS PU FAIRE LA DIFFERENCE ! JE NE PEUX PAS LE LAISSER MOURIR SEUL LUI AUSSI ! PAS DEUX FOIS !"



- " Tu es ridicule. Villareal revient avec une armada, personne n'a besoin de toi. Ton complexe du sauveur est en train de tout foutre en l'air. Les seules personnes pour qui tu es indispensable, Julie, ce sont tes enfants. POINT FINAL. Mais comme t'as décidé d'être conne..."


- " ...Je n'assisterai pas à ça. Débrouille-toi sans moi."

Luna fait alors volte face et sort de la chambre avant de violemment claquer la porte dans le bruit de ferraille des stores métalliques. Le souffle ample et rapide, Julie secoue la tête nerveusement.

- " Je lui dois ça. Je lui dois de tout faire pour le garder en vie. Il est venu me sauver. C'est à mon tour."



Julie aimerait se persuader qu'elle a toute sa tête. Mais elle ne peut nier que les pensées qui s'entrechoquent dans son crâne sont inquiétantes. Pourtant, elle ne ralentit pas. Poussée par l'énergie du désespoir, elle court presque vers le moment qu'elle redoute de tout son être, emplie d'une litanie capiteuse emplie de panique : 

Mario est mort... Daniel ne peut pas mourir. Mario est mort, Daniel ne peut pas mourir. Daniel ne peut pas mourir. Daniel ne peut pas mourir. J'ai déjà perdu Mario, je ne peux pas perdre Daniel. On ne peut pas me demander ça. 
On ne peut pas me demander ça.








Si vous n'avez pas de mes nouvelles d'ici 72h, voici les personnes à contacter.


Il y a une lettre pour Téo qui lui explique tous nos mensonges.


Juliana s'en sortira, elle se prépare à cela depuis la mort de son père.


Pour Téo, en revanche... Prions pour que je revienne saine et sauve.


Je ne cherche pas d'excuses...


...simplement un moyen de me réparer.




***






"I've seen that look in your eyes
It makes me go blind
Cut me deep, the secrets and lies
Storm in the quiet
Ooh, ooh, ooh
Ooh, ooh, ooh
Feel the fury closing in
All resistance wearing thin
Nowhere to run from all of this havoc
Nowhere to hide
From all of this madness, madness, madness
Madness, madness, madness"




Tout est prêt.


Les hommes, le retour, les papiers.


La route est tracée. 
Il a 72h. 72h pour venger Jane, 72h avant que la rage du chef de la Mafia Oruscant ne s'abatte sur lui. 
Son temps est compté, mais il a déjà gagné. Sa vengeance accomplie, il partira en paix. La relève est assurée - relève à qui il a ôté une sacrée épine du pied en liquidant le fils Oruscant - et ses fils seront en sécurité. Lui n'a plus rien à faire là.
Il pénètre dans le vestibule d'un pas décidé pour récupérer ses affaires dans sa chambre quand il se fait interpeler vivement par sa sœur.


- " Ah te voilà !"


- " Max !! MAX !!!"

ll se retourne brusquement, ne cherchant pas à masquer son agacement et son mépris, mais cela n'impressionne pas Luna qui explose :


- " Tu te moques de moi ?!" S'emporte-t-elle. "Tu te prends pour qui pour débarquer ainsi avec ta meute de sauvages ?! Il y a des enfants ici ! Des enfants pour qui tout ceci n'est pas un spectacle ! J'ai construis quelque chose ici ! Un havre de paix, ENFIN, pour qu'ils puissent grandir en dehors de toute violence ! Et toi à peine tu reviens que tu mets tout cela en péril ! J'en ai marre ! Toute ma vie j'ai été patiente avec toi, j'ai tout tenté pour essayé de t'aider, jusqu'à élever tes propres enfants !!! Mais ce n'est jamais assez ! Tu es un homme, maintenant, un adulte ! Tu n'as plus d'excuse pour perpétuer tes méfaits et te dédouaner de tes responsabilités ! Car OUI ! Ce n'est pas parce-que j'ai tout pris en charge que ça te permet de t'affranchir de tes devoirs maintenant que tu es rentré !! Non pas que cela m'enchante, non non, mais mes désirs ne changeront jamais le fait que c'est toi leur père ! Ou alors tu abandonnes tes droits parentaux et tu ne reviens plus JAMAIS !!!
- " C'est ce qu'il va se passer. J'ai tout réglé avec Pierre Oruscant.
- " Co... Comment ?"


