2.14 De nouvelles complicités





Lin descend de la voiture soulagée à l'idée de pouvoir enfin se rouler dans les couvertures où elle espère trouver un peu de réconfort, même artificiel. Dans les draps, la réalité sera toujours la même, mais serrer contre elle son deuxième oreiller l'aide toujours à tromper sa solitude. Elle se prépare donc à plonger dans son lit quand des exclamations aigues lui parviennent dans son dos : 

- " Linette ! Linette !"


Il lui faut un instant pour réagir, mais elle est rapidement sortie de sa stupeur par son agent de sécurité rapprochée qui vient de faire volte face, en alerte.

- " Tout va bien." Rassure-t-elle l'agent Bellone qui a été affectée à sa sécurité. "C'est une amie."


- " Ça ne change rien pour moi, Madame."

La garde du corps défronce néanmoins les sourcils et presse le pas pour la dépasser alors qu'elle se dirige vers Maria, son amie d'enfance habitant de l'autre côté de la rue.

- " Pas un pas de plus s'il vous plaît." Reprend-elle.


Le ton, sans être agressif, fait flancher les ardeurs de sa voisine qui stoppe sa course et se voit demander l'autorisation d'être fouillée. Maria accepte, quelque peu décontenancée, puis s'approche de Lin quand on le lui permet.


Après une brève seconde de flottement, son amie semble se souvenir de ce qui l'amène et demande, de nouveau émotive : 

- " Mon Dieu Lin comment vas-tu ?
- " Je vais bien merci. On a eu beaucoup de chance.
- " Quelle horreur ! Et dire que ça aurait pu exploser alors que tu y étais ! J'en ai la chair de poule ! Je suis bien contente qu'ils t'aient dégoter une protection rapprochée les zinzins de l'espace, là. C'est à se demander à quoi ils pensaient pour ne pas l'avoir fait plus tôt !
- " Rien n'avait jamais laissé penser que j'étais en danger... 
- " Il y a eu des attentats pourtant ! 
- " Ça ne concernait pas Oaz'Pharma. Je ne comprends pas ce que font ces explosifs là-bas, le but recherché. Je... La vie de millions de gens dépendent de ce site, je n'arrive pas à croire que leur survie aurait pu être compromise... que des gens aient envisagé de faire un truc pareil. Et puis... Ce n'est pas faute d'avoir mis les moyens dans le service de sécurité... 
- " C'est un de vous, forcément !"

Lin est d'abord surprise par l'assurance de la déclaration, puis elle baisse les yeux, dévastée, avant de répondre : 

- " Cela se peut, oui..."

Un ange passe, puis Maria reprend : 

- " Enfin... Heureusement, cela a été découvert à temps. Tu as plus d'information là-dessus ?"

Elle va répondre quand elle voit que l'agent de sécurité lui adresse un regard en coin dont elle saisit le sens. Ce n'est pas comme si elle avait besoin de mentir, de toute façon : 

- " Non... Mon niveau d'accréditation ne me permet pas de prendre part à l'enquête.
- " Mais enfin, tu...
- " Oui, je sais." Puis pour couper court aux éventuelles questions : "Merci, en tout cas, de t'être inquiétée."



- " Oh bah Linette quand même... Bien sûr que je me suis inquiétée ! Tu dois être dans tous tes états ma pauvre. Tu veux qu'on reste ensemble ce soir ? Il est tard, mais je pense que ça ne te ferait pas de mal de te faire chouchouter avant d'aller au lit... Tu ne devrais pas être seule. Ça te dit une petite séance cocooning comme avant ? C'est moi qui régale."

Lin a beau chercher, elle ne voit aucune raison socialement acceptable de refuser. Son premier reflexe a été de dire "non" en guise de protection contre ce qu'elle perçoit comme une intrusion, mais elle se rattrape in-extremis pour répondre : 

- " C'est une bonne idée, oui."

