7. L'ennemi de mon ennemi












Enfant, Nadia était une gamine débrouillarde qui trouvait toujours un moyen de parvenir à ses fins, ce qui rendait son rapport à l'autorité conflictuel. Pour elle, et elle ne se l'expliquait pas vraiment, le seul avis qui avait toujours compté avait été celui de son frère. Il avait été toujours très important pour elle qu'il l'estime. Dans la même veine, tous les projets qu'elle pouvait élaborer dans son jeune esprit l'incluait d'une façon ou d'une autre : Daniel faisait partie intégrante de sa vie qu'elle soit passée, présente ou future. C'est pourquoi son départ soudain lui avait donné l'impression qu'on lui avait arraché la moitié de son corps. Anéantie, perdue, sans repère, le choc avait été difficile à encaisser. Néanmoins, une lueur d'espoir l'avait aidée à tenir debout : la promesse qu'il allait revenir la chercher. Mais quand ? Dès le lendemain bien sûr, avait-elle penser. Ou peut-être le surlendemain. Ou le jour d'après. Elle avait finalement conclu qu'il reviendrait pour sa majorité et avait arrêté de mettre à jour sa valise tous les ans en remplaçant des vêtements devenus trop petits. 


Le temps était donc passé, s'étirant à l'infini et la rendant complètement dingue par la même occasion. Elle n'était plus qu'une boule de nerf qui s'était mise à se complaire dans son statut de victime, une victime qui voulait faire payer au monde entier ce qui lui était arrivé. Nadia, à 17 ans, était tellement pleine de colère que toutes les occasions avaient été bonnes pour l'évacuer. Nadia, à 17 ans, avait voulu prouver qu'elle n'avait peur de personne.




Que reste-t-il de cela, à 29 ans ? Pas grand chose.

Il reste de la rage, bien entendu, mais étouffée par ses sœurs amertume et frustration.



Elle voit le temps passer et malgré toute l'énergie qu'elle met dans sa quête, rien n'indique un prochain dénouement. À chaque fois qu'elle regarde en arrière elle ressent un profond sentiment de gâchis ; de désillusion, aussi.

Quand elle avait pris la décision de rejoindre le lieutenant Jérôme Gerold au Commissariat d'Oasis Springs, elle était à mille lieues d'imaginer ce qu'allait être son quotidien pendant ces 5 ans. Une vie diurne faite d'histoires plus glauques les unes que les autres et une vie nocturne occupée à déterrer des vieux dossiers classés concernant le laboratoire de la ville, Oaz' Corp, en compagnie de celui qui partagerait davantage sa vie que son propre fiancé.
Quand elle avait accepté l'offre de Gerold, elle ne s'imaginait pas que cela signifiait qu'elle allait perdre des heures et des heures de sa vie à lire des rapports sans intérêt pour les uns et obsolètes pour les autres. Elle ne s'imaginait pas non plus qu'elle vivrait une existence plus solitaire encore qu'au moment de ses jeunes années. Son supérieur hiérarchique direct, ou le « Père Gerold » comme on l'appelait, était un être taciturne hanté par le passé. Il fut un temps où il était pressenti pour gravir rapidement les échelons et ainsi diriger son propre commissariat. Mais un jour, la progression s'était arrêtée sans que personne ne comprenne pourquoi. Il avait pris la décision, contre toute attente, de rester lieutenant de police en refusant de passer les autres concours qu'on allait lui soumettre. Et puis son taux de réussite dans la résolution des enquêtes était passé d'excellent à médiocre. Alors tout le monde avait arrêté de s’intéresser à un Jérôme Gerold bien trop content de se retrouver en dessous des radars. 
Puis l'arrivée de la jeune et jolie Nadia au commissariat d'Oaz' avait instantanément attiré l'attention, mais aussi fait tourner des têtes et attiser la convoitise de quelques hommes peu courtois. Un, en particulier, s'était montré récalcitrant à respecter le refus de Nadia et avait lourdement insisté jusqu'au jour où Fabien en avait été témoin. Ils en étaient finalement arrivés aux mains et personne n'avait pris la défense de Nadia et de Fabien. Pas même Gerold, bien trop content de voir sa sub-alterne isolée. Pour cette histoire de radars, avait-il expliqué. Mais au fond d'elle, Nadia savait qu'il s'agissait de bien plus que cela.