- " Quoi ? C'est pas c'que tu veux ? 
- " Et tu as réglé quoi, au juste, avec Pierre ?
- " L'héritage. Tu hérites de tout, sauf de la maison.
- " Comment ?
- " Je te laisse tout. Mais je garde la maison.
- " Mais c'est une plaisanterie ?!..."


- " ... Et vous avez fait ça dans mon dos comme deux gros machos de patriarches ?! La maison est à MOI ! Je tiens tout à bout de bras toute seule dans cette ville où Père et toi avez tout fait pour détruire notre nom, tu ne t'imagines pas une seconde le mal que j'ai eu à le réhabiliter. Et toi tu arrives et tu penses pouvoir décider pour moi ? C'est moi qui habite dans cette maison, tu n'es qu'un courant d'air !"

Max lutte comme jamais. 

"Pas touche à Luna."


Les voix se mêlent aux cris de sa sœur et le déchirent de l'intérieur. Il bout, mais trouve la force de faire un pas en arrière.

"Pas touche à Luna."

C'est si dur... Il voudrait tellement qu'elle se taise. Il faut qu'il se contrôle à tout prix. Mais sa sœur ne voit pas la brèche qui est en train de s'ouvrir sous ses pieds.

- " Tu n'as aucune idée de tout ce que j'ai dû endurer quand je me suis retrouvée seule à la tête de la famille ! Vous avez fait tellement de mal ! Père disparu, tu avais une chance de te sortir de son influence, mais tu as paresseusement choisi de marcher dans ses traces ! Tu joues les durs depuis ta plus tendre enfance mais tu sais ce que c'est le courage ? Le vrai courage ? C'est celui d'oser se démarquer d'un modèle archaïque, à fortiori en étant une femme ! Je suis sortie de votre ombre malfaisante et je te garantis que je n'y retournerai pas ! Je ne serai pas une victime collatérale comme Mère ! Je n..."


Sa main puissamment resserrée autour de la gorge de sa sœur, Max vocifère : 

- " Ne parle pas de notre mère. TU NE SAIS RIEN !"

Il soulève le bras puis bascule violemment le corps de Luna contre le sol qui l'accueille dans un bruit sourd à peine masqué par son cri de douleur. La respiration coupée, son instinct de survie la fait néanmoins reprendre rapidement ses esprits et tenter de se dégager de la poigne du monstre qui la toise, parfaitement conscient qu'elle ne peut lui échapper.

- " Tu ne sais rien..." reprend-il avec une colère froide.


- " Tu parles de souffrance... Tu dis que tu as tenté de m'aider..." Ses doigts plongent dans la chair de son cou. "Mais tu n'as fait que fermer les yeux et les oreilles. Notre mère est morte sur le pas de ta porte. Elle a tapé des poings et des talons contre le parquet... Exactement comme tu vas le faire dans un instant. Jacques Villareal, que tu sembles aujourd'hui détester mais qui te couvrait d'attention et de cadeaux quand il était vivant... Quand moi il me tabassait et que vous détourniez le regard avec Hugo ? Tu vas me faire ton petit numéro d'ingrate à moi qui aie surpris notre père dans la même position que la mienne en train d'achever notre mère ? Car oui, c'est moi qui aie tout vu, c'est moi qui vit seul avec ça depuis mes dix ans quand toi tu passais ton temps devant ton miroir et Hugo le nez dans le frigo, sourds à mes hurlements diurnes ou nocturnes. Tu dis que tu as tenté de m'aider..."


