2.09 La cible fait l'alliance - Partie 2

 

Le cœur de Lazlo cogne fort dans sa poitrine. Ses mains tremblent au souvenir de la veille, de ce qui a été fait, de ce qui a été promis.

Il risque gros. 

Hier, il avait une situation stable, une fiancée, un futur lisible.

Aujourd'hui, après un coup de canif dans deux contrats différents, plus rien n'est sûr.

Mais ce n'est pas d'avoir dissimulé un délit qui le chiffonne car cela n'aura aucune conséquence. Ce n'est pas non plus d'avoir été infidèle : après avoir prétexté une charge de travail importante pour expliquer qu'il restait au siège où il a une chambre, il n'avait eu qu'à promettre un bijou hors de prix à la boudeuse à l'autre bout du fil pour qu'elle perde sa mauvaise humeur. Au final, il n'est pas mécontent de mettre fin à cet ersatz de relation. Non, le danger vient d'ailleurs : il vient de s'engager auprès de Lin alors que son ex-compagnon est enfermé dans une de leurs caves en plein milieu du désert. Cette situation le met en porte-à-faux vis-à-vis non seulement de sa nouvelle fiancée, mais également de ses frères et du conseil. Si quelqu'un découvre ce qui lie sa future femme au prisonnier, personne ne croira une seconde en l'innocence de Lin et comme il aura perdu toute crédibilité elle n'aura personne pour la défendre. La sécurité de Lin repose uniquement sur ses épaules. La crispation à cette pensée est telle qu'il ressent le besoin de mobiliser sa nuque.

Pour ne rien arranger, il se sent déjà coupable, moins de 24h après, de lui mentir. Il a son ex dans sa cave nom d'un chien. Il maudit l'univers de lui avoir apporté dans le même temps ce qu'il désirait et redoutait le plus au monde. Comme si une histoire avec Lin ne pouvait pas être simple, comme si ce type était destiné à se dresser entre eux. Et puis une nouvelle lucidité le saisit : 

C'est la chance de sa vie.

Il a deux possibilités : mettre la tête dans le trou et serrer les fesses en espérant que tout se passe bien. Ou prendre le problème à bras le corps et mettre les mains dans le cambouis. Une solution lui ressemble bien plus que l'autre, mais l'amour lui donne des ailes. L'ancien amant est aussi très probablement un terroriste dont l'organisation a blessé et même tué des employés du laboratoire, méfaits dont Lin n'a pas connaissance. S'il veut clore l'histoire résiduelle entre sa future femme et le détenu, il faut qu'il n'ignore rien du dossier et qu'il connaisse tous les éléments à charge pour pouvoir la regarder dans les yeux si un jour il est amené à tout lui avouer. Et il dormira mieux dans l'intervalle.

***

- " Victor, il faut que je te parle.

- " J'ai pas le temps."

Lazlo ignore la réponse et vient s'installer en face de son aîné : 

- " On en est où avec le frère ?

- " Au milieu.

- " C'est à dire ?"

Victor pose sa tablette sur ses genoux en un geste exagérément lent.

- " Cette partie-là des affaires, c'est moi qui la gère. Tu n'es pas capable d'en supporter les tenants et les aboutissants, donc ne poses pas de question et surtout ne viens pas me casser les burnes.

- " Je...

- " Non, non. Je ne veux rien..."

Une sonnerie l'interrompt, puis il reprend : 

- " Tu peux disposer, j'ai rendez-vous."

Lazlo aperçoit les mercenaires appelés en renfort et qui ont été utilisés pour la capture du frère de la Delta.

Il prend un air décidé et va s'assoir à gauche du chef de famille malgré les mimiques protestataires de ce-dernier qui, ne voulant pas laisser transparaître un défaut d'autorité est obligé de supporter sa présence.

- " Prenez place, je vous prie." Invite l'aîné.

Une fois les deux agents assis, Victor reprend : 

- " J'ai besoin de vos services pour essayer de remonter jusqu'à une organisation fantôme."

Les deux soldats se regardent, puis l'homme répond : 

- " Notre détachement dans la région est provisoire. Nous repartons en opex dès que possible.

- " Pas nécessairement. Je vous laisse prendre connaissance de vos potentiels contrats respectifs."