En effet, c'est certainement la chose raisonnable à faire, parfaitement lucide sur l'aggravation de son anxiété sociale qui l'éloigne des autres depuis des années maintenant ; ce soir-là, elle se dit qu'il est temps de faire d'autres choix.


Son père les retrouve dans l'entrée de la villa et prend sa fille un peu à l'écart pour lui demander : 


- " Comment vas-tu ma chérie ? Du nouveau ?"


- " Ça va Papa, merci. Je n'ai pas plus d'infos que tout à l'heure. On fera le point avec Lazlo demain matin. En attendant, nous avons l'agent Bellone pour assurer notre sécurité. Tout s'est bien passé quand ils sont venus inspecter la maison ?
- " Oui. Rien à signaler.
- " Tant mieux.
- " Je suis content que Maria soit avec toi ce soir. J'imagine que Lazlo est occupé, mais cela m'aurait embêté que tu sois seule cette nuit.
- " Je ne suis pas seule avec toi, Papa."

Il soupire :

- " Tu sais très bien ce que je veux dire. Allez viens-là."


- " Passe une bonne nuit ma Linette. Oh que je suis content de te serrer dans mes bras."

Elle lui rend son étreinte, émue plus que de raison par ce sobriquet, énoncé de nombreuses fois ce soir, alors qu'elle ne l'avait pas entendu depuis des années.
C'est la tête dans du coton et le cœur lourd qu'elle monte les escaliers pour aller se changer. "Linette", c'était le surnom affectueux que lui avait donné son père et qui avait été repris par Maria à son grand dam ; elle ne l'avait jamais aimé. Pourtant, ce soir, il remplit son être d'une chaleur douloureuse en écho à une époque lointaine que la présence de son amie ne fait que faire flamber davantage.


Elles en avaient passé des heures, toutes les deux, à se coiffer, se déguiser, se faire des manucures, se pomponner, regarder des séries, discuter des conquêtes de l'une, du célibat de l'autre, à débriefer sur les quelques soirées auxquelles Lin avait été autorisée à se rendre... Et puis il y avait eu ces moments d'intense complicité où elle lui avait confié les petits détails de sa relation secrète - pas question pour Papa Muto que l'attention de Lin soit parasitée par un garçon - avec Daniel. Maria représentait l'ouverture sur le monde pour Lin. C'est ce qui les avait rapprochées ; c'est ce qui les avait éloignées.


- " Ce n'est pas si catastrophique..." Observe Maria en inspectant les mains de son amie.
- " J'ai été à bonne école.
- " Par contre le vernis, ce n'est toujours pas ton truc apparemment.
- " Trop...
- " 'D'entretien-je rentre-j'suis crevée.' Je connais la chanson. Tu travailles...
- " 'Trop-Lin'. Moi aussi, tu as vu ?" Réplique-t-elle en levant un sourcil amusé.
- " Ça me manque, tout ça... Pas tellement le fait de trainer avec une souillon...
- " Oh carrément !
- " ...mais surtout... C'est toi qui me manque, Lin.
- " Tu m'en demandais trop, Maria..."

Son amie pousse un petit soupir contrit.

- " J'ai certainement été maladroite... Mais... Enfin tu sais... Tu as rejeté tout le monde... J'ai eu peur pour toi."

Il y a beaucoup de tendresse dans les gestes de Maria, ainsi que dans son regard. Son affection est réelle et Lin regrette de l'avoir sortie de sa vie, de ne pas avoir su faire la part des choses. Que de temps perdu... Que d'occasions manquées. Sa nostalgie se transforme peu à peu en amertume. 