Ainsi, Nadia Calcuta le jour et Nadia Magnolia la nuit, n'avait jamais autant détesté sa vie que ces derniers temps. C'était d'ailleurs la seule chose qu'elle avait en commun avec le Père Gerold, en plus de leurs activités nocturnes officieuses.


Si elle trouvait le temps long, que devait dire le vieux policier qui avait vu sa vie péricliter après une rencontre il y avait de cela près de 25 ans ? 
Jérôme Gerold et les parents de Nadia, journalistes, enquêtaient sur la même affaire – le vol d'un conteneur appartenant au laboratoire Oaz'Corp – mais n'avaient pas tout à fait le même but : Juan et Dahlia Magnolia voulaient faire analyser son contenu pour prouver qu'il était responsable d'une nouvelle pollution découverte aux abords de la ville tandis que lui était chargé de le retrouver et de le remettre entre les mains de son propriétaire sans poser de question. 






Or, des questions, il en avait eu plein, et elles avaient fini par le mener aux deux journalistes. Leur collaboration n'avait pas été aisée et il n'avait jamais eu la confiance totale de ses partenaires officieux. Néanmoins, leur collaboration avait porté ses fruits et des contacts avaient été noués au sein d'instances politiques influentes. Mais une catastrophe sanitaire vint obturer la lumière au bout du tunnel : l'Epidémie du Berceau emporta plusieurs dizaines de nourrissons et parmi eux, la dernière née du couple Magnolia. C'est ainsi que la descente aux enfers avait commencé : les parents de Nadia avaient perdu pied et Jérôme Gerold avait fait de cette histoire une obsession jusqu'à aujourd'hui, ce qui lui avait coûté son mariage et sa relation avec ses 3 fils John, Bastien, et Byron. Il n'avait jamais semblé à Nadia qu'il regrettait quoique ce soit et quelque part, aussi horrible que cela puisse paraître d'accepter de perdre sa famille de la sorte, elle le comprenait : car même si sa vie était détestable, elle savait qu'elle n'aurait jamais pu vivre sans chercher à savoir ce qu'il était advenu de ses parents, portés disparus.


A moitié cachée derrière un grand tableau de liège, Nadia sait qu'elle ne peut pas rester plus longtemps avant que son comportement n'attire l'attention. Elle prend donc une profonde inspiration qui fait légèrement tressauter sa gorge et met courageusement un pied devant l'autre jusqu'à arriver à son bureau. 


Elle prend place et observe son supérieur, qui a brièvement levé les yeux vers elle en guise de salut : rien n'indique qu'il soit tombé sur la photo.
Un instant, elle se dit qu'elle devrait lui en parler puisqu'il en prendra fatalement connaissance. Mais un instant seulement, car elle rechigne de tout son être à lui dévoiler quoi que ce soit qui concerne son frère. Sa confiance, il l'a perdue le jour où il l'a manipulée pour pouvoir confondre Damian Oruscant. Nadia, aveuglée par la cause qu'elle défendait et manipulée par un adulte en qui elle avait confiance avait placé les intérêts d'un de ses amis au-dessus de ceux d'un autre ; elle avait perdu l'amitié de son amie Yang, ce jour-là.

Donc non, définitivement non, elle n'a pas confiance en celui qui est aujourd'hui son supérieur et elle ne lui confiera rien sur son frère. Le fait qu'ils mènent actuellement le même combat ne change rien. 
Qu'il soit l'ennemi de son ennemi ne fera jamais de lui son ami.





***










- « Bonjour Docteur Muto.
- « Bonjour Moa. Vous allez bien ?
- « Oui, merci. Et vous ?
- « Très bien merci. Bonne journée.
- « À vous aussi. »


- « Bonjour Docteur Muto. Toujours à faire la course avec le soleil à ce que je vois ?
- « J'ai encore perdu. »


- « Et cette fois-ci en plus nous sommes bonnes dernières.
- « Ah bon ? Lazlo est là ?
- « Non, pas le Docteur Lalouche. Une petite nouvelle. Vous savez, la nouvelle Sénior ? Elle vous attend.
- « Oh...  »

La secrétaire indique au docteur en biologie de se retourner.