Victor leur fait parvenir à chacun une tablette et poursuit : 

- " Si vous acceptez les termes du contrat, vous travaillerez directement pour moi. Je me suis arrangé avec votre supérieur, vous êtes libre comme l'air. Je vous sens perplexe... Allez bien jusqu'en bas... voilà... est-ce-que ça va mieux ?"

Ils se regardent à nouveau avant que l'agent Bellone ne réponde : 

- " Je n'ai jamais eu l'intention d'intervenir sur le territoire. Ce n'est pas le même boulot.

- " Est-ce-que Sixam c'est assez "opex" pour vous ?" Devant les mines ahuries de ses interlocuteurs, Victor précise : "Les choses évoluent par ici, je réfléchis à réorganiser la sécurité. Vous avez le profil que je recherche, et ce sont vos supérieurs qui vous ont confiés à moi en connaissance de cause. Vos missions seront assez variées et vous serez certainement amenés, oui, à aller sur Sixam pour sécuriser nos missions. Mais en attendant, j'ai une affaire urgente à régler et vous me seriez bien utiles.

- " Quel serait notre rapport hiérarchique avec votre homme de main ?" Interroge l'agent Oxossi.

- " Officiellement aucun, il a un statut juridique particulier. Je suis votre unique interlocuteur...

- " Nous sommes vos uniques interlocuteurs." Corrige Lazlo sans daigner regarder son frère, qui poursuit, tendu :

- " Officieusement, vous devez savoir que Dimitri a un degré d'accréditation supérieur au vôtre. Il agit selon mes ordres et en ce sens, vous devrez respecter ceux qu'il vous donnera. Est-ce-que les termes du contrat vous conviennent ?"

- " Je vous demande un délai de réflexion, Monsieur." Répond le soldat.

- " Vous avez 24h. Et vous, agent Bellone ?

- " Vous aurez ma réponse dans 24h également.

- " Bien. Avant de partir, parlez-moi de votre collègue, l'agent Mojo. S'il était réhabilité, vous travailleriez à nouveau avec lui ?"

Les deux mercenaires se jettent un œil embarrassé et l'agent Oxossi répond : 

- " Nous n'avons pas été autorisés à nous entretenir avec lui depuis qu'il a repris conscience. Nous attendons de pouvoir le faire pour nous faire une opinion sur l'incident."

- " Entendu. Quelque soit votre réponse, j'aimerais que vous m'en parliez quand vous vous serez fait votre avis. En attendant, je vous donne rendez-vous dans 24h ici-même."

***

Max fulmine, Max doute, Max tremble. Mais Max sait encore que la meilleure défense reste l'attaque.

Abattu puis enragé, il s'est longtemps demandé qui il allait cogner en premier. Heureusement, la colère est une émotion familière si bien qu'il a pu recouvrer ses esprits avant de commettre l'irréparable. Pour garder la tête froide, il avait décidé de s'éloigner quelques temps, histoire de réfléchir à ce qu'il allait faire et de quelle manière. C'est ainsi que la première de ses visites l'avait mené à Del Sol Valley.

Sur le trajet, il avait été hanté par les souvenirs de la nuit passée ; les nez qui s'étaient cognés, les mains, les coudes, les genoux mal placés qui avaient provoqués des exclamations de douleur, le problème de rythme, les positions qui s'alternaient mal... Rien n'allait. Il s'était donné du mal, pourtant, mettant ces anomalies sur le compte de la surprise et du temps qui s'était écoulé entre leurs deux étreintes... Mais il avait eu beau stimuler toutes les zones érogènes de Jane, qu'il connaissait par cœur, elle n'en était pas moins restée sèche et il avait plutôt mal vécu l'utilisation de lubrifiant en plus du préservatif. Jamais ils n'en n'avaient eu besoin, jamais il ne l'avait baisée avec une demi-molle. Mais ces déconvenues n'étaient rien comparé à ce qu'elle avait dit. Dans le bureau, quelques heures plus tôt, c'est son monde entier qui s'était écroulé sous le poids de quelques mots.

Lorsqu'il se présente à l'interphone, Sharon lui offre un sourire radieux, mais l'écran lui transmet également toute la moquerie qu'il y a derrière. Il sent alors une rage inouïe le gagner et il grimpe les marches quatre à quatre jusqu'à la porte de son appartement. Il va lui arracher sa morgue à cette poufiasse. Elle sait tout, il en est certain. Et elle a fait de lui son jouet. Il va défoncer la porte d'un coup de pied quand il entend : 

- " C'est ouvert ! N'abîme pas ma porte s'il te plaît."

