2.02 Mauvaise influence

 

AVERTISSEMENT

Cette histoire est destinée à un public mature et averti : de nombreux thèmes vont être évoqués, la psychologie des personnages pouvant en rendre parfois la lecture difficile. Si vous êtes une personne sensible, ne continuez pas plus loin. Si besoin, vous pouvez me contacter sur les différents réseaux pour que je vous livre un bref résumé. Je ne mets pas de Trigger Warning pour ne pas spoiler, mais il y aura toujours un avertissement : si vous souhaitez continuer la lecture mais que vous n'êtes pas sûr de vous, contactez-moi.

Perdu dans ses pensées - cherchant ce qu'a bien pu commander Kay qui prenne autant de place - Corey a un moment d'arrêt quand il arrive sur le palier de l'appartement de Sharon ; cette-dernière se tient nonchalamment contre le chambranle dans un accoutrement qu'il classerait dans la catégorie des pyjamas. Certes, elle est coiffée et maquillée, mais sa tenue le déconcerte : il s'agit d'une réunion de travail, tout de même.

Fidèle à elle-même, Sharon lui offre un sourire chaleureux et l'invite à la suivre avec cette grâce toute féline qui est la sienne. Ils s'installent sur le canapé - vraiment très étroit - et il ne peut réprimer un sursaut quand elle prend place à ses côtés - ou ce qu'il considère, lui, comme "carrément sur ses genoux". Sharon semble le remarquer et se fige.

Après un moment en suspens, elle souffle : 

- " Pardonne-moi... Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise... "

Il aurait bien voulu dissiper la gêne ambiante, mais en réalité, il ne sait pas quoi dire. Corey est incapable de mentir, rien ne lui vient quand il s'agit de déformer les faits. Or, il est véritablement gêné. Il n'est déjà pas à l'aise dans la promiscuité, mais Sharon n'est, par-dessus le marché, pas une inconnue. Non seulement il a eu l'occasion de la côtoyer à l'O'Mé, mais en plus il a été un témoin plus ou moins direct de sa relation tumultueuse avec Daniel. Il a observé ce dernier avoir toutes les peines du monde à ne pas froisser son altesse sérénissime tant elle est jalouse. Il avait assisté à des crises phénoménales de la part de la starlette qui avait été jusqu'à agresser physiquement une cliente du bar qu'elle avait trouvé un peu trop proche de Dan ; celui-ci s'était interposé de justesse et s'était pris un coup de couteau à la place de la pauvre fille. Ainsi, pour Corey le message était plutôt clair : rester en dehors du radar de cette sauvage. 

Tout allait pour le mieux, jusqu'à ce que leurs agents deviennent les meilleurs amis du monde à la suite d'une soirée arrosée, se promettant l'un l'autre une future collaboration entre leurs deux clients. La consternation de Corey n'avait cependant pas été plus forte que la peur de commettre un outrage. Il pensait cela dit avoir jusqu'au printemps prochain pour se faire à l'idée, mais c'était sans compter les désidératas de Sharon O'Meara, qui avait quitté depuis leur dernier échange la sphère des simples mortels pour atteindre une célébrité qu'il n'atteindrait jamais. Fort heureusement.

Ainsi se retrouve-t-il ce soir, en équilibre sur une fesse, ne sachant comment rester à distance sans que son interlocutrice ne se prenne pour une pestiférée.

Le visage fermé, un coin de sa lèvre inférieure coincée entre ses dents, Sharon a perdu son aura enjôleuse. Les mains moites, Corey n'a aucune idée de comment il va se sortir de cette situation.

C'est elle, finalement, qui reprend la parole : 

- " C'est vrai que nous ne sommes pas des inconnus, toi et moi... "

Il roule des yeux perplexes vers elle : il lui dirait bien qu'il ne se frotte pas non plus aux inconnus mais il préfère s'abstenir, lui laissant le loisir de continuer : 

- " Tu as assisté à des moments de ma vie dont je ne suis pas fière. Tu dois avoir une piètre opinion de moi et je ne peux t'en blâmer. "

Il aimerait bien, pour la forme, la contredire, mais même cela il en est incapable. Heureusement pour lui elle n'attend pas de réponse : 