- " Je me suis comportée comme une idiote." Conclue-t-elle. "J'ai blessé beaucoup de monde à cause de mon entêtement. Je te présente mes excuses Maria.
- " Cela veut dire que tu vas mieux ?
- " ... J'aime à croire que je suis sur la bonne voie. Merci d'être là Maria, je sens que ça m'aide beaucoup.
- " Oh Linette..." Les larmes aux yeux, son amie renifle en souriant et demande : "Tu as quelqu'un dans ta vie ? Tu t'es refait un cercle d'amis ?
- " Oui alors j'en suis au tout début du processus, hein..." S'amuse Lin. "Mais j'ai pris une décision. Je ne sais pas bien ce qu'il s'est passé mais j'ai pris conscience que le monde continuait sans moi et qu'il y avait des gens qui m'aimaient suffisamment pour, malgré mon attitude, rester à mes côtés. J'ai l'impression d'être un peu sortie de ma léthargie et je recommence à me préoccuper de ce qui se passe autour de moi. Je me suis enfin rendue compte à quel point Lazlo est important pour moi.
- " Hun hun..." Marmonne Maria en suspendant son geste. "Important... Important comment ?
- " Important comme faire ma vie avec lui.
- " Quoi ?"


- " Aïe !" Proteste Lin.
- " Mais enfin Lin ! Il n'y a que le Chili pour être meilleur réchauffé ! Et puis tu l'as déjà bouffé tout cru le pauvre... Qu'est-ce-que tu cherches à retourner fouiner de son côté ? Et puis il n'est pas sensé se marier en plus ?! Oh Seigneur Linette..."


- " Si ça peut te rassurer, il ne m'a pas encore dis "oui".
- " Eh bien au moins un qui a retenu quelque chose !
- " Je t'assure que je suis sérieuse !
- " C'est bien ça qui m'inquiète. Linette... Lazlo est un chic type, j'en suis sûre, mais il n'est pas pour toi. Vous êtes de très bons amis, très certainement, mais il ne te fait pas assez vibrer pour qu'il soit un bon amant.
- " Je ne lui ai jamais laissé sa chance, pour être honnête...
- " Et est-ce-que tu t'es posée la question du 'pourquoi' ?
- " Bien sûr. J'étais obnubilée par des bêtises. 'N'est pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.' J'ai ouvert grand les yeux et je peux t'assurer que j'aime Lazlo. De l'eau a coulé sous les ponts, nous sommes plus âgés, plus mûrs... J'ai vraiment envie de me lancer avec lui..."

Maria lâche délicatement sa main pour venir s'agenouiller devant elle et s'appuyer sur ses jambes. Elle la regarde en contre-bas et plante ses iris avec bienveillance dans les siens : 

- " Linette... Il y a un juste milieu entre ton réparateur de piscine et ton savant fou. Entre ce brasier qui t'a dévorée toute entière et... le frozen yogurt."

La jeune femme se retient de tiquer à l'évocation de Daniel en ces termes uniquement parce-qu'elle réprime un éclat de rire. Elle répond finalement, las : 

- " Tu exagères. Et il s'appelle Daniel, Maria. Et je ne suis pas à la recherche de quelque chose en particulier. Quand je regarde Lazlo aujourd'hui, j'ai envie d'être avec lui. Vraiment. C'est différent d'avec Daniel, et franchement, c'est tant mieux. J'ai mis des années à m'en remettre. J'en ai honte, pour tout te dire. J'ai honte d'être passée à côté de toutes ces années pour un fantôme. C'est parfaitement stupide de rester bloquée sur un amour d'adolescent. Je suis adulte, pour l'amour du ciel ! Je vaux mieux que ça ! C'était une très belle histoire, je ne la renie pas, mais elle appartient au passé. J'ai envie de vivre, maintenant."

Maria lui sourit avec affection : 

- " Ouah... Eh ben... Ça me fait plaisir de te voir comme ça. Je retire - un peu - ce que j'ai dit. Je ne suis pas hyper convaincue quant au choix final mais bon... Tu es tellement têtue. Tu m'inviteras quand même à ton mariage ?"

