2.13 Au plus proche de mon ennemi

 

- " Alors ? Je vous ai posé une question !"

- " À quoi rime ce cirque ?"

Nadia finit par desserrer les dents : 

- " J'avais un message à faire passer.

- " Et vous aviez besoin de faire une scène ?!"

- " Dans la mesure où vous avez laissé faire pendant des années, il me semble, oui, que c'était nécessaire.

- " Vous croyez franchement que je n'ai que ça à faire de m'occuper de vos petits problèmes relationnels ?

- " "Petits problèmes relationnels" ? Ah mais il faut que je foute des procès au cul pour harcèlement moral et agression sexuelle pour que vous me preniez au sérieux ? C'est ça qu'il vous faut pour que vous teniez la basse-cour qui vous sert de commissariat ?!"

Le visage de sa supérieure se ferme, témoignant de son hésitation entre sa volonté de la réprimander pour sa liberté de ton et celle de faire profil bas en raison de son propre laxisme, avant de chercher un autre os à ronger en la personne de Gerold : 

- " Très bien, alors de quoi parle-t-on, exactement ?" Puis de fixer à nouveau Nadia : "Qui vous a fait cela, Officier Calcuta ? Dois-je mettre le Lieutenant Gerold aux arrêts ?"

 

Nadia n'en attendait pas moins de son coéquipier : plutôt que de se tenir à carreau, il lui oppose un regard plein de défit qui lui hérisse méchamment le poil. Néanmoins, ils savent tous les deux qu'elle a besoin de lui.

- " Je pense que le message est passé. En revanche, je veux changer de coéquipier."

Nadia n'en montre rien, mais elle est impressionnée par le self-control et le discernement dont Jérôme Gerold peut faire preuve, pour peu qu'il le veuille. Elle pourrait presque voir ses neurones s'agiter, et petit à petit effectuer des connexions : il a compris où elle venait en venir. Il aurait pu esquisser un sourire en coin, mais il n'en fait rien et se contente de garder le silence tandis qu'il détourne le regard. Leur capitaine, qui a observé, perplexe, ce bref échange visuel, rétorque : 

- " Et je suis sensée gérer votre brouille en pleine crise ? Vous croyez sincèrement que je vais bouleverser les équipes maintenant ?"

- " Non seulement vous allez le faire, mais en plus vous allez prendre des notes...

- " Qu...

- " Le Joker, c'est maintenant Miller."

- " Je veux être l'enquêteur principal, aux côtés du Lieutenant Barbara." Déclare-t-il.

- " Et moi je veux être une simple gratte-papier, j'ai besoin de me reposer après tout ça." Ajoute Nadia.

- " Mais c'est une plaisanterie ?!"

Le ton suraigu a fait sursauté le jeune femme.

- " Absolument pas." Reprend son coéquipier avec aplomb. "C'est même une bonne nouvelle ! Vous saviez très bien que ça allait arriver un jour sans savoir ce qui allait vous tomber sur le coin du nez. Avouez que ce n'est pas cher payé en comparaison de..." Il jette un regard en coin théâtral à sa voisine de droite. "... de vous savez quoi..." En fixant sa supérieure de nouveau.

- " Tu me demandes l'impossible, Jérôme ! Si tu avais maintenu tes stats, encore ! Mais j'ai des comptes à rendre !

- " Ce n'est pas mon problème. 

- " C'est un marché de dupes !

- " Tu le savais parfaitement, ce n'est pas nouveau. Mais si tu t'es achetée une conscience depuis, libre à toi de refuser nos conditions."

 

- " C'est bien ce que je pensais.

- " Hors de ma vue, tous les deux."

Les ex-équipiers s'exécutent puis, une fois dans le couloir, Gerold déclare : 

- " Ça me fait chier de l'admettre, au vu des circonstances, mais c'est un petit coup de maître que tu nous as préparé là."

Le visage fermé, Nadia rétorque sans même le regarder et en le distançant : 

- " Je vous emmerde." 

***

La discussion est animée entre Victor et Lin qui a du mal à contenir son émotion.

Lorsque la jeune femme se rend compte de sa présence, son regard se fait suppliant : 

- " Lazlo, j'ai le droit de savoir !"