Le talon cogne quand même contre le bois avant qu'il ne déboule dans l'entrée et tombe sur la gueule détestable de Sharon. Il s'apprête à fondre sur elle quand elle claque sèchement sa langue contre son palais, l'œil de Max étant alors attiré par les objets derrière elle.

Il s'arrête net.

- " Je vois que je n'ai pas besoin de te rappeler d'où je viens."

- " OÙ EST JANE ?!

- " Je vois que tu as fais la connaissance de Kate... Je me suis toujours demandée si elle t'avait mis dans la confidence...

- " OÙ. EST. JANE.

- " ...Si elle t'avait joué le même tour qu'à Dan. Elle adorait ça, coucher avec des gens et envoyer Kate de temps à autre. Ça la faisait beaucoup rire. Kate, un peu moins..."

Il fait un pas dans sa direction, imaginant qu'il sera trop rapide pour elle, mais sa gorge frôle la pointe de la lame que Sharon a attrapé avec une étonnante vivacité si bien que le réflexe qui le cambre vers l'arrière lui fait perdre son avancée.

Enragé, il peine à desserrer la mâchoire pour articuler : 

- " J'en ai rien à foutre. Plus vite tu me diras où est Jane, plus vite je pourrai la rejoindre et ne plus voir ta sale gueule.

- " Ce n'est pas ce que j'ai prévu, l'héritier Villareal. Parce-que j'ai besoin de toi vivant."

Les iris de Max se figent.

- " Eh oui..." Reprend-elle avec un détachement glaçant. "Tu savais que Jane venait passer du temps avec moi parfois dans l'unique but de m'éloigner de Dan pour envoyer Kate se faire troncher ? Elles pouvaient échanger les rôles aussi. Parce-qu'on devait tout partager, soi-disant."

Elle marque une pause, les sourcils arqués avec irritation, le regard braqué vers le sol comme si elle y visionnait le passé. Max, lui, est au bord du malaise, vidé de toute substance.

 -" J'ai accepté beaucoup de choses en échange de l'exclusivité de Dan... Tout ça pour apprendre qu'elles se le tapaient dans mon dos."

Le sourire de Sharon a disparu, sa gorge tremble de colère : 

- " Alors j'ai tendu un piège à Dan pour me lier à lui à vie. Ainsi, j'aurais été spéciale à ses yeux pour l'éternité. Mais même ça elle ne l'a pas supporté. Elle m'a volé Dan, puis elle m'a pris mon bébé. CETTE SALOPE A TUÉ MON BÉBÉ JUSTE POUR ME GARDER ENCHAÎNÉE À ELLE ! ALORS SI TU VEUX VOIR CETTE PÉTASSE, ELLE CROUPIT EN ENFER !

- " TU MENS !"

Revenu de sa transe, il se jette sur la lame en même temps que sur elle. Persuadé d'être transpercé, il est encore surpris quand elle lui échappe, Sharon lui glissant entre les doigts telle une anguille. À peine s'est-il retourné pour tenter de la saisir à nouveau qu'elle lui a sauté dessus et a enroulé ses cuisses autour de sa taille.

Il n'a rien compris à ce qu'il vient de se passer. Il est là, cambré dans une position extrêmement inconfortable, pliant sous le poids qu'elle suspend aux cheveux qu'elle lui a saisis d'une poigne ferme, offrant de facto sa gorge à la lame brutalement plaquée sous sa mâchoire. En équilibre - aussi stable qu'improbable -  contre lui et avec un pied sur le plan de travail, elle ne surplombe son mètre quatre-vingt-dix que grâce à la force qu'elle exerce savamment sur sa nuque. Sûre de son avantage, elle siffle entre ses dents d'un air féroce : 

- " J'étais là. Je sais qui l'a tuée. Et je suis disposée à te le révéler bien que cette pute mérite de pourrir dans l'oubli. Maintenant," Dit-elle en pressant brutalement la lame contre sa peau pour s'assurer de son obéissance "tu vas m'écouter bien sagement et on va accorder nos violons pour la suite. Parce-que ouais, cowboy, on a les même ennemis."

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