2.09 La cible fait l'alliance - Partie 1






Julie sent sa cage thoracique se soulever sous l'effet du soulagement. À mesure que Don approche, elle se rend compte à quel point il a été l'allié indispensable de tous les moments critiques, répondant toujours présent. Pour elle qui se sent si seule ces derniers temps, le voir arriver l'émeut plus que de raison.


- " Mais pourquoi a-t-elle besoin d'une dent de lait "fraîche" ? Et pourquoi a-t-elle besoin d'une dent de lait tout court ?"

La perplexité est de taille chez le médecin qui arrive encore à s'étonner des demandes que l'on peut lui faire.

- " Je ne sais pas trop quoi te dire, Don... Elle est restée très mystérieuse. Elle m'a juste dit que cela concernait Corey, que ça pouvait le sauver."

Don écarquille d'abord les yeux puis fronce les sourcils. Il ouvre la bouche, la referme, puis l'ouvre de nouveau mais rien n'en sort. Il finit par dire : 

- " C'est très étrange... Je... Enfin... J'imagine que ça ne me regarde pas...  Écoute... C'est ton fils. Si tu penses qu'il faut le faire, je te suis. On va trouver un moyen de ne pas rendre l'expérience compliquée pour Téo. 
- " Je lui ai déjà dit qu'il avait une petite carie sur une de ses dents qui commence à bouger...
- " Ok, très bien. Tu veux qu'on fasse ça maintenant ?
- " Si tu as ce qu'il faut, oui, je veux bien.
- " Je vais chercher mes instruments dans la voiture. Juste... Tu es au courant de ce qu'il s'est passé à l'O'Mé ?
- " Non...
- " Jane a pété les plombs. Elle a voulu tout faire sauter, en pleine journée, et a tiré sur Djalil qui tentait de l'arrêter."


- " C'est pas vrai...
- " Eh si... Il ne fait pas bon vivre là-bas si tu veux mon avis. Vous êtes partis au bon moment... "

Il s'interrompt, remarquant sûrement le trouble dans ses yeux à l'évocation - même implicite - de Dan. Il demande avec précaution : 

- " Tu n'as pas de nouvelles ? "

Elle secoue négativement la tête.

- " Pars, Julie. C'est le moment. Je vais prendre mes distances avec eux aussi. Mais si tu as besoin de moi, passe par les Martinez. Je viendrai immédiatement."

Julie arrive à esquisser un sourire : 

- " Merci Don... Tu ne peux pas savoir à quel point je te suis reconnaissante pour tout ce que tu as fait pour nous.
- " Pour ne rien te cacher, je suis aussi content d'être tombé sur vous. La pétage de plomb de Jane à la minute où vous n'êtes plus là en dit long sur l'influence que vous avez eu sur la lutte et sur toute l'équipe. Mais comprends-moi bien... Ne te sens pas coupable de partir. Jane est hors sol désormais. Vous ne pouvez plus rien pour elle. Il est temps de penser à vous maintenant. Sincèrement, partez... Allez. Je vais chercher ce qu'il faut."

Elle hoche la tête, mais elle est déjà ailleurs. 


Jane... Les dernières nouvelles transmises par le médecin lui serrent le ventre. Elle ne devrait pas être seule. Elle au moins, elle a les enfants qui la poussent à avancer. Jane n'a plus personne. Elle dirait bien qu'elle se sent tiraillée par le dilemme qui lui barre le front et la poitrine, mais au fond, elle est parfaitement consciente qu'elle est soulagée d'avoir encore quelque chose à faire ici.





***







Jane s'applique. Elle s'est laissée aller ces derniers temps. Elle est en train de perdre le fil. Or, cette dernière corde à son arc, c'est tout ce qui lui reste.
L'arrivée de Max est à la fois une bénédiction et un problème. Sans lui, elle ne serait jamais sortie aussi vite de la cave. Avec lui, elle peut surfer sur son autorité naturelle le temps de se reprendre en main, de surmonter le deuil. Mais avec lui aussi, c'est revenir en arrière, vivre comme dans le passé... Et si pour Max ces années loin l'un de l'autre n'ont rien changé, ce n'est pas du tout le cas pour elle. Le plus terrifiant dans tout cela reste l'incertitude dans laquelle ce sauveur impromptu l'a jetée : est-elle digne de la confiance qu'il place en elle ? Doit-elle être fiable ? Fidèle ? Envers qui ? Doit-elle restée, doit-elle partir ? Est-elle seulement toujours maîtresse de sa destinée ou vient-il de la renvoyer à ses anciennes chaînes ? 