Lin Muto distingue alors une jeune femme rousse au travers de la vitre fumée :

- « Bonjour. Je ne pensais pas vous voir ici si tôt... »

L'étudiante, les yeux rivés sur elle, ne répond pas. Elle a l'air très émue. Lin voudrait dire quelque chose, la relancer, mais l'ambiance qui règne à cet instant la trouble. 

- « Allons ne faites pas la timide comme ça ! Elle ne va pas vous manger ! »

La voix de Delphine, la secrétaire, les a faites sursauter toutes les deux et semble avoir sorti la nouvelle recrue de sa rêverie puisqu'elle se lève et s'avance enfin vers celle qui sera sa référente.


- « Eh bien voilà... Venez nous montrer votre joli minois, ajoute Delphine.
- « Pardon... Bon... Bonjour... Je... Pardon... Je suis Sasha. Je ne savais pas comment ça allait se passer alors je suis venue tôt... »

Lin tend sa main pour la saluer et le contact la fait frissonner. Elle fronce furtivement les sourcils, étonnée par la sensation qui l'étreint depuis quelques minutes, avant de se reprendre :

- « Bonjour Sasha. Je suis le Docteur Muto. Mais pourquoi n'êtes-vous pas venue avec les autres ?
- « Je n'habite pas à l'Oaz'Ac. J'ai pris un appartement à part.
- « Ah oui, pourquoi ?
- « Je... Je suis quelqu'un de plutôt solitaire. Je n'étais pas à l'aise à l'idée d'être en dortoir...
- « D'accord... Bon... Vous avez une bonne heure d'avance... On va en profiter pour visiter ensemble alors... Vous avez votre carte ?
- « Oui.
- « Eh bien allons-y. »

Elle se dirigent toutes deux vers la borne d'entrée qui émet deux petits bips à leur approche :


- « Le pointage est automatique. Vous n'avez pas besoin de sortir la carte, elle est détectée automatiquement. La borne enregistre vos allées et venues. Vous pouvez aussi réserver ici vos repas, il faut valider votre choix en passant la carte dans la fente à droite. Mais vous pouvez le faire de votre espace internet également. »

Lin jette un coup d’œil à son élève et fronce à nouveau les sourcils devant l'attitude de cette dernière :

- « Vous allez bien ? »

Sasha prend alors une grande inspiration et répond :

- « Je suis un peu intimidée... Je... »

Elle regarde finalement tout autour d'elle...

- « J'ai l'impression de vivre un rêve. »


avant de planter son regard humide dans le sien :

- « J'ai attendu ce moment toute ma vie. Et être là, avec vous, ce matin... Je... »

Une boule se forme dans la gorge de Lin devant l'émotion qui manque de submerger l'étudiante à ses côtés. Et alors qu'un sourire se dessine sur ses lèvres, Lin comprend finalement ce qui la lie à Sasha :

- « ...Je suis enfin là où je dois être. »

Sasha, c'est elle, 15 ans plus tôt.



Elle aussi avait ressenti cela quand elle avait rencontré Lazlo pour la première fois. Cette joie, cette admiration sans borne... Puis toute leur histoire lui éclate soudainement à la figure, perçant la petite bulle de bonheur qui venait de se créer et efface le sourire sur son visage.

- « Venez, je vais vous montrer les vestiaires. »

Elles montent à l'étage et Lin lui présente les lieux : 


- « Le restaurant est derrière vous et devant vous avez le dortoir, la salle zen et la salle de sport. Plus loin encore vous avez les vestiaires. »



- « Vous avez les toilettes et les douches au fond. Une tenue vous attend dans votre casier.
- « Je... Je suis désolée pour tout à l'heure, je ne voulais pas vous mettre mal à l'aise... Ça doit être bizarre de se voir aduler comme ça... C'est juste que je suis passionnée par votre travail et...
- « Il n'y a pas de soucis, Sasha. Je comprends votre position. J'ai été à votre place, il y a de ça plusieurs années maintenant. Donc je comprends, ne soyez pas gênée.
- « Je ne suis pas sûre que vous ayez eu l'air aussi cruche que moi...
- « Ooooh si... Croyez-moi... Vous avez de la marge.
- « … Merci. Merci de m'avoir acceptée ici.
- « Merci pour votre intérêt, Sasha. Allez vous préparer, je vous attends ensuite pour la suite de la visite. »


- « Vous êtes prête ? On y va alors ! »