Un coup d'œil à son aîné lui indique la marche à suivre : 

- " On en a déjà parlé, Lin, tu n'as pas l'accréditation adéquate. 

- " Je dirige Oaz'Pharma nom d'un chien ! 

- " Oaz'Pharma appartient à Oaz'Corp. S'il y a une brèche au niveau de la sécurité, c'est l'entité Oaz'Corp qui gère la crise.

- " Mais qu'est-ce-que je vais dire aux employés et à mes étudiants ?!

- " Ce que tu seras autorisée à révéler. Et tu sauras tout ce que nous serons autorisés à te transmettre. "

Lin ne cache pas sa déception et ne lui épargne pas sa mine désappointée. Lazlo sert les dents ; il trouve cela terriblement injuste. À tel point qu'il lui prend le besoin de se justifier : 

- " On en a déjà parlé, Lin. Il va vraiment falloir te faire à l'idée qu'il y a des niveaux d'accréditation qui ne dépendent pas de nous et qui par conséquent ne sont pas négociables. Nous faisons tout ce qu'il faut pour assurer la sécurité du site, c'est tout ce que tu as besoin de savoir. Si tu veux aider, rends-toi entièrement disponible auprès des agents responsables de l'enquête. En attendant, nous te demandons de rentrer chez toi - tu seras accompagnée d'un garde du corps - de te reposer, et nous te tiendrons au courant dès que possible de l'organisation des prochains jours. Je t'appelle demain pour que l'on accorde nos violons en prévision de la réunion à l'Oaz'Ac."

Ils se dévisagent intensément quelques secondes. Lazlo est résolu et voit en cet évènement la parfaite épreuve : si la jeune femme est sincère dans ses propos, dans sa volonté d'être avec lui malgré les secrets, c'est le moment où jamais de le démontrer. 

Lin baisse le regard, résignée, avant de le refixer sur lui et de lui signifier son accord par un petit hochement de tête. Sans un mot de plus, elle se lève et prend congé. Malgré son abdication, Lazlo ne sait comment déchiffrer son attitude. Mille questions affluent alors, qui ne lui donnent qu'une envie, la retrouver pour mettre la situation au clair, déterminer si elle est vraiment capable de rester en retrait sans pour autant lui en vouloir personnellement.

- " Dis donc Minus, tu as pris des vitamines ?"

Lazlo ignore la moquerie comme il a maintenant l'habitude de le faire, sans pour autant que cela n'arrête son aîné qui prend toujours plaisir à essayer de l'humilier même par des chemins détournés : 

- " Je vais bien être obligé de te croire quand tu dis que tu baises tous les jours. Avec les couilles pleines, jamais tu n'aurais eu le courage de rembarrer ta blondinette comme cela."

Il ferme les yeux, dépité. Son frère ouvre la bouche pour continuer mais l'arrivée providentielle des services secrets lui coupe l'herbe sous le pied.

Son soulagement n'est cependant que de courte durée lorsqu'il découvre l'identité de l'homme escorté.

Même Victor l'intarissable en reste muet, une expression stupéfaite sur le visage. 

- " Surprise !" S'exclame l'homme qui n'est autre que leur seul voisin, le dernier qui refuse de vendre son terrain depuis plus de 20 ans et qui a, par-dessus le marché, enquêté sur l'incident du conteneur qui a précédé l'Épidémie du Berceau avant que l'affaire ne soit close suite à l'intervention de Victor.

- " C'est une plaisanterie ?!" S'indigne son frère aîné.

- " Voyez le bon côté des choses, s'il y a bien quelqu'un qui a intérêt à ce que vous ne sautiez pas, c'est bien moi !

- " Où est le Lieutenant Barbara ?

- " En bas. Je suis juste venu vous avertir que nous étions tous deux responsables de l'enquête, désormais.

- " Ce ne sera pas nécessaire.

- " Ce n'est pas à vous d'en juger."

- " Si vous croyez une seule seconde que je vais vous laisser faire... 

- " Si vous n'avez que cela à faire... Je vous en prie. Mais je me sens quand même dans l'obligation courtoise de vous informer que rien ne pourra me désengager de cette enquête.

- " Que cherchez-vous, au juste ?