***







Le cœur à cent à l'heure et les mains moites, Anjana, bien qu'elle ait les clés, frappe frénétiquement à la porte de l'appartement de Nadia.


La voix émettant un curieux mélange d'inquiétude et de fermeté, la mère de famille énonce : 

- " Nadia, c'est moi ! Ouvre s'il te plaît."

Trouvant qu'attendre une seconde était bien trop long, elle cogne à nouveau ses phalanges contre le bois : 

- " Nadia ! NA-DIA ! Je vais entrer !"

Elle entend finalement des gonds grincer, ce qui lui fait pousser un soupir de soulagement. 


Soupir qui n'a pas fini sa course quand il se trouve coincé dans sa gorge devant le triste spectacle qu'offre l'appartement.



Le regard hésitant de Nadia lui indique qu'elle lit dans ses pensées. Mais ce n'est le sujet. Le désordre est juste une nouvelle corde à son arc pour faire entendre raison à sa fille.
Anjana prend alors un air résolu et annonce : 

- " Nadia, il faut qu'on parle."

Les épaules de cette-dernière s'affaissent davantage et se tournent vers la table de la cuisine où Nadia va s'effondrer.


L'estomac serré, Anjana va prendre place à ses côtés. Ce n'est qu'à cet instant qu'elle remarque les ecchymoses sur la peau de la jeune femme. Elle souffle alors : 

- " Mon Dieu Nadia, que s'est-il passé ?!"

Elle lui répond entre deux sanglots : 

- " Ce n'est rien... C'est au boulot..."

Anjana soupire, se retenant de cracher une bonne fois pour toutes toutes les réticences qu'elle a concernant le travail de Nadia, car encore une fois, ce n'est pas de ça dont il est question pour le moment.

- " Que se passe-t-il, Nadia ? Je crois qu'il est temps que tu me parles. "

Sa fille se redresse et s'essuie les yeux comme elle peut : 


- " S'il te plaît, reste en dehors de ça.
- " Non, Nadia. Je suis suffisamment restée en retrait. Être adulte ne veut pas dire qu'on doit tout supporter tout seul."


- " Je le sais, ça... Mais là tout de suite j'ai besoin d'être seule. Ça peut se comprendre, non ? Je sais que tu as toujours beaucoup aimé Fabien mais je ne veux pas que tu me persuades de revenir sur ma décision.
- " À parce-que tu penses que c'est pour cela que je suis là ? Mais détrompe-toi ma cocotte ! Je suis là pour te botter les fesses et te secouer les puces !"


- " Je ne sais pas ce qu'il m'a pris de te laisser t'enliser comme ça dans les problèmes, mais c'est terminé maintenant ! À force d'avoir peur du conflit je suis restée en retrait et t'ai laissée prendre des décisions plus dingues les unes que les autres. Tu m'as complètement embobinée avec tes justifications mais au fond, je n'étais pas dupe ! Je ne l'ai jamais été ! J'avais juste peur que tu te fermes complètement à moi. Eh bien mal m'en a pris ! Regarde le résultat ! Je te retrouve échouée sur la table, couverte de bleus, de la vaisselle sale partout et avec une hygiène plus que douteuse ! C'est ça ton plan de vie ? Tout va comme tu veux ? Tu n'as pas l'impression que tu aurais un tout petit peu besoin d'aide, par hasard ? NAN ne réponds pas, c'était une question rhétorique. Ce qui m'intéresse vraiment, c'est de te sortir de là, maintenant. Et on va commencer par une explication : que t'a promis Gerold pour te garder sous sa coupe ?"

Les iris de Nadia vacillent avant de flancher.

- " Je ne peux pas te le dire. Moins tu en sais, mieux ça vaudra.
- " MAIS TU NE VOIS PAS QU'IL TE MANIPULE ?! CE TYPE EST UN PERVERS ! Sais-tu au moins ce qu'il attend de toi ?
- " Oui. Les choses sont claires entre nous."