- " De l'eau a coulé sous les ponts, maintenant. Tout le monde pense, et ce parce-que je n'ai rien dit à personne, que c'est ma rupture avec Dan qui m'a faite disparaître. Mais... Mais ce n'est pas ça. Nous n'avons pas rompu parce-que nous ne nous aimions plus... Nous avons rompu parce-qu'il m'a demandé l'impossible. Et c'est suite à cela que j'ai eu besoin de m'isoler. "

Elle marque une pause, prend une petite inspiration et annonce : 

- " Ce que je vais te dire, peu de personnes le savent. Je choisis de te le dire à toi parce-que j'attends quelque chose de précis de notre collaboration. J'ai beaucoup de choses à dire et j'ai confiance en ton talent pour m'aider à les sortir de belle manière. Par ailleurs, je ne vais pas te le cacher, j'ai envie d'apporter ma version de l'histoire. Tu l'as beaucoup côtoyé, donc si je puis me permettre, tu as une vision biaisée. Il ne peut y avoir de projet commun si je sens que pour une raison ou pour une autre tu ne me respectes pas. C'est pourquoi je vais te raconter dans les grandes lignes ma relation avec Dan, à la fois pour que tu sois imprégné pour ton travail de composition, et à la fois pour que tu aies un autre angle de vue. Si finalement je ne te convaincs pas, on en restera là. Mais si tu as envie de raconter mon histoire, je serai honorée de me confier toute entière à toi. "

Raide comme un piquet, Corey est soulagé de voir qu'elle ne lui accorde aucune attention. Pour lui, c'est une descente directe aux enfers. Toute cette période à l'O'Mé, il avait tiré un trait dessus. Et elle comptait le replonger dedans la tête la première ? Il voudrait prendre ses jambes à son cou mais déjà, Sharon commence.

- " Dan est arrivé à l'O'Mé en quête d'un petit boulot pour se nourrir, lui et sa jeune sœur. Il m'a tout de suite tapé dans l'œil, ce grand brun ténébreux. À fortiori lorsque j'ai capté son regard... J'y ai découvert un mélange de douceur et de fragilité..." Corey adopte une moue dubitative mais ne dit rien. "C'est qu'il en avait déjà bavé le pauvre, la vingtaine à peine passée. Alors je me suis mise à graviter autour de lui et enfin, après quelques mois, il a commencé à me voir."  

Elle a un sourire tendre tandis qu'elle raconte, les yeux perdus dans le temps.

- " Tout était simple et doux, au début. Et rien ne présageait que cela aurait changé si une femme n'avait pas déboulé dans notre vie comme un boulet de démolition."

Les traits se durcissent, les doigts se crispent entre eux. Corey devine que l'arc Julie va démarrer.

- " Julie est donc arrivée, dans son rôle de veuve éplorée, et a été battre les cils de ses yeux de biche en détresse sous le nez de Dan. Je l'avais mis en garde, pourtant, du tour qu'elle était en train de lui jouer ; mais comme tous les hommes, il ne s'est aperçu de rien jusqu'au moment où elle a écarté les cuisses devant lui. Il n'a jamais avoué m'avoir trompée, mais je ne suis pas naïve. La tension qui s'exerçait entre eux n'avait rien de platonique. Elle le dévorait des yeux. C'était outrancier. Personne n'a accepté de la virer cependant, la garce avait su se rendre indispensable."

Elle lève les yeux au ciel avant de poursuivre : 

- " Finalement, on a quand même réussi à surmonter cela, Dan et moi. À nouveau, ce n'était plus que lui et moi. Nous avons vécu des mois de passion jusqu'à... jusqu'à..."

Sharon s'éteint subitement. Corey comprend qu'elle va commencer la partie difficile et pour l'encourager, repose - enfin - sa deuxième fesse sur le sofa. Ce faisant, il se rapproche de quelques millimètres de sa voisine qui tourne des yeux humides vers lui.

- " Je te fais confiance, Corey."

Il n'a même pas le temps de lui dire qu'elle n'est pas obligée, qu'elle a poussé un petit soupir et commencé : 

- " Je suis tombée enceinte.

À ces mots, tout l'attention de Corey est aspirée.