Lin se met à rire : 

- " S'il dit oui, tu voudras bien être ma témoin ?
- " OOOooooohhhhh !"

Son amie se jette dans ses bras sans plus de cérémonie. 
Quelques instants plus tard, elles descendent toutes deux à l'étage inférieur, épuisées, pour aller se coucher. Alors qu'elles se dirigent ensemble vers le lit qu'elles vont partager comme lorsqu'elles étaient enfants, Maria se débarrasse de tout le superflu : 


- " Aaaahhhhh ça fait du bien..." S'exclame-t-elle. "Je ne sais pas comment vous faites, vous, les adeptes du pyjama."


Lin, quant à elle, vient de se rappeler un peu tardivement à quel point son amie est à l'aise avec son corps. Quelque peu crispée, elle décide néanmoins de passer outre et va la rejoindre sous les couvertures, bien au bord du matelas, pendant que Maria navigue nonchalamment sur son téléphone.
Sur le dos, les yeux fixant le plafond, la jeune femme prend le temps de sonder ce qu'elle ressent. Jusque là, elle prenait grand soin d'ignorer ses sentiments, mais aujourd'hui est un nouveau jour.
Ainsi, elle se remémore sa première rencontre avec Daniel, la première sortie, le premier baiser, leur première fois, puis les suivantes - toujours plus passionnelles - les rires, puis les pleurs. Elle se laisse envahir par les sensations, savoure chaque moment, puis fait la paix avec eux. Elle soupire lentement, profondément.



Adieu.



***





Le moment fatidique est arrivé. Ses mains sont moites, son cœur bat fort, ses pensées se bousculent pour la faire reculer. 

Et si ça ne fonctionnait pas ? 

C'est la question qui la hante depuis des jours. 

Et si elle n'arrivait pas à le sauver ? 

Les chances qu'elle y parvienne étaient tellement minces qu'il fallait se préparer à cette éventualité. Pourtant, elle avait refusé d'y réfléchir. Elle ne s'était autorisée qu'à chercher des solutions : quand on a peur du vide, on ne regarde pas en bas ; alors elle regarde droit devant.


Et enfin, ce soir, elle n'est plus qu'à quelques mètres de lui. Quelques pas les séparent, mais se sont les plus durs à franchir. Car une fois qu'elle sera à ses côtés la vérité crue lui apparaîtra : il vit ou il meurt. Il ne lui reste plus que quelques heures avant de savoir si en acceptant d'être aimée, ce que son frère lui avait formellement interdit, elle a condamné son meilleur ami à mort. À cette pensée, une larme perle au coin de son œil, qu'elle essuie immédiatement ; ce n'est clairement pas le moment de se laisser aller.
Elle ferme les paupières et implore silencieusement l'être qui l'habite de l'aider. Les poings serrés, les traits plissés en une mimique supplicatoire, comme la dernière fois, elle lance un appel au secours. À la différence qu'à cette occasion-ci, elle offre également sa personne.

Je te donne les rênes. Je m'en remets entièrement à toi. Je te supplie Idril, si c'est bien ton nom, de nous aider. Je suis prête à tout abandonner en échange d'un de tes miracles. Je ne te combattrai plus. Sauve-le. Sauve-le, et tu feras ce que tu veux de moi ensuite, je t'en fais le serment.






À cette heure-là, l'hôpital est désert et il est aisé pour elle de parcourir les mètres qui la séparent de la chambre de Corey. Trop aisé pour que ce soit naturel. Aux aguets, elle se sent habitée par une étrange intensité. Et alors qu'elle va pénétrer dans le dernier couloir, elle perçoit sa présence. Percevant qu'il est seul, elle continue sa route et le trouve occupé à parcourir un ordinateur. Il ne tourne la tête qu'au dernier moment, bien qu'elle sache qu'il a repéré sa présence.