Anjana a la chique coupée ; Nadia serait-elle vraiment consciente de ce qu'elle fait ? Une angoisse profonde la saisit alors : à aucun moment elle n'avait envisagé que sa fille puisse se saborder volontairement. Dans tous les scénarios qu'elle avait imaginés, Gerold maniait les fils, Nadia était sa marionnette et il avait réussi à l'isoler complètement en la séparant de Fabien. Mais tout à coup, elle doute : 

- " Pourquoi as-tu quitté Fabien ?"

Nadia baisse les yeux à nouveau.

- " Il... "

Elle soupire, lève des yeux humides au ciel, puis continue, la voix tremblotante : 

- " Je lui ai encore causé des problèmes. Je lui ai menti pour ne pas qu'il s'attire d'ennuis et cela a eu des conséquences désastreuses. J'ai peut-être compromis sa carrière...
- " C'est à dire...?
- " Il a été suspecté de violences conjugales...
- " Mon Dieu...
- " Et même s'il n'y a pas eu de suites, il y aura toujours un doute...
- " C'est... C'est lui qui est parti ?
- " Non. C'est moi. Je lui ai fait assez de mal."

Anjana sent sa gorge se serrer : 

- " Pourquoi ? Pourquoi tu ne l'as pas choisi lui ?
- " Parce-que j'ai besoin de savoir ce qui est arrivé à mes parents. J'ai besoin de retrouver mon frère."

Encore une fois, Anjana laisse la colère la submerger, parce-qu'il n'y a plus qu'un électrochoc qui pourra faire basculer sa fille du bon côté.
Elle se lève d'un bond et fonce dans la chambre.
Un hoquet de surprise la stoppe à son entrée.


Elle balaie ses yeux affolés dans la pièce en désordre puis se rappelle pourquoi elle s'est déplacée : 


- " Je le savais."


Elle accède tant bien que mal à la console où trône la photo de Daniel et son ex-petite amie et retourne dans la cuisine munie du cadre qu'elle agite sous le nez de Nadia : 

- " Le frère que tu regardes tous les jours n'est plus là. Ce garçon-là n'existe plus, Nadia. Le frère qu'il te reste, et crois-moi j'en suis bien désolée, est l'homme qui habitait en face de chez toi et qui ne t'a jamais adressé la parole. C'est l'homme qui a tout sacrifié pour que tu sois protégée, qui a fait le choix impossible de se séparer de toi pour te garder à l'abri. Ne peut-on pas juste respecter ça ? Faire en sorte que tu ais la belle vie que tu mérites ? "



- " J'en peux plus d'entendre ces arguments."


- " J'ai le droit de faire mes propres choix. Je n'ai pas la prétention d'affirmer que je sais ce que je fais, ce serait faux. Je suis paumée comme jamais. Quand j'étais ado, je savais que je pouvais compter sur vous. J'avais cette donnée dans un coin de ma tête. Mais vous savoir si proches, c'est aussi ce qui me retient.
- " Retient de QUOI ? De te foutre en l'air ?!
- " Quand bien même ce serait le cas ça resterait MA décision ! Si je fais des choix qui n'ont ni queue ni tête, c'est parce-que je suis entre le marteau et l'enclume. C'est parce-que je ne peux pas penser qu'à moi. Quand je vous vois dans le rétroviseur, je m'empêche de prendre certaines décisions et je perds. J'en ai marre aussi, Anjana. J'en peux plus. Et c'est pour ça que j'ai besoin d'avoir les mains libres. Et c'est mon droit. J'ai le droit de ne pas me conformer à ce que veut mon frère et à ce qu'on attend de moi. J'ai mon libre arbitre. Je refuse de renoncer à ma propre histoire parce-que ça arrange mon frère ou mes proches. Je suis là, j'existe, il va devoir faire avec moi. Et tu vas devoir faire avec mes choix, même si tu ne les approuves pas. Je suis adulte. C'est mon rôle de décider pour moi-même. Et peut-être que je me planterai, gravement même. Mais peut-être que j'obtiendrai des réponses, aussi. Et peut-être qu'ENFIN, je pourrai avancer et me concentrer sur cette "si belle vie qui m'attend". Seulement pour le savoir il n'y a qu'une solution : me jeter à l'eau."