- " Cet enfant, s'il n'était pas prévu, était désiré de toute mon âme. L'envie de mon côté est là depuis toujours mais lui ne voulait pas en entendre parler : il ne voulait pas d'enfant. J'étais cependant persuadée qu'il changerait d'avis avec le temps. C'est pour cela que quand à 28 ans j'ai découvert ma grossesse, j'ai complètement occulté ce qu'il m'avait dit des années auparavant. J'étais tellement heureuse... Il était inconcevable pour moi de ne pas devenir mère. C'est viscéral, cette envie je la ressentais chaque année un peu plus fort."

Corey tique intérieurement. Il pense pareil, mais lui sait qu'il ne peut imposer sa vision à personne... Ce que Sharon avait eu l'air d'avoir découvert dans la douleur.

- " Comblée, je n'ai pas réfléchi. Nous étions en couple depuis plusieurs années, nous nous aimions, à aucun moment je n'ai pensé que..."

La pause est marquée mais ne dure pas longtemps.

- " Qu'il me refuserait ça. Il a eu une réaction de rejet très forte, allant jusqu'à m'accuser de l'avoir piégé."

Corey écarquille les yeux devant la violence du propos.

- " Il m'a brisé le cœur ce jour-là. Il a piétiné mon âme également quand il m'a ordonné d'avorter. Il m'a même menacée de s'en prendre physiquement à moi si je ne faisais pas ce qu'il m'était demandé."

Il ne peut empêcher sa main de masquer sa bouche. Avorter ? Menacer et imposer un avortement ? Corey n'en croit pas ses oreilles. Tout le ressentiment qu'il éprouve pour Dan reprend alors une ampleur qu'il ne pensait pas possible. Ce type aura tout détruit sur son passage. Des larmes coulent sur le joli visage de Sharon. Elle continue néanmoins : 

- " J'y suis allée, finalement. Parce-que Dan, c'était tout pour moi. J'étais prête à tout pour lui. Donc je suis allée à la clinique. Seule... Mais je me suis effondrée à la première question de l'infirmière. Je ne suis pas allée au bout et je me suis enfuie."

La stupéfaction est totale et Corey ne peut masquer sa surprise. Il est avide, maintenant, de connaître la suite. Daniel serait Papa ? Est-il seulement au courant ? Où est l'enfant ?

- " Je me suis exilée, loin de la menace que représentait désormais le propre père de mon enfant, avec pour seule complice ma sœur qui venait me rendre visite de temps à autre. J'ai tout vécu dans la plus complète des solitudes : les premiers mouvements, les premiers coups de pieds, mais aussi des moments bien plus sombres : des vomissements à n'en plus finir, des fausses contractions, des malaises... J'ai eu peur tant de fois de perdre mon enfant. J'ai tellement souffert d'avoir vécu tout cela seule... Et puis finalement, Isabel est arrivée."

Le visage de Sharon se plisse en une expression de joie douloureuse et son émotion se transmet à son voisin dont la vue se brouille.

- " Je n'ai pas de mots assez forts pour te décrire ce que cela fait de contempler un être que tu as créé avec la personne que tu aimes le plus au monde. La sensation de sa peau contre la mienne... Cet incroyable sentiment d'accomplissement rien qu'en la regardant."

Corey boit ses paroles qui résonnent fortement en lui. Son désir d'enfant prend une telle ampleur dans sa poitrine qu'il en suffoque. Il s'y voit. L'espace d'un instant il s'égare et s'imagine sur la plage avec Silvia et son ventre arrondi, puis la seconde d'après ils sont penchés sur un berceau. Ses oreilles sifflent, mais il est rattrapé par la voix brisée de Sharon qui prononce : 

- " ... Et puis un jour, je me suis réveillée, alertée par les cris de ma sœur. Je me suis précipitée dans la chambre de ma fille et j'ai trouvé Jane en train d'essayer de réanimer mon bébé. Mais c'était trop tard."

Corey pleure avec elle désormais. Elle crie presque en disant, parmi ses larmes : 

- " Je lui en veux tellement...! S'il avait été là, rien ne se serait passé comme ça. Il nous a laissées seules... J'étais perdue... Je vis chaque jour avec cet horrible sentiment qui me dit que j'ai échoué... Que je n'ai pas su garder mon bébé en vie..."

Il ne se sent aucune légitimité à le faire et pourtant il se rapproche et la prend dans  ses bras. Il lui dit combien il est désolé, aimerait en dire plus, en faire plus ; mais les mots lui manquent. Alors il se contente de serrer contre son cœur la star en platine à l'extérieur et en fleur de sel à l'intérieur. 

