2.10 Le couteau sous la gorge

 






Ig, la veille, est allé prendre la température auprès de Pepper avant de prétexter avoir une affaire urgente à régler pour le compte du grand patron - laisser-passer par excellence puisque personne ne se mêle des magouilles de Victor Lalouche. En réalité, il avait passé le reste de la journée cloîtré dans sa chambre à tenter d'évaluer les conséquences des risques qu'il avait pris. 
Ce jour, il est toujours dans ses petits souliers et ce n'est pas la gueule amochée du prisonnier qui va lui donner du cœur au ventre. Des flashs de l'incident d'hier lui reviennent et le font jurer en son sein. Il n'est toujours pas en pleine possession de ses moyens, il faudrait qu'il prenne le temps de résoudre ces anomalies.

Quand le mercenaire a quitté le couloir et que la porte a claqué, Ig pénètre dans la cellule. Le détenu est vigilant mais semble exténué, comme en témoigne le grain de sa voix quand il demande :

- " Vous avez apprécié la ballade ? "

Ig est stoppé net. Quelque chose dans son regard et son intonation le tétanisent. Quand des mots sont enfin prêts à sortir de sa bouche, il a suffisamment de discernement pour désactiver la caméra, ce que remarque Daniel s'il en croit l'attention qu'il porte à sa poche droite d'où il vient d'actionner la télécommande puis à l'outil de surveillance.

- " Qu'est-ce-que vous voulez dire par là ?"

Le prisonnier se contente de maintenir son regard, puis il semble se retenir de sourire. Un sourire mystérieux, vainqueur, qu'il conclue par le haussement d'un de ses sourcils. Il détourne alors son attention, comme si Ig avait perdu de son intérêt. Il va même jusqu'à fermer les yeux cet impudent. La créature n'a absolument aucune idée de la façon dont elle devrait réagir : elle veut en savoir davantage, éclaircir et, avec un peu de chance, apaiser ses craintes : il ne l'aurait pas malmenée volontairement, tout de même ?! Serait-il capable de cela ? Shunter la prise de contrôle ? Elle meurt d'envie de savoir. Seulement, elle ne peut afficher son ignorance de la sorte, ce serait une terrible preuve de faiblesse. Ceci étant dit, elle n'en est pas moins à court d'options ; pressée par le temps, elle décide de jouer cartes sur table :

- " J'ai rencontré Silvia. Je suis chargé de vous sortir de là."

Les paupières toujours baissées, Daniel pouffe : 

- " Oui, bien sûr."

Ig est d'abord étonné de ne pas être cru, puisqu'il dit la vérité, mais sa lucidité le rattrape et il comprend qu'il ne faut pas qu'il compte sur la confiance qu'il inspire au prisonnier malgré sa bonne foi. Il ignore alors sa remarque et poursuit : 

- " Je vous ai obtenu du temps, mais tout peut rapidement se compliquer pour vous dans les heures qui viennent. Vous savez que je sais, pour La CLOES. Votre script est obsolète. Je sais pour les rites, je sais pour la grosse majorité de vos cicatrices, je sais pour... pour UkiB..." 

Il termine sa phrase en se massant le front, luttant contre les réminiscences de l'incident. Daniel réagit également, en entrouvrant ses yeux braqués vers le sol et en serrant poings et mâchoire.


- "Plus vite vous m'aiderez, plus vite je pourrai élaborer un plan pour vous sortir de là." Le détenu ne répondant pas, il continue : "Une piste suffira. Mais il faut que je les trouve. J'aurais beau vous faire évader, vous ne serez jamais tranquille si vous ne me donnez pas quelque chose à mettre sous la dent des Lalouche."

Là encore, Ig se rend compte que la discussion ne peut aboutir : si Daniel Magnolia peut espérer avoir la paix du côté d'Oaz'Corp, il sera quand même la cible de son organisation pour trahison.

- " Faut m'aider, là !" Lâche-t-il soudainement agacé.