Que répondre à cela ?
Vaincue, Anjana se contente de hocher misérablement la tête. L'impuissance est décidément un des pires sentiments que l'on puisse ressentir. C'est impossible de demander à un parent de regarder son enfant faire naufrage. Et pourtant... Pourtant, c'est ce qu'elle va faire.
Pour garder contenance, elle se retourne et met de l'ordre à la cuisine malgré les protestations de Nadia. Elle lui ordonnerait bien de prendre une douche, juste histoire de faire comme si elle avait encore de l'autorité, pour se rassurer, lui donner l'impression qu'elle est toujours en charge... Mais elle abandonne l'idée, consciente qu'elle devra désormais se contenter de rester sur la digue. Le corps arqué vers l'océan déchaîné qu'est la vie, le bras tendu vers la petite barque monoplace de Nadia, en priant chaque jour pour revoir sa petite fille, sa petite sauvageonne meurtrie, revenir en femme victorieuse sur un navire de guerre.










***









Julie a un coup au cœur quand elle voit qu'elle n'est pas attendue. Elle a pris volontairement son temps, encore échaudée par la longue attente de la dernière fois. C'est pourquoi voir que Silvia n'est pas là, malgré son léger retard, l'inquiète instantanément. Elle avance au ralenti quand une ombre sur sa droite la fait sursauter.


Elle ferme les yeux de soulagement. Enfin quelque chose qui se passe comme prévu.




***







Les voix se taisent quand Jane et Max font leur apparition. Jane ne se méprend pas sur la signification de ce silence : s'ils sont très probablement impressionnés par la présence du chef de la bande de Windenburg, la sienne n'inspirant désormais que mépris à son propre groupe. Cela dit, elle sait qu'elle peut compter sur certains de ses complices pour lui laisser le bénéfice du doute ; et c'est là-dessus qu'elle va travailler.


Elle se plante donc devant eux et déclare sans transition : 

- " Je peux juste pas croire ce qu'il vient de se passer. On avait un plan. Un des nôtres est tombé. Je mets à jour la trahison d'un de nos membres et c'est MOI QUE VOUS ENFERMEZ ?! LE LABO N'A PAS SAUTÉ ! QUE VOUS FAUT-IL DE PLUS COMME PREUVE ?!"

Personne n'ose répondre, tout le monde regarde ses pieds.


- " Après tout ce qu'on a vécu... Vous m'avez condamnée directement sans même chercher à comprendre ; rendez-vous bien compte de la façon dont vous vous êtes fait manipuler.
- " La seule qui s'est faite manipulée, de nous tous, c'est toi Jane."


Il la fixe droit dans les yeux mais un coup d'œil à l'homme qui assure ses arrières lui fait baisser le regard. Il continue malgré tout : 

- " Tu t'es faite phagocytée par Dan, année après année, si bien qu'aujourd'hui on ne te reconnait plus.
- " ON ? QUI ON ?! Parlez les autres ! Ça part peut-être pas de Djalil tout ce bordel ? Alors QUI, ON ? Rufus ? 
- " Calme-toi bébé... C'est vrai que tu as changé... Mais on change tous... Je ne crois pas, moi, que Dan ait eu une si grosse influence que ça...
- " Encore une preuve que tu n'es pas le plus malin..." Crache Djalil.
- " Répète ça pour voir ?
- " LA FERME tous les deux ! Et toi Julio ? T'es d'accord avec ton grand copain Djalil ?
- " ... Je sais pas... Moi j'ai trouvé ça pas si mal ces dernières années. Y'a eu moins de casse. Ça m'allait.
- " Et toi Ricardo ?
- " No quiero que nos disparemos, eso es todo.  
      Je ne veux pas qu'on se tire dessus, c'est tout.
- " Mais ne vous laissez pas embobiner par son tour de passe-passe bordel !" S'exclame Djalil. "Elle a voulu faire sauter un bâtiment rempli d'innocents !
- " Pour le coup, ça ressemble bien à Jane..." remarque Rufus. "C'est Dan et Julie qui ne voulaient pas sacrifier les employés."