- « Vous avez une accréditation niveau 1. Elle vous ouvre les portes blanches. Les portes bleues vous sont interdites, et les beiges peuvent être franchies accompagnées d'un instructeur. »



- « Voilà le lieu où vous passerez le plus clair de votre temps quand vous serez ici. Vous irez de temps à autres dans les autres zones, mais étant donné votre choix de spécialité, c'est à moi que revient la responsabilité de vous former. »


- « C'est ici que nous testons les substances actives. Le département Chimie s'adapte à ce que nous leur fournissons. »


- « Ça va ? Je vous sens... Désappointée... »


- « C'est que... Je... Je suis intéressée par l'exobiologie...
- « Je sais bien. Mais vous vous doutez bien Sasha que c'est un domaine sensible et qu'il faut un peu d'ancienneté dans la maison pour y avoir accès. Nous y viendrons, mais il va falloir être patiente. Et il est très important de connaître la flore terrestre sur le bout des doigts avant de se lancer dans la découverte de la flore exogène. »


- « Par ailleurs, vous venez juste d'arriver. Contrairement à vos camarades de promo, nous ne savons rien sur votre manière de travailler, sur la façon dont vous réfléchissez. C'est très important, ici, à Oaz'Corp, de savoir comment fonctionnent les scientifiques. Cela nous permet de créer des équipes dont les membres sont complémentaires et donc efficaces. Cette année va être rude pour vous, je ne vais pas vous mentir. Vous allez avoir une charge phénoménale de travail si vous voulez tenir la comparaison avec les autres. C'est pourquoi vous allez commencer par me répertorier toutes les espèces que nous avons dans la serre, puis dans les frigos, puis les insectes. Je veux un rapport complet – taxinomie/morpho/physio - toutes les 6 semaines. Le regroupement que vous ferez doit être logique. Vous aurez 2 mémoires à rendre : un sur les hybridations, l'autre sur la coopération plante – animal.
- « …
- « Oui je sais. Et il y a les autres matières à bosser aussi. Mais dites-vous que vous savez déjà énormément de choses sur ce qui est demandé. Le travail dont je vous parle est simplement une application qui vous servira pour votre carrière au sein d'Oaz'Corp.
- « … Mais vous pouvez pas me le fournir ? En polycop' ?
- « … D'après vous, Sasha ? Qu'est-ce-qui est important pour nous, les chefs d'équipe ?
- « Savoir comment on fonctionne...
- « Voilà. Les choix que vous ferez et les tâches que vous mènerez à bien détermineront votre place au sein du labo. Et, pourquoi pas, au sein des Alphas.
- « ... »


- « Je crois que les mots que vous cherchez sont : « Par quoi je commence ? ». Vous avez des blocs et des tablettes dans l'armoire de gauche, derrière vous. Je vous laisse vous mettre au travail. »




***






- « Mais comment ça Del Sol Valley a repris le dossier ?! J'ai toutes les infos pour aller récupérer la voiture !
- « Tu avais. Je leur ai tout donné.
- « QUOI?! MAIS... ! Mais... !
- « Ça s'est joué à quelques heures. Comme d'habitude.
- « Mais putain c'est une BLAGUE ?! J'ai passé des heures et des heures à guetter la vente et on va même pas boucler l'affaire ?!
- « Non. »

Le sang de Nadia fait un triple salto avant et la propulse hors de son siège.

- « Je veux être sur l'opé.
- « On frappe avant d'entrer, Lieutenant Calcuta.
- « Toc toc. Je veux être sur l'opé. J'ai pas passé ces dernières semaines clouée devant mon écran à me faire engueuler par mon conjoint pour ne pas bénéficier des fruits de mon travail !
- « Il fallait être plus rapide, que voulez-vous que je vous dise ? C'est le protocole : on avait une date limite, elle est dépassée, DSV prend le relais.
- « Et comme par hasard à chaque fois que nous sommes sur le point de conclure ! »


- « Ils ont souvent le beau rôle, c'est vrai. Mais consolez-vous en vous disant que notre criminalité est un bon cran en-dessous de la leur...