- "Tiens tiens..." Observe-t-il. "Tu es pleine de surprises Silvia Magnolia. "


Devant son silence Ig reprend : 

- "Tu as réussi à communiquer avec elle et à l'utiliser sans qu'elle ne prenne le dessus... Je suis impressionné."

Contre toute attente, c'est la créature qui lui répond : 

- "C'est que tu n'as pas encore bien mesuré ce dont je suis capable."

Il a un léger mouvement de recul : 

- "À qui ai-je affaire ?
- "À nous deux." Répond Idril.
- "Intéressant... Quoiqu'il en soit, j'ai libéré la voie, et sache que les agents ont été déployés ailleurs. Donc vous pouvez y aller. Mais avant, il faut que je vous informe que le vie de ton frère, Silvia, est fortement menacée. Je vais bientôt me retrouver coincé au sous-sol pour servir de babysitter à la Dilgürog, donc je ne te serai d'aucune aide.
- "Pourquoi ne le fais-tu pas évader maintenant ?
- "Je ne sais pas si tu es au courant, mais un membre de la CLOES aurait trahi ses compagnons et divulgué l'emplacement d'une série de bombes à Oaz'Pharma. La sécurité est dédoublée. Même s'il sort, il sera rattrapé en moins de deux par le premier hélico dépêché. Il y a trop de monde, je ne peux pas tous les gérer seuls. Si tu avais plus d'expérience, on aurait pu tenter l'expérience. Mais là... Je suis désolé Silvia, je ne suis pas tout puissant.
- "Qu'est-ce-qui t'empêche de manipuler mentalement les frères Lalouche ?
- "J'ai été bridé par les pollinisateurs, je n'ai aucun pouvoir sur eux. J'ai une incapacité totale pour tout ce qui consisterait à tenter d'avoir un ascendant sur eux. Ceci étant dit... Si tu me laisses le loisir de découvrir ce dont tu es capable, je pourrai réfléchir à une solution et avec un peu de chance on arrivera à le sortir de là avant qu'il ne soit trop tard."


- "Tu crois que je suis née de la dernière pluie ?
- "Au bout d'un moment tu vas devoir prendre le risque de me faire confiance. J'ai déjà risqué beaucoup pour toi. Je n'ai rien à faire ici, je compte sur le fait qu'ils sont tous occupés avec cette histoire de bombe pour que mon absence passe inaperçue. Mais moins tu coopéreras, plus je me compromettrai, et plus il y aura un risque que ça se passe mal pour moi. Et si ça dégénère, tu perdras tout avantage. Dis-moi au moins comment te joindre. J'aurai forcément besoin de toi à un moment, et je ne crois pas que ce soit dans notre intérêt à tous les deux que je perde un temps précieux à essayer de te retrouver dans l'annuaire. Idril, fais-lui entendre raison s'il te plaît. On sait tous les deux que tu n'as rien à craindre de moi.
-"Donne-moi ton poignet." Répond Idril à sa place.

Ig fait la grimace mais finit par faire ce qui lui est demandé. Idril attrape alors l'avant-bras qui lui est offert et mord d'un petit coup sec la peau avant d'en aspirer quelques gouttes de sang.

- "Tu as intérêt à me rendre souvent visite si tu veux espérer ne rien louper d'important." Déclare-t-il, grincheux.
- "Je vais t'ouvrir une voie. Mais ne fais rien d'inconsidéré..."


- "... parce-que tu sais maintenant que je te retrouverai où que tu sois.
- " Oui, oui, je me rends bien compte..." Répond-il, las. "Tiens..." Dit-il en lui tendant trois tubes à essai contenant un liquide jaunâtre. "J'ai orienté les médecins qui ont fait des prélèvements sur la sœur et les parents. C'est à toi de jouer, maintenant."