Mais son prisonnier garde obstinément le silence. Il parle tout seul, il est carrément ignoré. Il se rapproche alors pour essayer de capter son attention : 


- " Il va falloir comprendre que je ne PEUX PAS vous sortir de là si vous ne me donnez rien."

Et là, enfin, Daniel lui répond d'une voix éraillée par la fatigue : 

- "En ne vous aidant pas, La CLOES est hors de danger et vous êtes à la merci de ma sœur qui a l'air de vous terroriser suffisamment pour vous retourner contre une des organisations les plus puissantes au monde. Je n'ai besoin de rien d'autre. "






***






Il va sans dire que Max déteste la position dans laquelle il se trouve, et ce pour plusieurs raisons : elle est très inconfortable, il déteste être surpris et davantage encore ne pas avoir le dessus. Cela ne lui plaît pas du tout, mais ce gros dur de Max Villareal est complètement coincé, le couteau littéralement sous la gorge, et par-dessus le marché entre les cuisses d'une femme. Absolument rien ne va dans l'équation.
La colonne douloureusement arquée, les muscles fatigués d'être bandés dans une position en porte-à-faux et l'ego froissé, Max cherche une issue. Mais la prise est aussi ferme que la détermination de Sharon à se faire entendre : 

" On va accorder nos violons."

Il n'est pas bien sûr d'aimer la musique qui va en sortir mais il faut se rendre à l'évidence, il n'a pas d'autre choix que d'écouter. Non pas pour se soumettre à la folle furieuse qui le chevauche, mais pour avoir le fin mot de tout ce bordel. Son esprit lutte avec une énergie folle contre le désespoir. Sharon est une psychopathe, Jane est la personne lui plus forte qu'il connaisse : il y a largement de quoi avoir encore de l'espoir. 
Sentant certainement un changement d'attitude dans son regard, la furie dessert son étreinte et se laisse glisser sans un mot contre lui, gardant la lame - qu'il comprend maintenant à l'envers - contre la peau de sa gorge pour le tenir en respect. À défaut du couteau, ce sont ses iris bleus qu'elle plante cruellement en lui ; ce bleu-là, c'est le même que celui de Jane. Il le reconnaîtrait entre tous. Et c'est pour cette raison qu'il s'en veut à mort de ne s'être aperçu de rien quand il était avec l'autre. Il s'était voilé la face, avait trouvé des excuses dans le manque de luminosité, mais il a perdu un temps précieux. Il aurait dû savoir tout de suite que les éclats d'ambre dans les yeux du double étaient des anomalies, il aurait dû éventer la supercherie. Quand Jane saura ça, elle va lui rire au nez et se moquer vertement de sa sensiblerie. Et il lui saisira les lèvres à pleine bouche pour la faire taire comme il le fait à chaque fois. Oui, il s'y voit déjà. 
Quand la sœur a fini sa descente langoureuse elle écarte la lame en un petit geste vif et dit : 

- " Si tu es disposé à m'écouter, tu peux rester. Il sera bien temps de s'occuper de tes ardeurs plus tard."

Sur ces mots, elle balance ses hanches vers la gauche et les fait onduler au rythme de de ses pas. 


Max serre les dents : il n'en a rien à foutre de son numéro de charme et pourtant, frustré au plus au point par la nuit précédente et piqué au vif, il se sent soudainement revigoré par un regain d'énergie sexuelle si bien qu'il a du mal à détourner le regard de ce cul appétissant et outrageusement moulé contre lequel il a envie de se placer et d'imprimer une autre cadence au bassin qui chaloupe sous son nez. Bougon, il se rappelle néanmoins qu'il est impératif de rester concentré car il ne doute pas une seule seconde que Sharon puisse le manipuler à sa convenance.