- " Je cherche à résoudre cette affaire. Je comprends bien que vous ne soyez pas à l'aise étant donné le fait que vous ayez tenté durant de nombreuses années de m'intimider pour que je vende mon bien, mais rassurez-vous, je suis professionnel. Si vous jouez le jeu, nous pourrons rapidement reprendre nos séances de non-salut et autres hostilités passives sur le trottoir."

- " À moi de vous avertir." Reprend le chef de famille. "Ne vous croyez pas libre de fouiner partout. Chacun de vos gestes sera scruté par un membre des Services Secrets. Donc je serais vous, je ne tenterais rien d'absurde. J'ai bien conscience de l'ampleur de la tâche pour un homme comme vous, mais "Un homme averti en vaut deux" paraît-il. Ce ne sera pas de trop, si vous voulez mon avis. Comme cela, nous serons deux à gagner un temps précieux."

- " C'est très aimable à vous. Tenez..." Dit-il en lui tendant une clé. "Donnez ce double à ma Nounou pour qu'elle aille fouiner dans mes affaires. Plus vite vous verrez que je me fous royalement de vos petites magouilles, plus vite on pourra travailler dans des conditions qui nous permettront de clore cette histoire et ainsi pouvoir siroter nos cocktails sur nos terrasses respectives, l'esprit en paix.

- " Ne serait-il pas le moment idéal pour vendre ? Je connais un acheteur qui serait intéressé."

Contre toute attente, le policier éclate de rire : 

- " Il fallait la tenter, je vous l'accorde. Mais j'ai bonne mémoire et s'il y a bien un coin qui est sûr désormais, sur le plan environnemental, c'est le vôtre. Ne me reste plus maintenant qu'à veiller à ce que personne ne vienne gâcher le paysage. Sur ce, j'ai à faire, Messieurs."

Le Lieutenant Gerold les salue l'un puis l'autre et se dirige vers la sortie suivi des deux agents secrets. Une fois seuls à nouveau, Victor observe : 

- " Ça va bientôt nous coûter plus cher de surveiller tous ces parasites que d'aller sur Sixam."

***

➡ MEET KATE 3/3 ⬅

(Pensez à revenir lire la suite après le Meet)

Une guerre qu'elle est en train de perdre.

Amorphe sur le canapé, elle n'arrive pas à bouger. Elle devrait aller se restaurer, tenter de dormir, mais une peur panique la gagne quand elle pense à descendre les escaliers, comme si elle ne les remonterait plus jamais. C'est idiot, pourtant. Là ou en bas, elle est vulnérable de la même façon. Mais le sous-sol l'effraie désormais. Tout comme le fait de mettre un pied devant l'autre.

Son cœur bondit dans sa poitrine quand elle entend la porte s'ouvrir. Une extension rapide de la nuque la rassure sur l'identité de la personne qui l'approche.

- "Du nouveau ?" Demande Julie en s'approchant tandis qu'elle se redresse pour l'accueillir.

- "Non. Ce qui n'est pas forcément bon signe.

- "Raconte-moi tout en détail."

Kate s'exécute et la conclusion de Julie est sans appel.

- "Il faut se barrer. Si Jane nous a caché sa relation avec Max Villareal ce n'est certainement pas le seul secret qui va débarquer avec lui. De ce que l'on sait, ton identité est déjà compromise. Il faut se barrer maintenant."

Ainsi, elle avait échoué. Que va-t-elle devenir ? 

Julie amorce un mouvement pour se lever mais elle la retient : 

- "J'ai quelque chose à t'avouer."

- "Avant que tu me prennes avec toi, je veux que tu saches la vérité. J'ai embrassé Dan."

- "J'ai cru comprendre que votre relation se terminait, alors... alors... Je n'ai pas d'excuse. À ce moment-là, je n'ai pas réfléchi aux conséquences, au contexte... Je me sentais mal, j'ai vu que Dan aussi... Le retour de Sharon m'a ramenée à l'époque où j'avais encore Dan pour me confier. Cela fait tellement d'années que je suis seule avec moi-même, dans cette peau d'emprunt qui se mêle tellement à la mienne aujourd'hui que je ne suis pas sûre de pouvoir encore l'ôter. Dan, c'est celui qui me rappelle qui je suis, pour la bonne et simple raison que c'est le seul avec qui j'ai pu me permettre d'exister. Sharon de retour, ça nous a replongé dans cette coalition que nous formions tous les deux. Du moins, c'est ce que je pensais. Parce-que contrairement à l'époque, tu es là."