Djalil lève les yeux au ciel :

- " Mais vous êtes tous aveugles, c'est pas possible ! Depuis quand on agit sur le coup de l'émotion ?! Si je n'avais pas été là, elle nous aurait tous envoyés sous les roues du fourgon qui a emmené Dan ! Mais PUTAIN MAIS MERDE !
- " Creo que estas celoso."
     Je pense que tu es jaloux

L'assemblée se fige avant de se tourner comme un seul homme vers Djalil. Ce-dernier, soufflé par l'attaque, perd toute contenance la seconde d'après et se jette sur Ricardo avec la faible fougue que lui permettent ses blessures, provoquant une véritable foire d'empoigne. Le colosse n'a cependant même pas eu le temps de lever un sourcil puisque les entraves douloureuses de son assaillant l'ont rendu aisément maîtrisable par tous leurs compères situés entre eux. Le blessé rassis avec précaution mais fermeté, tout le monde tente de retrouver son calme. Tout le monde ou presque.







***




Julie a attendu quelques secondes avant d'initier un mouvement mais la jeune femme ne bougeant pas, elle a décidé de se rapprocher d'elle. Silvia semble perdue dans ses pensées ; si sa mémoire est bonne, c'est ici qu'elle a secouru Rog.


- " Tu lui manques..." Commence-t-elle.

Silvia hausse les épaules.

- " Il n'y a rien que je puisse faire de toute façon... Je suis déjà contente qu'il ait trouvé quelqu'un qui s'occupe de lui.
- " Même s'il est sauvage avec nous autres, il est très proche de Téo.
- " C'est une petite créature exclusive... il essayait toujours de mettre de la distance entre Corey et moi. Le pauvre s'est pris quelques coups de crocs..."

Julie devine un sourire nostalgique sur le visage de la jeune femme, mais celui-ci a disparu quand elle se tourne vers elle : 


- " Est-ce-que tu as ce que je t'ai demandé ?
- " Oui."

Elle saisit une petite poche isotherme et la lui tend : 

- " C'est à utiliser le plus rapidement possible m'a dit Don.
- " Tu as dit la vérité à Don ?!
- " Bien sûr. Tu crois qu'il aurait arraché une dent à un enfant sans raison valable ?!
- " Mais... !
- " "Mais" rien du tout Silvia ! Tu perds les pédales ma parole ! Je n'allais quand même pas arracher cette dent à mains nues, sans précaution médicale ?! Donc j'ai fait appel à lui et j'ai été honnête. On lui doit bien ça. Je te rappelle quand même que c'est lui qui t'a accouchée donc on le saurait depuis longtemps s'il n'était pas digne de confiance. "

La jeune femme semble toujours désapprouver mais ne répond rien. Julie en profite pour reprendre : 

- " Il y a eu un incident à l'O'Mé.
- " Ce n'est plus mon problème.
- " Jane a tiré sur Djalil."

Silvia hausse un sourcil. 

- " Il a voulu l'empêcher d'activer les explosifs posés à Oaz'Pharma."

Cette fois, l'attention de la jeune femme est entière quand Julie poursuit : 

- " Si ça peut te rassurer, ça n'a pas explosé. Personne ne sait pourquoi exactement... Jane a l'air de dire que Djalil est un traître..."

Les sourcils maintenant froncés, Silvia réfléchit, visiblement inquiète, ce que Julie ne comprend pas : 

- " Pourquoi ne veux-tu pas que ça saute ? Je veux dire en pleine nuit, quand il n'y a personne ? Je pourrais peut-être t'aider et tirer dans ton sens à l'O'Mé ? 
- " Mais tu n'as pas compris, encore ?! "


- " Il faut que tu te barres. Y'a plus rien à faire pour toi ici. Je suis désolée, d'accord ? Je sais que tu avais besoin de te venger. Je sais. Mais tu dois te contenter des petites victoires que vous avez eu. Il est temps de changer de stratégie maintenant. Il s'agit de ma vie, de mon histoire. Vos méthodes vont à l'encontre de mes intérêts. Donc merci pour tout ce que tu as fait, vraiment. Je le montre mal mais je te jure que je te suis reconnaissante. Seulement... il faut me laisser faire maintenant."