- " En attendant... " poursuit-elle d'une voix qui claque dans l'air. " tu ferais bien de venir t'asseoir, c'est une longue histoire. "

Il remonte lentement le long des courbes de la starlette avant de planter ses yeux dans les siens. C'est hallucinant de voir à quel point il reconnait davantage Jane dans ce pot de peinture que dans sa copie officielle. Un instant, il se demande s'il n'est pas en train de se faire duper une nouvelle fois. Mais un instant seulement. Parce-que le récit qui va lui être conté n'aurait jamais pu passer les lèvres d'une Jane qui avait toujours tout gardé jalousement pour elle afin de posséder toutes les clés lui permettant de diviser pour mieux régner.














































Commentaires

Eulaline a dit…
Je pourrais me résumer ce chapitre en me disant que décidément celui-ci est le parfait reflet du fait que la colère, le chagrin, le désir de vengeance sont des poisons puissants, qu'ils empêchent de vivre, tout simplement, sa vie. Dan, Sharon, Max, Jane, Kate (Ig aussi pour d'autres raisons) sont des personnages ballotés par un destin plus fort qu'eux, par des décisions que d'autres ont prises pour eux (et dont ils n'ont jamais réussi à se libérer) et c'est tellement triste de voir toutes ces existences gâchées :/ Tout leur libre-arbitre n'a été mis à contribution que pour mieux s'accrocher à des chaînes qui n'étaient pas les leur. C'est rude, vraiment rude.

Dan, comme toujours, m'impressionne mais il m'inquiète tellement. Il ne veut plus se sauver et pourtant, il joue avec Ig. Justement pour précipiter le moment où Ig va perdre le contrôle, ne plus contrôler ses anomalies, oublier de les résoudre?
C'est un mystère pour moi.

Sharon, alalala... Tout dans le paraître et un puits de noirceur. Je l'aime trop :D
Elle a vraiment décidé de tout faire péter :o Trop bien.

Un magnifique chapitre, j'ai adoré et je suis déjà tellement impatiente de découvrir la suite. Merci encore pour ces moments ♥
Parthenia a dit…
Je crois que les 3 soeurs O'Meara sont aussi fêlées l'une que l'autre...
Avec Sharon, cette experte en manipulation, je ne sais jamais dans quelle mesure ses révélations sont vraies. A l'entendre, elle est la pauvre victime des odieuses machinations des autres, mais qu'en est-il en réalité ? Est-elle totalement mauvaise ?
Quant à Jane, j'ai cru qu'elle vivait à plusieurs dans sa tête, qu'elle nous faisait un dédoublement de personnalité. Est-elle réellement morte ? Max a-t-il raison d'espérer ? En tout cas, le seul conseil que je puisse lui donner est le suivant : mon chou, arrête de penser avec ton zboub et pense avec ton cerveau, y'a que lui qui pourra te sauver...
Pour Lazlo, je suis plus que dubitative. Bon, il m'a fait rire quand il a tenté de faire son bonhomme et agacé par la même occasion son frangin en mettant son grain de sel dans la conversation avec les mercenaires !
Dan, contrairement à ses propres pronostics et à son sacrifice, sera peut-être sauvé qui sait, même à son corps défendant...
GGO a dit…
Eulaline Dan ne joue pas, il est juste étonné et agréablement surpris de la réaction de la créature. On en saura davantage plus tard, Dan est radin dans les dialogues XD

Merci pour ton message et ton soutien <3


Parthenia Je te laisse découvrir Kate, on reparlera du podium de la zinzintude XD Tu as bien raison de ne pas faire confiance à Sharon et Jane était bien seule dans sa tête ! Sinon, je crois que personne n'est entièrement mauvais, mais Sharon est une psychopathe et Jane a trop souffert pour pardonner (surtout que ce n'est pas la spécialité de la famille) et cela l'a menée à sa perte.
Pour Max, reste à voir s'il va réussir à avoir le dessus sur Sharon... Ce n'est pas du tout garanti... :/

Lazlo fait ce qu'il peut ^^"

Quant à Dan, tu as une bonne intuition ^^" J'en suis venue à me dire "le pauvre"...

Merci pour ton message <3


Eulaline a dit…
"Dan ne joue pas" = je parlais de la scène où Ig s'égare dans la tête de Dan qui "joue" avec lui, dans un autre chapitre, pas de la scène que je venais de lire :)
GGO a dit…
Eulaline Ah il jouait pas non plus XD Mais on en reparlera 😘