- " Je ne sais pas ce qu'il se passe entre vous en ce moment, mais il t'aime suffisamment pour avoir refusé mes avances. Je tenais à te le dire. Ce n'était pas contre toi, ce n'était pas pour le détourner de toi... Il a juste s'agit d'un acte égoïste pour combler le vide qui se creuse en moi. J'ai envie de m'en sortir, de fuir, et Dan est la personne à qui je tiens le plus. Ce n'est pas une excuse. C'est une explication. Si tu veux me laisser là, je ne t'en voudrai pas."

La distance occasionnée par le mouvement de recul de Julie devant l'aveu est rapidement réduite.

Sa main chaude vient couvrir puis serrer la sienne.

- "Je sais ce qui vous lie." souffle-t-elle en retour. "Je comprends ce que tu ressens. Je ne sais pas ce que tu vis, mais j'entends ce que tu me dis. Par ailleurs, il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas, comme le fait que nous ne sommes pas un couple."

Kate lui lande un regard interrogateur, auquel elle répond : 

- "C'est une longue histoire. Pour le moment, il faut partir."

Elle se lève sur ses mots, quand la porte s'ouvre et la pièce s'illumine brutalement, les éblouissant toutes les deux. Une fois que leur vue s'est accommodée, elles découvrent par qui elles ont été surprises.

- "Pourquoi je ne suis pas étonné ?" Observe Djalil.

L'homme se déplace avec difficulté et n'est pas armé.

- "Tu es venu terminer le travail ?" Demande-t-il à l'adresse de Julie.

- "Ce n'est pas l'envie qui manque, mais non." Réplique-t-elle durement.

- "Tu es bien inspirée. J'apporte des nouvelles."

Les deux femmes se regardent, perplexes.

- "Sharon a établi un plan pour secourir Dan."

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas l'air ravi. Mais ce n'est pas ce qui inquiète le plus Kate. Sharon est-elle au courant pour la liaison de Max et leur sœur ? Étant donné son rôle dans la mort de Jane, quelle est la nature de sa relation avec lui ? Est-il impliqué dans le plan ?

- "C'est à dire ?" Interroge-t-elle alors.

- "On va kidnapper un otage pour organiser un échange.

- "C'est ridicule. Nous ne sommes pas assez.

- "Max Villareal va participer avec ses gars."

- "C'est du suicide." S'exclame Julie. "Avec la taupe qui nous a trahi et tout le service de sécurité en alerte c'est complètement délirant rien que d'y avoir pensé.

- "Je suis du même avis." Concède Djalil. "Je suis étonné que Max se soit laissé embarquer là-dedans. Je suis étonné que ce soit Sharon qui organise ça depuis son appart à DSV. Je suis étonné que tu sois à ce point en retrait de la stratégie. Les faits parlent d'eux-mêmes, Jane. Tu n'es plus à la hauteur. Je me joins à vous pour prouver que je ne suis pas le traitre que vous m'accusez être, mais qu'on réussisse ou pas, si je repars vivant de ce merdier, soit c'est toi qui pars, soit c'est moi. Je ne veux plus rien avoir affaire avec toi."

- "Jane..." Avertit Julie. "Lâche l'affaire. On ne sauvera pas Dan dans ces conditions. C'est trop risqué.

- "Je suis d'accord avec Julie." Affirme Djalil. "Ça va être une tuerie. Non seulement on risque d'y passer, mais la vie d'une innocente est en jeu. Comme tu as l'air d'avoir retrouvé ton calme, j'espère que tu te rappelles que c'était une limite à ne pas dépasser.

- "Je te libère de tes obligations, Djalil. Tu ne veux pas venir, ne viens pas. Ce n'est pas comme si j'avais confiance en toi de toute façon. 

- "Tu fais une grave erreur. Vous allez tous y passer.

- "Eh bien ainsi soit-il. Julie, si nous réussissons, je te le ferai savoir. Reste à l'abri avec les tiens. Moi, mon choix est fait depuis longtemps. Qui est la cible ?"

Djalil lui envoie un regard qui dépasse la haine et lui répond, la mâchoire crispée : 

- "Lin Muto."

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