12. Intrusions

- " Nadia ? ... Ça va ? 

- " ... "

- " Putain... ! "

- " Nadia ! NADIA ! "

***

- " Oh bah quel accueil ! Après 8 ans de silence radio tu m'accueilles en guenilles et au saut du lit… Enfin si on veut…"

Le parfum de Liam le précède et envoie dans ses narines des effluves bien trop sucrées pour son odorat.

- " Tu as changé de parfum ? Demande-t-elle en faisant la moue pendant qu'elle s'étire.

- " Hey, on dit "Bonjour" d'abord la sauvage ! Grand Dieu tu as perdu tes manières en même temps que m..."

- " Oh mon Dieu ! Sharon ! Ton visage !"

- " Moins fort… Et merci, je sais."

- " Mais enfin que t'est-il arrivé ? T'as fait une dépression, c'est ça ? Tu as arrêté de te doucher et tu as mangé plein de produits sucrés en regardant la télé ? Oh mon dieu pendant huit ans... Tu dois avoir une tonne de cellulite…"

- " Oh ça va ! C'est rien, c'est juste dû à la contrariété… Ça va passer… "

- " Oh bah ma chérie, ça a dû être une sacrée mauvaise nouvelle pour que ça te défigure de la sorte…"

Il était si loin du compte...

Devant son silence, Liam arrête les moqueries et reprend d'un ton plus doux, rendu encore plus chaleureux par sa voix grave : 

- " Ok beauté... Rassure-toi, tu as quoiqu'il en soit de jolis traits et ta ligne de sourcils non épilés me rend juste hyper jaloux. Un bon programme détox... Lève-toi pour voir ?"

Elle s'exécute et tourne sur elle-même tandis qu'il la dirige de la main : 

- " Donc un bon programme détox, un bon programme fitness pour retrouver un petit cul bien ferme et la Reine sera de retour. C'est PrinceS [Princess] qui va être contente... " Il lui fait un clin d'œil, elle sourit. "T'as prévenu Chris et Haj' de ton retour ?

- " Pas encore.

- " Ok... T'es pas revenue sur les réseaux, hein, j'ai rien vu.

- " Non. Je t'attendais. 

- " Ok. On les prévient avant ou on bricole ça sauvagement ?

- " Je vais les prévenir. Et après on fera un teaser.

- " À vos ordres, Queen S. "

***

***

- " Hey petite ! Ça va ? Ils sont où tes parents ? "

- " Je me suis perdue ! Vous voulez bien m'aider ?

- " Mais oui bien sûr ! On va cher...

- " On va aller chez vous , pour commencer.

- " Bien sûr ! "

- " Sur le trajet, vous appellerez votre colocataire pour savoir si elle est là. Si c'est le cas, vous me ferez entrer dans votre chambre par une fenêtre, discrètement. Vous lui direz que vous avez une gastro-entérite carabinée et que vous avez besoin de repos, et d'absolument rien d'autre. Vous lui rappellerez que c'est très contagieux.

- " Bien sûr ! "

- " On y va alors. "

***

- " Encore là Docteur Tanaka ?

- " Je voulais terminer quelque chose qui prenait deux minutes et... Voilà..."

Lazlo rit de bon cœur. 

- " Pensez à rentrer quand même, sinon vous allez me ruiner en heures supplémentaires. De toute façon depuis que je connais le docteur Muto j'ai pris l'habitude de tout couper passé une certaine heure. 

- " C'est très agaçant, d'ailleurs, ronchonne l'intéressée.

- " Soyez raisonnable et je n'aurai pas besoin de le faire... "

Il hausse les sourcils mais son air taquin ne trouve pas son public, trop absorbé par sa tâche.

- " Tu voulais me parler, Lin ?

- " Oui... Je termine ça et...

- " Pardon mais je n'ai pas toute la nuit. Donc si ça peut attendre...

- " Nan nan c'est bon. Cinq minutes max.

- " Ok. "

- " C'est bon on peut y aller. Dr Tanaka... vous en êtes où ?