- " Tu as fais le job, Julie. Largement. À plus de 40 ans je crois que tu peux t'autoriser à vivre une autre vie."

Julie déglutit. Elle n'aime pas du tout le tour que prend la conversation. Amère, elle répond : 

- " Tu es quand même gonflée... Tu as l'air d'oublier que je ne suis pas qu'une babysitter. Tu me congédies avec ton propre enfant comme si tu me virais de mon poste... Mais Silvia... Tu n'es pas seule là-dedans. Et par là j'entends que tu n'as pas de pouvoir sur mon implication. Parce-que je pourrais aussi bien te confier Téo. Ma fille est grande, je peux l'envoyer ailleurs. C'est Téo qui me bloque. Et j'étais prête à tout claquer, tu vois. Mais te voir réagir comme ça, avec ce ton si péremptoire, ça me provoque de sacrées démangeaisons. Tu crois que la rage que j'ai s'est estompée ? Que je suis trop vieille pour me venger ? Pour espérer obtenir réparation ? Merde Silvia... J'ai perdu le père de mon enfant, l'homme de ma vie. Et alors que, contre toute attente, je réussis à m'attacher de nouveau à quelqu'un... Je... J'aime ton frère, Silvia. J'ai l'impression d'être veuve une deuxième fois. Je ne sais pas s'il est toujours en vie, je ne sais pas quoi espérer. Parce-que s'il l'est encore, je n'ose même pas imaginer ce qu'il est en train de vivre. Ça me bouffe de l'intérieur. Je ne mange plus, je ne dors plus... Les enfants se disputent en permanence parce-que je ne gère plus rien... Je ne peux pas partir. Pas avant de savoir ce qu'il est advenu de Daniel.
- " D'accord. Peut-être que j'ai sous-estimé ton attachement à lui et les conséquences des réminiscences de la perte de ton mari... Mais tu ne peux pas me reprocher d'être devenue celle que je suis. C'est toi qui m'a forgée, Julie. Et tu n'as pas à le regretter : sans cela je ne serais pas là aujourd'hui. Si j'ai survécu c'est en grande partie grâce à ce que tu nous as appris à Daniel et moi. Je suis désolée de voir à quel point tu souffres... Mais si tu es honnête avec toi-même, tu verras que tu es en train de tourner kamikaze. Tu as raison... Je ne peux pas t'obliger à tout quitter... Je peux juste te rappeler que si tu persistes, nous ne serons plus dans le même camp.
- " Qu'est-ce-que ça veut dire à la fin ?!
- " Ça veut dire que j'ai besoin du labo pour comprendre ce que je suis. Je ne peux rien te dire de plus. Je peux juste espérer que tu ne te mettras pas en travers de mon chemin. Réfléchis bien, s'il te plaît."






***





Les dissensions dans le groupe n'ont jamais été aussi fortes. Alors même que personne n'a pris parti, tout le monde se dispute, aucun pour la même raison, et l'altercation a vite tourné aux attaques personnelles.  

- " VOS GUEULES !"


- " Vos gueules ! Putain mais c'est quoi ce bordel ? Vos gueules maintenant, c'est moi qui parle !"

Max se dirige aussitôt vers Djalil qui prend une posture défensive. Mais Max s'arrête à une distance respectable, se contentant de le toiser du haut de son mètre quatre-vingt-dix.


- " Pourquoi ça n'a pas sauté ?"


- " J'ai pas tellement envie d'en parler si c'est pour que vous continuiez dans votre délire." 


- " Putain Djalil j'essaie d'être patient là ! Tu serais un de mes gars t'aurais déjà mon poing dans la tronche. Alors t'arrêtes de nous faire chier et tu craches le morceau."

Le blessé se renfrogne mais lâche : 

- " C'est Arthur."

La surprise est totale dans l'assemblée et tout le monde se rend compte seulement à ce moment là de l'absence du pirate : 


- " Commet ça, c'est Arthur ? Tu sais quoi là-dessus ? Et il est où ?"