- " ... Mais c'est faux. Tu te donnes bonne conscience. Tu ne voulais pas savoir. Tu avais trop peur de découvrir ce que je cachais derrière ma rage et mes draps mouillés. Alors ne me parle pas de souffrance espèce de pétasse des beaux quartiers parce-que tu ne sais pas ce que c'est."

Les bras tremblants sous l'émotion, ils persistent néanmoins à forcer sur la gorge qui ne va pas tarder à se briser. Max, littéralement en train de vivre son pire cauchemar, est à deux doigts de s'écrouler sous la douleur qu'il ressent dans le ventre et la poitrine. Ses enfants sont descendus, alertés par les bruits, et hurlent de peur derrière lui. Il se revoit, à leur âge, tremblant et impuissant face au meurtre de sa mère. Ils sont là, à pleurer, inutiles, fragiles, alors qu'il est en train de démolir leur monde comme on a démoli le sien à l'époque. Il ferait tout aussi bien de foutre le feu avec tout le monde à l'intérieur. Qu'on en finisse... Il va enfin abréger les souffrances de sa victime quand dans un dernier sursaut elle lève la tête, suite à quoi il remarque que son regard a capté quelque chose qui la terrifie. Une chose derrière lui. Une pensée le percute alors : il n'entend que deux voix. 

Où est Connor ?






Son instinct ne l'a pas trompé.
Il balaie immédiatement l'air avec son bras et projette le garçon contre le mur, sans pour autant avoir réussi à éviter le deuxième coup de couteau habilement asséné suite à l'échec de la première tentative. La blessure est cuisante mais l'attention de Max est retenue par son fils qui se relève promptement et va se placer dans une attitude protectrice au-dessus de sa tante, profitant de l'espace qu'il vient de lui ménager en reculant afin de mieux pouvoir réagir.




Soufflé par l'audace, Max peine à prendre la mesure de ce qu'il vient de se passer. Durement fixé par le garçon qui vient de réussir l'exploit d'écarter un colosse comme lui en une seule manœuvre, il se sent supporté par une aura meurtrière qui le pousse dans le dos. Mais Max ne peut pas. Ce gosse a eu le courage qui lui a manqué. Il reconnait bien devant lui la hargne des O'Meara ; c'est un petit O'Meara qu'il lui tient tête, le petit de Jane. 


Puis l'enfant ouvre la bouche, et il comprend qu'il y a autre chose : 

- " Tu devrais y aller."

Max ferme les yeux. Nul autre que lui n'a senti le son vriller, il le sait désormais. Il a toujours cru qu'il était malade. Mais alors qu'un rire familier le fait frissonner, qu'il voit l'air vibrer autour de son fils, il réalise que l'enfant est condamné à une vie de violence si personne n'intervient. 
Connor est-il conscient de ce qui lui arrive ? Traité médicalement comme lui-même l'a été, il est fort probable que cela ait entravé la compréhension du phénomène.
Pris d'une résolution soudaine, Max se lève, son mouvement provoquant un cri chez Luna qui se jette à son tour sur Connor pour faire barrage avec son corps : 

- " NON ! NON ! C'est un enfant Max ! Ce n'est qu'un enfant !"


- " Ne t'inquiète pas Tata Luna..."


- " Je le gère."




Connor est en danger. Luna, comme à son habitude, ne voit rien et va répéter les mêmes erreurs que leur père. Elle va le bourrer de médocs pour le faire taire sans pour autant régler le problème.

- " Il est comme moi." Finit-il par dire.
- " Non !" Proteste-t-elle en se tournant vers lui le visage plein de larmes. "Il n'a rien à voir avec une brute comme toi.
- " Il est comme moi et il va dégénérer de la même façon si tu continues à le droguer. Il y a une autre solution."