- " Pas là où je voudrais... Je ne comprends pas comment cela se fait...

- " Ce sera toujours là demain... Je fermerai après ma discussion avec le Docteur Lalouche.

- " Très bien Docteur Muto. Passez une bonne soirée.

- " Merci, vous aussi Kyoko. À demain. "

- " À quoi tu penses ? demande Lin.

- " À la place que Marie va laisser... Et au fait que Kyoko semble être la candidate idéale. Tu connais son sentiment concernant les Vétérans ?

- " Non. Elle est plutôt réservée, tu sais...

- " Elle ou toi... ?

- " ... "

Lazlo n'ajoute rien. Il sait qu'il ne pourra rien dire qui la fera s'ouvrir aux autres de toute façon.

Ils passent devant la salle Phyto et sa collègue s'arrête quand elle voit qu'il y a quelqu'un. Elle semble contrariée, tout à coup.

- " Quelque chose ne va pas ? "

Elle répond d'une voix plus basse : 

- " J'aimerais qu'on parle de Sasha Hemmingen.

- " Je t'écoute.

- " Elle t'a paru comment, psychologiquement parlant ?

- " ... Normale... Enfin, pas plus bizarre que nous tous, ajoute-t-il en riant. Donc normale comme nous. "

Elle le regarde, les yeux plissés, comme réfléchissant à sa réponse, avant de demander : 

- " Elle t'a parue solide ? Tu crois qu'elle va pouvoir encaisser ce qui lui est demandé ?

- " Oh tu sais, vu la prépa et l'école d'ingénieur où elle a été formée, je ne me fais pas trop de soucis. Pourquoi ?

- " Je ne sais pas... J'ai discuté un peu avec elle cet après-midi et... je ne sais pas... "

C'est à son tour de froncer les sourcils.

- " Il y a un soucis ? Après tout c'est toi qui la côtoie le plus. Elle a peut-être joué un rôle pendant les entretiens."

Lin lui jette un regard attendri et un brin moqueur : 

- " Ça ne m'étonnerait pas que tu te sois laissé émouvoir par sa bouille et ses grands yeux candides."

Lazlo éclate de rire ce qui fait se retourner la Sénior. Les deux adultes disparaissent aussitôt de la lucarne. Il répond à la pique en chuchotant, tandis qu'ils se dirigent vers les escaliers : 

- " On dirait que je ne suis pas le seul, hein...

- " C'est à dire ?

- " Bon allez, on va pas discuter des heures dans le couloir. Tu me retrouves au salon ?

- " Mais je croyais que...

- " Nan mais je disais surtout ça pour ne pas poireauter des heures que tu "termines". 

- " Mais il est tar...

- " Lin. Je me rends disponible. Si tu l'es aussi on se retrouve au salon, si tu ne l'es pas on se voit demain. Alors ? "

L'ambiance est étrange, ce soir. Il se sent tendu. Il se sent attiré. Il se sent amer.

- " Oh y'a une infusion Selvadoradienne. Tu es sûre que tu ne veux rien ?

- " Ça ira merci. "

Il déteste ce qu'il ressent. Le sentiment de culpabilité de s'être mis tout seul dans cette situation, de l'avoir encore faite passée avant tout le reste en dépit de tout ce qu'il s'est passé.

Il soupire, discrètement.

Il devrait peut-être se faire à l'idée une bonne fois pour toute qu'elle est spéciale pour lui, comme le prouvent les frissons sur sa peau lorsque la voix de Lin s'élève doucement dans l'air :

- " J'aime l'ambiance au labo, la nuit. C'est à ce moment là que je m'y sens le mieux. Je me sens... chez moi. "

Il sourit. Il ressent la même chose. Et c'est décuplé quand il est avec elle.

- " Pourquoi tu souris... ?

- " Pour rien que tu n'ais envie d'entendre. "

Elle est différente. Il le sent. Il perçoit à nouveau cette aura qui les rapproche. Est-ce conscient ? Ou a-t-elle juste baissé la garde ?