- " Ce n'est pas un traître. Ce n'est juste pas un assassin non plus.
- " Et après ça bave comme quoi c'est moi qui ai changée... " Vomi plus que ne répond Jane dans son dos.
- " Sois plus précis." Grogne Max dans ses dents.
- " Il a paniqué et a fait semblant d'activer la détonation.
- " Que t'a-t-il dit d'autre ? 
- " Rien, rien. Il était terrorisé. Il a eu peur de mourir. Arthur c'est un planqué, depuis le début. Il n'a pas l'habitude de la violence. Et Jane avait vraiment l'air décidée à faire un massacre. Il ne voulait pas avoir la mort de centaines d'innocents sur la conscience.
- " Où est-il ?
- " Je ne sais pas. Je l'ai laissé partir, j'avais trop peur pour lui."

Jane va parler mais un coup d'œil de Max l'en dissuade et elle le laisse reprendre : 

- " Sortez. Tous. On vous a assez vu. "

Les ordres sont instantanément suivis d'effet dans un silence crispé. Jane suit Max du regard tandis qu'il va se poster devant la baie vitrée pour observer le comportement des membres de son équipe.


- " T'as un problème avec tes gars, Jane.
- " Sans blague.
- " Tu comptes régler ça comment ?
- " Qu'est-ce-que ça peut te faire ? Je vais me débrouiller, comme d'habitude.
- " Comme tu t'es débrouillée pour te sortir de la cave ?"

Jane est piquée au vif mais ne peut pas le contredire. Elle tente néanmoins : 

- " Tout le monde a pu se rendre compte que ce n'est pas moi qui ai changé."

Max garde le silence, elle poursuit :

- " Ce n'est qu'une crise. On en a connu d'autres.
- " C'est quoi l'objectif maintenant ? Tu veux toujours tout faire péter ? En plein jour ? Tu sais que ça sera autre chose que tout ce qu'on a fait avant ?
- " On ?
- " On."


- " Un dernier coup d'éclat, c'est ça ?" Demande-t-il.
- " ...
- " Je te suis a une condition : tu décroches après.
- " Quoi ?
- " Ce n'est pas ce que tu voulais ? Leur faire mal une dernière fois ?
- " ...
- " Je t'offre mon aide sur ce coup là...
- " J'ai pas besoin de toi.
- " Oh arrête ton char un peu... Admettons que tu remettes tout le monde en ligne, t'as besoin d'un point de chute après ça.
- " Il est là mon point de chute.
- " Quoi, tu comptes rester là une fois que ce sera fini ?
- " On ne peut pas remonter jusqu'à nous.
- " Ouais c'est ça. Tu parles à un type qui a dit la même chose il y a huit ans. 
- " Ça n'a rien n'à voir. C'est intraçable.
- " Et tes gars ? Ils sont intraçables ? Tu es une cible toute désignée Jane, pardon de te le dire. Si ça capote, si y'en a un qui parle, c'est pour toi. Et avec ce que tu t'apprêtes à faire t'inquiète qu'ils vont ressortir la chaise électrique. Si tu m'assures que c'est le dernier coup, pour cette cause du moins, je te couvre. Ensuite on ne remettra plus jamais les pieds dans ce trou.
- " ...
- " Jane...
- " Je sais pas, ok ? J'aime pas la tournure que ça prend. Y'a rien qui va. J'ai besoin de réfléchir."

Il gronde plus qu'il ne soupire, mais il capitule : 

- " Comme tu veux...Mais tarde pas trop. Y'a Connor qui demande après toi."


- " Ouais bah Connor il fait comme tout le monde. Il attend ou il se déplace. J'suis un peu occupée, là. "

Max ne répond pas, se contentant de la fixer avec une étrange intensité.
Et puis il part.



Sans un mot de plus.

- " Tu vas où ?
- " Depuis quand ça t'intéresse ?"


À peine la porte s'est-elle refermée que Jane ressent un sentiment d'urgence dans la poitrine ; une alarme. Quelque chose ne pas va. Quelque chose s'est mal passé. Elle se repasse la discussion en boucle dans sa tête sans arriver à mettre le doigt dessus. La panique la gagne et ne voit qu'une solution à son problème mystère. Elle attrape son téléphone sans arrêter de fouiller sa mémoire.