Idril saisit les flacons et le dépasse ensuite sans un mot de plus avant de se poster devant la porte de la chambre, immobile, signifiant ainsi à Ig qu'il est congédié.
Une fois seule, la créature se met en retrait et c'est à Silvia que revient la décision de franchir le seuil. Elle se met alors à trembler, soudainement terrorisée à l'idée de revoir son ami. Elle pousse un petit soupir sec, pour se donner du courage, et pousse les battants.


Son cœur manque un battement lorsqu'elle aperçoit Kay endormi, le buste avachi sur le lit aux pieds du malade. Émue, elle doit se mordre la lèvre pour ne pas éclater en pleurs. Mais l'émotion la submerge alors Idril reprend le flambeau. Elle ingère alors le contenu des différents tubes en sa possession, dont celui contenant la dent qu'elle broie entre les crocs qui viennent de pousser.



Silvia se voit ensuite chuchoter des mots rassurants à un Kay qu'elle sent s'enfoncer encore plus profondément dans le sommeil. Elle se dirige enfin vers Corey et lui attrape délicatement la nuque, puis la tête. 


Et alors qu'elle voit le visage familier se rapprocher du sien, elle implore Idril : 



Sauve-le, je t'en supplie.



***





Ig est stressé. Son comportement inhabituel va forcément attirer l'attention de ses employeurs et il n'a aucune idée de la façon dont il va se sortir de ce guêpier. S'il se sent contraint par Idril, il ne peut pas pour autant négliger son devoir envers ceux pour qui il travaille. Car s'il les trahit et qu'il se fait prendre, les pollinisateurs vont vouloir faire de lui un exemple afin de préserver leur réputation. 
Contrarié, l'esprit ailleurs, il ne voit pas arriver l'homme qui passe la porte sécurisée en même temps que lui.


- " Dimitri !" S'exclame ce-dernier alors qu'il tente de reprendre son équilibre.

Pascal Lalouche le dévisage un instant avant d'observer : 


- " Tu en as mis du temps... Comment cela se fait-il que tu n'arrives que maintenant ?
- " J'ai passé en revue mes entretiens avec le captif. Avec ce qu'il s'est passé, je ne voulais rien laisser au hasard.
- " Et ?
- " Honnêtement Monsieur, je n'ai rien vu de compromettant pour nous. 
- " Cela t'est-il déjà arrivé de passer à côté de quelque chose dans le passé ?
- " C'est possible, le sondage est un procédé complexe, je ne peux pas tout voir. Mais jusque-là, quand il y avait des soupçons, j'ai toujours réussi à trouver un élément qui les confirmait.
- " Quel est ton sentiment à son propos ? Au vu de ton expérience ?
- " Je n'ai pas les capacités de vous répondre, Monsieur. Je manque justement d'expérience pour être capable d'intuition." Ment-il en se disant que moins ils en savent, plus large sera sa marge de manœuvre.
Les yeux du Docteur se plissent, trahissant sa réflexion au terme de laquelle il interroge : 
- " Tu continues tes sessions avec le Docteur Eire ?
- " Non Monsieur. Il avait été convenu que je n'en avais plus besoin.
- " Et qui est à l'origine de cette décision ? C'est mon frère je suppose ?
- " C'est le Docteur Victor Lalouche, Monsieur.
- " Oui, c'est bien évidemment à lui que je pensais. Bien. Encore une fois il prouve qu'il n'a rien compris à la manœuvre. Soit..."


- " À partir de maintenant, tu vas reprendre tes séances de conversation avec le Docteur Eire. Tu retournes la voir dans la semaine et elle décidera de la fréquence à respecter. C'est compris ?
- " Oui Monsieur."


- " Bien. Concernant la Dilgürog, il faut reprendre la récolte d'informations. Le Docteur Eire sera là demain à la première heure pour te seconder. Vas te reposer dans une des chambres en attendant. La journée risque d'être longue."

Pascal Lalouche le salue avant de prendre congé et Ig se dirige vers la cellule de la créature : il n'y a pas de temps à perdre.