Elle s'assoit à ses côtés, à une distance respectable.

Aucun des deux ne prononce un mot. Dans son silence, elle s'ouvre. Il le sait. Elle va bientôt prendre la parole, lui laissant juste le temps de se demander ce qui a changé.

- " Qu'est-ce-que tu peux me dire à propos de Sasha Hemmingen ? Comment tu l'as perçue aux différents entretiens ?

- " Elle était impressionnée. Elle rougissait facilement. Elle est touchante...

- " Tu ne la trouves pas... fuyante ?

- " Fuyante ? Ah non, au contraire... Elle baissait les yeux quand elle était un peu intimidée, mais je ne dirais pas fuyante. Quand elle me regardait dans les yeux, je pouvais lire toute sa détermination. Elle en veut cette gamine... "

Il la voit froncer les sourcils : 

- " Pourquoi ?

- " Je ne sais pas. Je la trouve un peu bizarre avec moi. Et puis... Tout à l'heure, elle a failli fondre en larmes quand je lui ai dit qu'elle mettrait au moins 10 ans avant de devenir Vétéran. Enfin... On est sûrs qu'elle a 23 ans ? Elle nous fait pas une "Joseph" j'espère ! Parce-que là franchement j'ai cru qu'elle avait 13 ans...

- " Oh 13 ans quand même... Je ne suis pas le plus futé mais je m'en serais aperçu quand même..."

Elle pouffe.

- " Je ne sais pas trop quoi te dire... Laisse-la arriver... Ça fait quoi... trois jours qu'elle est là ? Il y a eu beaucoup de changements dans sa vie, pour quelqu'un qui n'a jamais quitté sa campagne, ses parents... Et puis Candy-Rose n'est pas très sympa avec elle si j'ai bien compris...

- " Oui alors celle-là je l'ai remise en place tout à l'heure. Avec ses copains ils occupent les postes de travail et Sasha est obligée de bosser sur son temps de pause pour y avoir accès. "

- " Je voulais t'en parler, justement. Fais attention, quand même. Si tu interviens trop en faveur de Sasha tu risques d'aggraver les choses et de compromettre son intégration. Je sais que tu veux bien faire, mais... attention. "

Lin se renfrogne : 

- " Je sais bien... Je n'ai juste pas pu m'en empêcher. Quand je me suis rendue compte de ça, je ne sais pas ce qu'il s'est passé, comme si la moutarde m'était montée au nez... Ce n'est pas dans mes habitudes, pourtant...

- " Comment tu te sens, Lin ?

- " Moi ? Pourquoi ?

- " Je ne sais pas... Je te sens... Bouleversée...

- " Oui... je... Je ne sais pas. J'ai été assez remuée par son arrivée mais je ne sais pas pourquoi.

- " ... Pour tout te dire, quand je l'ai vue pour la première fois, j'ai tout de suite pensé à toi. Elle a cette façon que tu avais d'ouvrir tout grand tes yeux quand tu étais admirative. Tu le fais toujours un peu d'ailleurs... Cette exaltation qui t'habite quand tu es face à de la nouveauté, elle l'a aussi. En revanche elle a l'air plus fragile que tu ne l'étais. Toi quand tu es arrivée on pouvait tout te demander... " Il rit.

- " Ah oui la machine à café je m'en souviens... Et les cailloux en plein soleil...

- " Mine de rien tu as gagné bon nombre de tes galons à ce moment là au sein de l'équipe ! Hey ! On va l'envoyer réparer un truc demain ça va épater tout le monde.

- " Le dernier truc de cassé c'était il y a plus d'un mois et ça a été réparé dans la journée. 

- " Ah... Eh bien je me dévoue pour mettre un coup de tournevis dans ton analyseur chimique. Ne fais pas cette tête, c'est pour la bonne cause. "

Ils rient et il reprend :

- " Et sinon tout va bien pour toi ? En dehors du travail ?

- " Oui... Oui, pour le temps qu'il me reste, ça va.

- " Et ton père ? Il va bien ?