À ce dernier mot, il voit qu'il a enfin capter l'attention de sa sœur : 

- " Emmène-le voir la vieille Gisemonde à Glimmerbrook. Elle a des réponses à lui apporter. Maman voulait m'y emmener mais... mais Père s'y est opposé. C'est en parti pour cela qu'elle est morte. Elle s'est dressée contre lui en contactant une communauté historiquement ennemie avec notre famille et a failli déclencher une guerre de clans... Mais Père a maté le mouvement et... Et il s'en est pris à notre mère. Tu n'as pas bronché mais je sais que tu as remarqué que sa brutalité s'est aggravée à mon encontre depuis ce jour. Il m'a toujours reproché son acte. Il me considérait comme une malédiction, à tel point qu'il a tenté de me tuer pendant mon sommeil une nuit. Mais là non plus tu n'as rien entendu alors que j'ai fait un bordel de tous les diables en espérant que quelqu'un vienne à mon secours... Mais ni toi ni Hugo n'êtes venus. Comme il n'a pas été au bout, je me suis persuadé qu'il avait une faiblesse. Qu'il n'était pas le monstre invincible que je me représentais. Personne n'a jamais essayé de me secourir, alors je me suis débrouillé tout seul. J'ai encaissé, j'ai tout noté dans un coin de ma tête. Et un jour j'ai eu l'opportunité. Je l'ai saisie sans trembler et je l'ai abattu en maquillant son meurtre. Je suis visiblement incapable de protéger, mais je sais me venger. Tout ce bordel, dehors, c'est pour venger sa mère." Il montre Connor du menton. "Personne ne m'en empêchera. Et tu ne voudras pas être là quand je reviendrai avec ma prise. Alors tu prends le minimum et tu te barres. Je t'ai tout laissé, mais je garde cette putain de maison. Gisemonde. À Glimmerbrook. C'est mon dernier avertissement et ta dernière chance de stopper cette putain de malédiction."





Dos à la porte d'entrée, le vent de la mer fouettant son visage, il prend une goulée d'air et prend le temps de retrouver son calme avant de poursuivre sa course. Il trouve une certaine tranquillité dans le bruit des rafales qui frappent les rochers en contre-bas. C'est endroit n'est pas un endroit comme les autres, il le ressent très nettement dans son corps mais surtout, pour la première fois, il l'accepte. C'est pour cela que tout doit se terminer ici. Il clôturera son histoire sur ses terres, là où sa mère et sa femme ont péri, dans un embrasement si formidable qu'il fera fuir toute vie pour des générations. Les vieux esprits ont tourmenté assez de personnes et de destins comme cela.

Il faut que cela cesse. 


Le corps lourd mais le cœur léger, il trouve la force de mettre un pied devant l'autre et de gagner sa voiture. Il se laisse pénétrer une dernière fois par les embruns de l'océan qui se défoule en contre-bas puis plie sa langue entre ses dents pour émettre un sifflement puissant et autoritaire tout en balançant son bras en l'air, au bout duquel son index effectue des rotations rapides, invitant tout son équipage à se mettre en branle. Injonction immédiatement suivie d'effet au son de leur cri de guerre...




Heave, Ho !



"...thieves and beggarsNever shall we die"








"The king and his men stole the queen from her bedAnd bound her in her bones"


"The seas be ours and by the powersWhere we will, we'll roam"


"Yo-ho, all togetherHoist the colors high"



"Heave ho, thieves and beggarsNever shall we die"










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Commentaires

Eulaline a dit…
On sent qu'on glisse doucement, sans nulle part où s'agripper, vers la fin de la saison, le moment où tout va déraper (?). C'est un chapitre incroyable, encore, que tu nous livres. J'ai adoré.
rooh que cette première partie dans l'innocence des jeux d'enfants fait du bien et contraste tellement avec l'enfer que vit Connor et sa fratrie même si on sent à quel point le petit Téo vit des moments difficiles, tout son monde a basculé (et encore, nous on sait à quel point ce monde était factice mais il était "rassurant")
Pauvres Julie et Max et Luna.
On ne peut plus revenir en arrière, ni pour Julie ni pour Max. Ce qui doit être fait sera fait.