La Dilgürog n'a pas l'air au mieux de sa forme. Il pensait qu'elle aurait rapidement repris du poil de la bête une fois nourrie correctement, mais il n'en était rien. Son attachement à son alpha devait être trop prégnant, transformant la séparation en une détresse physique. Il doit donc absolument réussir à établir un contact avec elle afin de la rassurer. Il pénètre dans la pièce sans plus tarder et provoque une réaction agressive de la part de la créature qui gronde et crache comme le ferait un chat ; en plus spectaculaire cela dit.

Loin d'être impressionné, il ne perd pas une minute et va sonder son esprit.


Les Dilgürogs, s'ils sont féroces, ont l'avantage - pour ceux qui maîtrisent la manipulation psychique - d'avoir une cognition simplissime. Ig est ainsi ravi de pouvoir naviguer simplement dans les méandres de son cerveau qu'il découvre parfaitement immature. La créature devant lui a une architecture cérébrale proche de celle d'un adolescent, ce qui la rend à la fois instable et influençable. Malléable mais farouche, la contrôler va demander beaucoup de finesse s'il ne veut pas terminer en charpie ou la transformer en légume. 
Il poursuit sa visite en parcourant le centre de la mémoire afin de comprendre d'où elle vient. Cette fois-ci, les signaux sont clairs : connaissant le lien qui lie la captive et Idril, il n'a aucune peine à retracer leurs interactions. Et ce qu'il découvre lui provoque une telle exclamation de surprise qu'il se déconnecte avec un bref éclat de rire. Persuadé qu'elle le comprend, il se lance dans un monologue sur le ton de la confidence : 

- " Ainsi, tu t'es nommée Pepper... Eh ben... Quelle aventure que la vôtre à toutes les deux...  Tu as dû te sentir très seule, Pepper. Mais tu ne l'es plus. Nous sommes dans le même bateau, toi et moi. J'ai réussi à gagner pas mal de liberté, et je t'en promets au moins autant si tu me suis. Il y en a d'autres, des comme toi, qui sont libres, qui vont à l'école, qui ont une vie. Tu peux avoir tout ça. Mais il va falloir qu'on se fasse confiance. Je sais que pour le moment tu ne penses qu'à Idril, mais réfléchis à cela : après t'avoir laissée pour morte, elle t'a abandonnée aux laborantins qui ont volé ta vie. Vie que je ne te propose pas de récupérer, mais de refaçonner selon tes termes, sous la protection d'un Alpha qui se préoccupe sincèrement de ton bien-être. Laisse-moi t'aider, Pepper. Tu ne le regretteras pas."







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Commentaires

Eulaline a dit…
Oh que je suis contente de découvrir cette suite! * danse de la joie*

En vrac comme toujours:
Lin.
"Il n'y a que le Chili pour être meilleur réchauffé ! Et puis tu l'as déjà bouffé tout cru le pauvre..." Je n'aurais pas dit mieux :o et j'ai bien ri après avoir été toute émue de voir Lin avec son papa. Ce père que je juge assez sévèrement mais bon, on sent plein d'amour en lui pour sa fille. Et vice versa. Qui suis-je pour juger des choix qu'il a imposés à Lin? Qui suis-je pour juger Lin? Je vois à quel point elle a toujours à se justifier de ses choix. Finalement, elle a bien le droit de décider elle-même de son destin, sans avoir à rendre des comptes au père, à Daniel et à la terre entière.

Idril/Silvia.
Pffiou, j'ai tellement aimé l'intensité de cette partie, tes images qui sont fabuleuses.
Silvia qui par amour veut se sacrifier pour sauver notre Corey. Que c'est beau, en apnée je lis et termine ce passage, j'espère tellement de bien à ces deux-là.

Ig.
Ig, en revanche, il est vraiment flippant à souhait :D J'ai l'impression qu'il a dix mille plans en tête, celui-ci, c'est un filou. Mais gaffe, à trop faire son malin, il risque de tomber dans le ravin.