- " Oui. Ça va. Il me demande tous les jours de tes nouvelles, c'est que ça va. "

Ils pouffent ensemble.

- " Et toi, reprend-elle. Comment vas-tu ? Les préparatifs doivent être bien avancés...

- " Oui, en effet. Ça se précise. 

- " Comment tu te sens ? 

- " Un peu nerveux, je dois dire. C'est... C'est un... 

- " Le grand saut...

- " Oui voilà, un grand saut. Très haut, aussi.

- " Ça va bien se passer.

- " Oh oui, j'en suis sûr... "

Un ange passe. Il le savait déjà, mais à cet instant plus que jamais, leur complicité lui manque. Il regrette si fort ce fossé qui s'est creusé entre eux. Il aimerait tellement pouvoir lui parler de tout. De la nouvelle extraordinaire qu'il a apprise quelques jours plus tôt, notamment. Mais il se l'interdit. Comme toujours.

C'est elle, finalement, qui rompt le silence : 

- " Merci d'avoir pris le temps de m'écouter. Et pardon de t'avoir dérangé pour ça. C'était idiot, je ne sais pas trop ce qu'il m'a pris... Tu as certainement raison... Forcément, elle est déboussolée...

- " Je t'en prie. Pour te dire la vérité, ça me fait plaisir que tu sois venue me parler. Notre amitié me manque.

- " ... Moi aussi... "

 

Elle laisse la fin de sa phrase en suspend, mais il peut aisément en deviner la fin : 

... Mais rien ne sera possible tant que tu ne changeras pas d'avis.

L'engrenage est cassé. Elle attend quelque chose de lui qu'il ne veut pas lui donner pour son propre bien. Ne le comprendra-t-elle jamais ?

Elle se lève, résignée, et ils s'adressent un bref signe de tête en guise de congé.

Voilà où ils en sont rendus.

Elle s'éloigne et il ne rougit pas de suivre du regard sa chute de reins. C'est tout ce qu'il lui reste, désormais. De toucher avec les yeux quand personne ne regarde. 

La tête de nouveau dans l'axe, la tasse sur les lèvres, il a un moment d'absence. 

Un moment durant lequel il se souvient de ses mains sur sa peau, de sa poitrine contre la sienne, du contact de ses lèvres.

Il a un goût amer dans la bouche, tout à coup. Mais cela n'a rien à voir avec son café.

À l'étroit dans son pantalon, il revient à lui puis attrape son téléphone pour envoyer un message : 

J'ai terminé. J'arrive bientôt.

La réponse ne se fait pas attendre : 

C'était long ! J'ai bien cru que tu ne verrais pas mes nouveaux achats... Dépêche-toi, sinon je vais en profiter sans toi ;)

Suit une photo de sa fiancée en guise de teasing érotique.

Surtout pas. J'ai très très envie de toi.

Ce n'est certes pas le mariage de ses rêves, mais il sait qu'il y trouvera son compte quelque part au milieu des draps. La lumière éteinte.

***

***

Lorsque le téléphone vibre, Corey arque ses sourcils d'étonnement devant le nom qui s'affiche sur l'écran avant d'adresser un regard réprobateur à Kay qui s'est redressé d'un air curieux pour voir qui appelait, après quoi il décroche : 

- " Oui ? ... Oui, oui, ça va et toi ? ... Euh... Maintenant ? Nan nan mais... Euh... Nan mais je vais venir. Nan nan, ne t'inquiète pas. Tu as bien fait de m'appeler. Ok je suis là dans trente minutes. Ok, euh, oui. Toi aussi. "

Kay éclate de rire au moment où il appuie sur le téléphone rouge.

- " T'as dit "Toi aussi" à "Bisous" ?!

- " J'savais pas quoi dire d'autre... 

- " Eh ben "Bisous" gogole ! "Toi aussi"... 

- " Oh ça va... "

Bougon, Corey se détourne, mais pas longtemps. Son colocataire lui tapote l'épaule de son index de manière répétée : 

- " Hey, hey, hey... Tu vas la pécho ? "

- " Nan, j'vais pas la "pécho", nan.