J'espère que ce que va trouver à Glimmerbrook Luna pourra vraiment aider Connor (je suppose que ce sera pour la prochaine saison)

Vraiment magnifiques, tes illustrations. Mention spéciale pour les poses du petit Connor ♥

GGO a dit…
Eul

Je sais pas si je l'avais dit mais il y a 22 chapitres donc oui, on y arrive.
Le chapitre 19 est en 3 parties que je vais exceptionnellement publier sur 3 jours, du jeudi au samedi. :)

Connor et Glimmebrook c'est un projet à part, vraiment surnaturel. Mais bon... C'est pas pour tout de suite XD

Un grand merci pour ton message, c'est toujours très rassurant de te lire <3
Nathalie986 a dit…
Je viens de tout rattraper, et je suis soufflée par la tournure qu’ont pris les évènements. Aucun des personnages n’est épargné, les blessures sont profondes, et certaines ne seront probablement jamais guéries.
Concernant Max, j’ai tout de même de la peine pour lui car il était prêt à décrocher, et la mort de Jane (si elle est morte, car on ne fait que le deviner), puis le meurtre d’Oruscant lui ont fait péter les plombs...
Et Connor... si courageux. Il m’a soufflé, ce petit. J’espère sincèrement qu’il y aura une solution pour lui, à Glimmerbrook.

Je me demande si certains points vont être éclaircis ou laissés en suspens :
Que va-t-il arriver à Daniel ? Sortira-t-il des cachots d’Oaz’Corp ? J’aimerais beaucoup savoir ce qu’il pense...
Quelle est cette idée qui est venue à l’esprit de Victor ?
Julie va-t-elle se sortir vivante de son opération kamikaze ?
Va-t-on avoir des nouvelles de Corey, Silvia et Kay, avant la fin de la saison ? (j’ai été très heureuse de la guérison de Corey. J’espère qu’il est complètement rétabli)
Que s’est-il passé à Selvadorada ? John l’ignore-t-il vraiment ou cache-t-il la vérité ?
Saura-t-on qui est Caletseya ?
Que va-t-il advenir de Dimitri ? Il n’a pas l’air très bien depuis son intrusion dans le cerveau de Daniel.
Que va faire Lin pour avancer, maintenant qu’elle vient de retrouver un peu de lucidité ?
Il y a encore plein de questions sans réponses, et je ne vais pas toutes les nommer, hein...
Je sens que tu nous prépares une fin de saison explosive. Vivement jeudi, si j’ai bien compris !

Je tiens quand même à donner une mention spéciale à Nadia pour la belle baffe qu’elle a mise à Gerold. Quel bien ça fait !
J’aime beaucoup le personnage de Nadia et j’ai été ravie de la voir reprendre du poil de la bête.
Je salue aussi la collaboration entre Silvia et Idril. Je pense que ça leur permettra à toutes deux de vivre.
Je me régale à te lire. Ton histoire est vraiment prenante, et très bien menée.
GGO a dit…
Nathalie

Oui, Jane est morte. C'est vrai que Sharon n'était pas à un mensonge près mais elle a bien dit la vérité.
En réalité, c'est bien la mort de Jane qui lui a fait péter les plombs. Le meurtre d'Oruscant n'est qu'une conséquence. Perturbé à l'extrême par le deuil et ses fantômes, il sait qu'il va perdre pied. Il sait aussi que son équipe subit le chefaillon qu'est devenu le jeune Oruscant et il n'a pas le temps de le remettre au pas. Le désarroi de son amie, la souffrance de cette fille... Il décide donc de régler le problème définitivement. On pourrait croire que ça n'arrange pas ses affaires, mais en réalité il s'est donné l'opportunité de cramer la chandelle par les deux bouts, histoire d'en finir au plus vite.

Pour le reste, tu vas avoir des réponses à tes questions, mais évidemment tu en auras d'autres XD J'suis pas sympa XD

Un grand merci en tout cas pour ton message, ça me fait tellement plaisir d'avoir des retours.

On se retrouve bien jeudi... puis vendredi et samedi, car le chapitre 19 est en 3 parties 🥳

Encore merci et à bientôt j'espère !