Oh vraiment, je suis tellement heureuse quand je te lis. Merci.

Vivement la suite :D ♥

GGO a dit…
Eulaline Oh merci d'être là ! 😭 Je ne sais pas si tu étais inscrite pour recevoir les mise à jour mais ça ne fonctionne plus donc je ne sais pas trop comment je vais faire, encore, pour prévenir ceux qui s'étaient inscrits que c'est reparti... Bref, toi tu es là, je suis trop contente ! 🥰

Pour Lin on va pas se mentir c'est le choix du désespoir. Pendant très longtemps elle s'est dit qu'elle n'avait besoin de personne ( et puis son père joue bien la nounou XD), mais le temps passe, elle se rend compte que son papounet n'est pas éternel donc ça la fait beaucoup cogiter... Et tout à coup, elle n'a plus envie d'être seule, Lin. Moi non plus, je ne lui conseillerais pas un type fiancé, mais c'est qu'elle est très difficile, Lin, très snob, même. Daniel, c'est une erreur de la matrice pour finalement. Donc pour ses critères, eh bien Lazlo, qui a en plus la bonne idée d'être à portée de main, c'est le candidat idéal... 😐
Nan, c'est pas glorieux 😅

On croise les doigts pour Silvia !

Ig, tu verras, il a pas fini son sale quart d'heure... Il a pas l'habitude, le pauvre, d'être le cul entre deux chaises... 😅

Merci pour ton commentaire, ça me fait chaud au cœur, tu peux pas savoir.
MumuAgathe a dit…
Dis donc, c'est très opportun je trouve cette arrivée de Maria, ce soir-là, en plus. Oui, désolée je suis méfiante avec tout le monde ^^. Quant à son mariage ou pas avec Lazlo, j'ai envie de dire, bof ! XD Je ne sais même pas si j'ai envie qu'elle retrouve Daniel. Trop d'eau a coulé sous les ponts, trop de changements de part et d'autre pour qu'ils puissent se retrouver. Et trop de secrets aussi entre les deux...

J'espère qu'Idril/Silvia va réussir à sauver Corey. Parce que s'il y en a bien un qui le mérite, c'est lui. D'ailleurs, comme Idril fait plus ou moins partie de Silvia, est-ce que cette entité éprouve également des sentiments pour Corey ou pas du tout ?

Et si je comprends bien, les bébés humains ont en fait reçu des entités extra-terrestres plutôt que du matériel extra-terrestre ? C'est bien ça ou je me trompe complètement ? Oaz'Corp a en fait donné des véhicules humains à ces ET ? Quels bénéfices en retirent les pollinisateurs ? Car j'imagine qu'ils ne font pas ça pour le plaisir de la science. Et je me demande s'il n'y a pas un jeu de dupe quelque part et si Oaz'Corp ne joue pas avec le feu. Cela me plairait rien que pour voir l'expression de Victor qui comprend qu'il s'est fait avoir en beauté XD.
Je suis prête pour la suite !
Ah, et tes images sont toujours aussi immersives et soignées ♥♥♥
GGO a dit…
Mumu Coucou !

Alors je te rassure tout de suite, Maria est innocente ! :D

Je suis d'accord pour Dan, ça n'aurait aucun sens en l'état !
Et pour Lazlo aussi : bof, c'est le mot ! XD Oh je suis méchante.

Merci pour cette question sur Idril, c'est ce qu'on va explorer dans la saison 3 ! :D

Idem pour le mécanisme, tu auras les réponses à ce moment là :D

Quant à Victor, non, tout est au clair avec les pollinisateurs. Mais les tergiversations d'Ig ne vont pas le servir... Tant qu'elle n'aura pas clairement choisi son camp, tout est possible ! Et elle va tergiverser un moment XD

Merci beaucoup pour ton passage et ce gentil message.

A bientôt !