- " Elle va être déçue, la pauvre. Tu me branches ?

- " Mais non !

- " Égoïste ! D't'façon c'est elle qui va te pécho tu vas rien comprendre. La ptite Aya elle va te retourner tu vas voir flou. "

- " N'importe quoi, répond Corey en se levant, imité par Kay. Qu'est-ce-que tu fais ? 

- " Bah je viens aussi. Tu vas quand même pas te faire baiser tout seul. Par contre, si tu reviens avec la béquille tu me laisses ta chambre, hein, frère ? Parce-que moi je serai pas tout seul."

- " J'aurais dû parier, annonce Kay.

- " ...

- " Elle a changé Aya, par contre. Tu paries combien qu'elle a pas mis de culotte ?

- " Kay ! 

- " Nan mais attends trop facile de gagner du pognon avec toi, tu peux pas m'en vouloir d'essayer... "

Corey lève les yeux au ciel et va s'avancer, perplexe devant le changement de look de son ex-petite amie, quand Kay le retient par le bras : 

- " Attends... C'est chelou quand même. 

- " Quoi ? "

Son colocataire, les yeux fixés vers son rencard, a l'air de réfléchir. C'est vraiment une drôle de soirée !

Au bout de quelques secondes il entend : 

- " Elle est trop bizarre ce soir. Elle t'a demandé de venir parce-qu'elle allait pas bien et regarde comment elle est sapée. Elle va te sauter dessus tu vas rien comprendre. Donc tu la consoles de loin. Tu couches pas avec elle. Ça pue son comportement.

- " Mais arrête c'est Aya...

- " J'la connais pas aussi bien que toi mais moi je te dis que ça, là - il la désigne d'un mouvement de menton - c'est bizarre. "

Il hausse les épaules et Kay repart à la charge : 

- " Tu ne couches pas avec elle.

- " Mais j'en ai jamais eu l'intention !

- " Ça veut rien dire, ça. On est faibles devant les chaudasses. 

- " Parle pour toi !

- " Ouais c'est ça, fais le malin. N'empêche je vous surveille. Dans une demi-heure on est repartis donc te chauffe pas trop et regarde rien en dessous de ses épaules. "

Kay délimite la zone sur lui-même avec sa main ce qui lui fait lever les yeux au ciel - encore. Il va se dégager mais il sent la poigne se resserrer : 

- " Pas touche. Ok ? 

- " Oui oui, c'est bon roooooo.

- " T'es un mec populaire maintenant Co', les meufs c'est plus les mêmes. Va falloir faire gaffe à pas te retrouver dans un faux plan. "

Kay le lâche après avoir insisté du regard et il peut enfin rejoindre Aya qui quitte alors son air soucieux pour adopter le sourire espiègle dont elle a le secret. Cette expression familière le rassure et il se dit que Kay est vraiment prêt à tout pour lui piquer son lit. 

Kay, de son côté, n'a pas mis longtemps avant de tomber sur des visages familiers. Lydie et ses potes étaient venus fêter le retour de Sharon en tant que Queen S . Parmi tous ces gens, il avait croisé le regard d'une sœur ou d'une cousine ou d'une amie - il avait déjà oublié - qui était venue passer quelques jours sur la côte ouest avant de reprendre la fac. 

Une petite heure s'était écoulée depuis et il sentait bien que le courant passait bien entre eux. C'est pourquoi lorsqu'elle lui demande ce qu'il fait dans la vie il se rattrape au dernier moment en retenant le "pas grand chose" habituel pour caler "chanteur" et "collaboration avec...". 

- " ... Coreeeeeyyyyyy.... " 

En prononçant son nom, il se rend compte qu'il a complètement zappé sa mission et jette un coup d’œil nerveux au bar : 

Et ce qu'il voit ne le rassure pas du tout.