De longues minutes passent et elle finit par retrouver son calme et se redresser. Elle renifle, attrape un mouchoir, et c'est un Corey subjugué qui découvre avec Sharon que l'on peut se moucher avec délicatesse. Elle se lève ensuite, va se laver les mains, et revient sur le canapé, les joues, le bout du nez et les yeux en feu, ce qui bizarrement n'enlève rien à son charme. 

- " Pardon... "Articule-t-elle. " Je n'avais pas prévu de m'épancher autant... J'aurais dû m'entrainer avant..."

Il se contente de sourire avec indulgence.

- " Tu as essuyé les plâtres mon pauvre Corey... Parce-que tu verras que je compte en parler, de tout ça, mais il faut que ce soit moins dur pour moi... C'est pour ça que j'ai besoin de toi. J'ai besoin que tu mettes des mots sur tout cela. Des mots qui ne soient pas les miens. Il faut de la distance pour rendre le message audible.

-" ... Pourquoi moi ? Je suis flatté mais... J'ai peur de ne pas être à la hauteur. Il y a des gens plus expérimentés, plus talentueux...

- " Tu sais, je fonctionne beaucoup à l'instinct. Quand mon agent m'a parlé de toi, j'ai senti le nœud que j'avais dans la poitrine se desserrer un peu... C'était une évidence. Peut-être parce-que tu es capable de mettre des visages sur les noms dont je t'ai parlé... Peut-être parce-que nous partageons la même déchirure... J'ai aussi connu Silvia et j'ai vu sa descente aux enfers. J'ai vu votre histoire naître, j'avais confiance ; j'étais persuadée qu'elle trouverait sa voie à tes côtés. C'était tellement évident que tu étais celui qu'il lui fallait... Mais... mais les démons de son frère sont puissants. Crois-moi, c'est moi qui aurait aimé être à la hauteur. Si j'avais su sauver Daniel, nous aurions tous les deux nos grand-amours à nos côtés.

- " Pourquoi crois-tu que tu devais ou pouvais le sauver ? 

- " Parce-que je l'aime."

Corey cligne des yeux et lâche malgré lui : 

- " Ah parce-qu'après tout ça, tu as encore des sentiments pour lui ?!"

Sharon détourne le regard et hausse les épaules, honteuse, entrouvre la bouche puis se ravise. Il ajoute alors : 

- " Je suis le dernier à pouvoir te dire que tu te fais du mal, mais... Tu t'accroches au fantôme de Daniel. Pas à celui qu'il est réellement. Crois-moi, je te comprends. Quelque part, j'en suis au même point que toi. Et t'entendre raconter tout ça et te voir souffrir ainsi..." Il marque une pause avant de reprendre : "Je vais être honnête, je suis mal à l'aise avec tout ça, avec ce qui touche à Daniel. Donc si tu veux écrire une chanson d'amour pour lui, pardon Sharon, mais ce sera non. Prends quelqu'un qui ne soit pas émotionnellement impliqué. En revanche, si notre chanson peut t'aider à avancer, à clôturer le chapitre, tu peux compter sur moi. Je pense qu'après toutes ces épreuves, tu as besoin de te reconstruire... Tu dois penser à toi et arrêter de t'auto-flageller pour quelque chose qui ne dépend pas de toi. Après tout ce que tu viens de me raconter, je me dis que ça va trop loin. Tu as réussi à remonter la pente, je te souhaite de prendre conscience de toute la force que tu as et de savourer les nombreuses victoires que tu as remportées. Les défaites ne doivent pas être oubliées, mais doivent simplement servir de garde-fou. Une sorte de "plus jamais ça", tu vois ?"

Les yeux dans le vide, elle ne semble plus écouter.

- " Pardon... Je me suis emballé... Je me mêle de ce qui ne... "

Elle se tourne alors vivement vers lui pour lui poser une main sur le torse :

- " Non... J'avais besoin de l'entendre. Tu ne peux pas savoir comme je suis contente de m'être livrée à toi, Corey.

- " ...Tant mieux...

- " J'ai peur cependant que ce ne soit plus facile à dire qu'à faire.

- " ... Peut-être qu'à deux ce sera plus facile ?

- " ... ?