Elle l'a sur le bout de la langue. Une impression. Une image furtive du coin de l'œil, le temps d'un battement de cils.
Et puis enfin, la révélation. Une révélation qui n'en a que le nom, vide de sens. Car si elle situe maintenant le moment, elle ne comprend toujours pas la portée de sa phrase : 





- " Ouais bah Connor il fait comme tout le monde. Il attend ou il se déplace. J'suis un peu occupée, là."

















- " Julie... J'ai fait une connerie."





Le motel est de Legasimmer














 

Commentaires

Eulaline a dit…
Quel chapitre encore. J'ai adoré sa mise en place, son dérouler, ses images (évidemment), l'ambiance... Du grand art.

Il y a vraiment des belles personnes dans no u turn ♥ qui m'émeuvent énormément.

En vrac:
On a la dent, yes! *continue à croiser pour Corey*
Anjana :/ C'est Nadia qui a raison. Elle est maître de son destin, de sa façon de mener sa vie. Il n'y a plus qu'à... :o
J'ai adoré l'image "Mais elle abandonne l'idée, consciente qu'elle devra désormais se contenter de rester sur la digue. Le corps arqué vers l'océan déchaîné qu'est la vie, le bras tendu vers la petite barque monoplace de Nadia, en priant chaque jour pour revoir sa petite fille, sa petite sauvageonne meurtrie, revenir en femme victorieuse sur un navire de guerre." pfiou, les frissons!

J'aime beaucoup la relation Julie/Silvia. J'adore les mystères de Silvia, les blessures de Julie. C'est toujours intense lorsqu'elles se rencontrent.

Jane n'a pas perdu son côté instinctif; celui-ci l'aide mais l'empêche parfois de réfléchir. Max... ouille.
J'ai trop hâte déjà d'être à la semaine prochaine. Vraiment incroyable encore, cette saison 2. Je suis trop fan. Merci encore pour tes ces moments, GGo ♥
Eulaline a dit…
Je voulais ajouter : L'appart de Nadia, du grand art tout ce désordre 😅Tout à l'inverse de ce qui se passe dans sa tête. Elle fait table rase de tout ce qui peut l'encombrer. Mais où va-t-elle donc? Que c'est inquiétant. Cela ressemble tellement à un baroud d'honneur :/ Pauvre louloute :/
GGO a dit…
Eulaline

Pour Nadia, je suis aussi résignée que toi. Je crois que quand on est blessé comme l'est Nadia, on ne réfléchit plus pareil. Sa boussole est cassée. Elle ne sait pas ce qu'elle va devenir, elle n'a pas de plan. Juste une idée fixe : rester aussi longtemps que possible près de Gerold car il représente pour elle son seul espoir de connaître un jour la vérité. Pourtant, rien n'est moins sûr... 😐
Merci pour le passage avec Anjana :)

Silvia vous livrera tous ses secrets, mais il est encore trop tôt, les pièces ne sont pas encore toutes à leur place ^^

Quant à Jane et Max, on en reparle la semaine pro et dans 15 jours !

Tellement merci Eul pour ta présence et tes mots si encourageants. <3
Agathe La Petite a dit…
(oui, une image en gros plan de Don Lothario pour Parthenia XD)
Je suis contente de revoir Anjana, même si ce n'est pas dans les meilleures conditions. Quelle maman ne serait pas triste de voir son enfant foncer droit dans le mur et ne pouvoir rien faire, parce que c'est sa vie ? Elle a essayé pourtant mais Nadia ne veut rien savoir. Elle veut trouver la vérité, quitte à brûler tous ces vaisseaux. J'espère qu'elle sera un grain de sable pour Oaz'corp. C'est tout ce que je souhaite pour elle maintenant.

Silvia. Bien évidemment que ses intérêts divergent maintenant des autres. Elle a été "conçu" dans ce labo, elle y a trouvé ses semblables. C'est normal qu'elle cherche à en savoir plus sur ce qu'elle est. Mais pour autant, elle n'est pas copine non plus avec Oaz'corp..

Quand à l'échange à la fin entre Jane et Max, je n'ai pas compris ce qui clochait, j'avoue. Je suppose que ce n'est pas ma mémoire qui flanche et que c'est un fait exprès de ta part ? ^^

C'était encore très bien écrit et je n'ai qu'une envie, c'est de connaître la suite ♥♥♥