Néanmoins, la distance entre eux reste raisonnable alors il s'octroie quelques minutes de plus en compagnie de la mignonne Angela qui le regarde avec encore plus d'intérêt depuis qu'elle l'a vu commander un soft. Si un jour on lui avait dit qu'il gagnerait des points en commandant une limonade ! Il est parfaitement à son aise, ce soir, au centre de l'attention, en particulier quand il s'aperçoit qu'Angela ne le quitte pas de ses yeux rieurs sauf pour les baisser, les joues rosies, quand il maintient son regard.

En pensant aux égards qu'il reçoit, il s'étonne de voir que Corey est si peu sollicité ce soir et un énième coup d’œil le fait sursauter : 

- " Ça va pas Kay ? s'inquiète Lydie

- " Il regarde là-bas depuis tout à l'heure. Je ne sais pas lequel des deux par contre..."

Angela baisse les yeux mais il n'a pas le temps de se justifier car Corey et Aya partent ensemble.

Lorsqu'ils passent devant lui, Kay fait signe à son ami, bien décidé à comprendre ce qu'il fout, mais ce-dernier lui offre un sourire bêta et agite sa main en retour.

- " Putain mais... ! Attendez je reviens ! "

Il va le rattraper quand une foule se forme entre eux deux, comme si les gens s'apercevaient tout à coup de la présence de la pop-star.

Kay ne comprend rien à ce qu'il se passe. Corey, si timide et réservé d'ordinaire, mal à l'aise au milieu de la foule, se trouve être étrangement et particulièrement décontracté.

Finalement, il parvient à sa hauteur mais à peine a-t-il capté son regard qu'il se fait bousculer sur le côté où il se fait cueillir par Aya.

Arrivé au bar, il reprend conscience : mais qu'est-ce-qu'il fout là ? La barmaid le regarde bizarrement et demande : 

- " Si vous ne me répondez pas je prends la commande de quelqu'un d'autre... "

Un sentiment de panique le gagne. Il vient de faire un black-out. Il ne sait absolument pas ce qu'il fait là. Puis ça lui revient. Corey... Où est Corey ?

Il fait volte-face et a juste le temps de le voir disparaître derrière le décor suivi d'une Aya qui presse le pas. Il s'élance à sa poursuite mais pour cela il doit bousculer pas mal de monde, ce qu'il fait sans ménagement ni grand effort.

En trois bonds il parvient à destination et arrête net la progression de Corey en lui saisissant l'épaule.

- " Putain mais il se passe quoi là ? Corey, OH ! "

L’intéressé se contente de lui sourire bêtement avant de regarder son environnement d'un air ravi. C'est Aya qui lui répond : 

- " Bon alors toi tu commences à me gonfler. Tu vas prendre un double shot de vodka au bar et tu vas te coucher. Demain tu ne te souviendras plus de rien et tu te concentreras sur ta peur d'avoir craqué et de t'être shooté.

- " Mais qu'est-ce-que tu racontes sale conne ?! "

Il s'approche, menaçant : 

- " T'as drogué nos verres ? C'est ça ? Putain mais je vais t'éclater la tronche !"

À peine a-t-il terminé sa phrase qu'un violent mal de tête le prend et...  

Lorsqu'il rouvre les yeux, il est seul, la tête contre le sol.

Il panique. Où est-il ? Que fait-il là ? La tension monte d'un cran : il a fait un black-out. Le cœur à cent à l'heure, il a presque les larmes aux yeux quand il se met à vérifier frénétiquement les plis de ses coudes, ses mains, et son nez avec l'aide de son portable. À priori, tout va bien de ce côté-là. Il analyse où il se trouve et une mélodie familière lui parvient. Il se lève péniblement, nauséeux et en sueur, puis sort du couloir formé par le décor et le mur.

Sans trop savoir pourquoi, voir Corey le rassure. Mais pas longtemps : il est différent ; dans sa manière de regarder les gens, de bouger, de chanter, même.

Il transpire à grosses gouttes désormais : quelque chose s'est passé, quelque chose de mal. Mais il n'a absolument aucune idée de ce dont il s'agit.

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