- " Et si on faisait notre cure de désintoxication ensemble ?"

Les yeux de Sharon brillent alors d'un nouvel éclat. La main qu'elle avait portée jusqu'à son cœur continue sa course pour aller presser une de ses paumes en acquiesçant. Ils se sourient et elle lance : 

- " Allons-y alors."

***

La soirée avait été longue et riche en émotions.

Ainsi était-il soulagé de voir que Sharon avait quelques bases et l'oreille musicale. Elle s'applique, elle veut bien faire, elle apprend vite. Il se rend compte avec dépit qu'il s'était préparé pour ne pas tomber dans son piège séducteur, mais pas à la trouver si ravissante dans l'apprentissage. Il est troublé à chaque fois que ses grands yeux bleus cherchent avec candeur son approbation.

Il se sent bien, ne voit pas les heures passer, jusqu'au moment où il recommence à se sentir un peu vaseux. Il ne dit rien, ne voulant pas interrompre le moment ; Sharon est sur un bon rythme, ce serait dommage qu'elle le perde. Mais la demi-heure passée, il a de plus en plus de mal à faire abstraction.

- "Je suis désolé Sharon, mais... Il faut que j'y aille, j'ai... je sais pas... j'ai un coup de fatigue."

Il prend congé plus vite qu'il ne l'aurait voulu, laissant Sharon interdite, et se jette plus qu'il ne se pose dans le taxi qui le raccompagne chez lui au bord du malaise.

***

- " Je sais pas comment tu fais pour rester immobile comme ça pendant des heures."

Elle ne sursaute pas au son de sa voix, qui a été précédée par le grincement du portail en aluminium. Elle est à l'écoute, Jane, malgré le tumulte qui l'agite à l'intérieur.

- " Rien à signaler j'imagine ?

- " Non.

- " ... Ça va ?

- " ... Ça va.

- " ... Tu ne crois pas qu'on devrait arrêter ? S'il devait se passer quelque chose ils seraient déjà venus le chercher. C'est pas la première fois qu'on flippe pour rien.

- " On reste là.

- " Combien de temps, encore ?

- " J'en sais rien Djalil, j'en sais rien. Mais on ne peut pas se permettre de perdre un autre membre. Alors on se donne les moyens qu'il fa..."

Le bruit d'un moteur perce le silence alentour et attire l'attention de Jane qui s'interrompt. Son sang ne fait alors qu'un tour et la projette elle et son acolyte contre la haie.

Le cœur de Jane bat à tout rompre, comme si elle savait ce qui allait se passer. Une terrible intuition qui prend vie sous ses yeux. Elle cherche le talkie à tâtons et dis à l'adresse de Djalil : 

- " Vas réveiller Jul... "

Elle ne peut achever sa phrase, saisie brutalement vers l'arrière par deux bras résolus à la faire taire. Elle se débat de toutes ses forces, ses jambes prenant appui sur le sol pour arquer tout son corps mais ne faisant finalement que brasser de l'air. Elle a aussi tenté de décocher un coup de tête à son assaillant mais ce dernier avait anticipé le coup et a retourné l'élan pris par sa nuque pour la lui maintenir cambrée contre son épaule, la main gauche de Djalil plaquée sur sa bouche. Jane est déboussolée par la soudaineté de l'attaque, menée par la dernière personne qu'elle imaginait la trahir, ainsi que par la tragédie qu'elle sait se dérouler en contre-bas et contre laquelle elle ne peut agir. Prise d'une soudaine colère, elle hurle et se débat encore plus violemment. Mais l'orphelin qui la ceinture a été forgé par la violence et les épreuves de la rue. Elle lutte pourtant, le diable au corps, possédée par une formidable rage alimentée par la haute trahison dont elle est victime, mais qui ne libère que des larmes. Car rien d'autre ne franchit le barrage qui lui est opposé, pas même ses cris qui n'ont d'autre alternative que de mourir dans sa gorge.

Oui elle lutte, et elle voudrait, en plus d'aller tuer de ses propres mains tous ceux qui vont s'en prendre à Daniel, faire taire celui qu'elle prenait pour un allié et qui s'entête à lui répéter : 

- " C'est fini, Jane. C'est fini. Tu ne peux plus rien pour lui. C'est fini. Je suis désolé. Pardonne-moi. Mais c'est fini."

***

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