- « Eh ben je vais les soulager, moi. Mettez-moi sur le coup. Je mérite de résoudre ce cas.
- « Ça ne fonctionne pas comme ça.
- « Ça ne fonctionne pas au mérite ? »


- « Bon écoutez, je crois qu'on va arrêter là. Vous n'êtes plus sur l'affaire, faites-vous à l'idée. Allez voir votre coéquipier je vous en ai assigné une nouvelle. Vous pouvez disposer. »

Le jeune femme se lève, fulminante :


- « C'est dégueulasse.

- « Votre langage, Calcuta. Je ne suis pas votre copine. Si vous avez besoin de vous calmer une petite semaine vous n'avez qu'un mot à dire. Non ? C'est bien ce que je pensais. Allez dépenser votre belle énergie sur votre nouveau cas. »




***






- « Tu voulais nous voir Arthur ? »


- « Oui... Je voulais vous demander... Est-ce-qu'on pourrait pas attendre un peu...
- « Pourquoi ? »

Jane O'Meara a haussé les sourcils, étonnée que l'on remette sur le tapis une décision prise des mois auparavant.

- « Vous avez suivi les actualités concernant la famille Lalouche récemment ?
- « Tu parles du mariage de Lazlo ?
- « Oui.
- « Et alors ? »



- « Si on attend le jour du mariage pour tout faire sauter, on tapera sur le portefeuille ET sur le moral. »

Jane arbore alors un sourire carnassier.

- « Il est prévu pour quand ce mariage ?
- « Dans 3 mois à peu près.
- « Ah. »

Son enthousiasme retombe aussi sec.

- « 2 mois. »

Arthur défend son idée :

- « Les explosifs sont posés depuis 2 semaines. S'ils n'ont pas été trouvés, je pense qu'on peut attendre encore.
- « J'suis pas sûre...
- « Et ça laissera davantage de temps entre le départ de Rufus et l'explosion...
- « … Vous en pensez quoi, les autres ? »

Daniel regarde Julie et ils se lancent dans une espèce de conversation muette dont ils ont le secret :

- « A voix haute, merci. » Soupire leur leader.

C'est Julie qui prend la parole :

- « C'est trop risqué. Chaque jour qui passe voit les chances de découverte du C4 augmentées. On avait déjà calculé le délai entre l'arrivée et le départ de Rufus, je pense que ça suffit. 2 mois, c'est trop long.
- « C'est dommage ! T'imagines leurs têtes ?!
- « Pour moi c'est trop risqué. Ça fait des années qu'on est dessus, on ne va pas tout risquer juste pour les déprimer un peu plus. Daniel ? »


- « Je suis d'accord avec Julie.
- « Comme c'est étonnant... » Souffle Jane, moqueuse.
- « Ce serait forcer notre chance. Et un mariage repoussé, j'imagine que ça contrarie aussi. On peut peut-être essayer de décourager la fille. Elle peut revenir sur ses fiançailles si elle se rend compte que sa vie est en danger aux côté des Lalouche.
- « Arthur, tu pourrais t'occuper de la fiancée ? » Questionne Jane.
- « Oui, bien sûr.
- « Ok. Donc on reste sur ce qu'on avait décidé. Vous pouvez y aller. Sauf toi, Dan. Il faut qu'on parle. »



- « Qu'est-ce-qu'il y a ?
- « J'ai une... nouvelle. »


- « Elle est à la fois bonne et mauvaise.
- « …
- « Sharon est de retour.
- « Donc ça c'est la mauvaise... Et la bonne ?
- « Le pognon de Sharon est de retour. »

Daniel a du mal à traiter les deux informations.
Une arrivée d'argent va faire beaucoup de bien à la trésorerie du groupe qui a beaucoup souffert ces dernières années avec la disparition de Sharon et l’incarcération de Max Villareal.
Mais cela veut dire aussi revoir Sharon après tout ce qu'il s'est passé...

- « Elle... Elle a dit quelque chose ?
- « A propos de toi ? Pas vraiment. Elle a surtout posé des questions. Sur ta vie de couple, surtout. »

Il lève les yeux au ciel. Elle continue :

- « Ce n'est pas moi qui l'ai eu. C'est Djalil. Donc je n'ai pas tous les détails de la conversation.
- « C'est plutôt mauvais signe...
- « Oui... je sais. Djalil m'a dit qu'elle avait pleuré au téléphone...
- « Génial...
- « Ouais... Elle va tous les monter contre toi. Et puis ce sera mon tour.
- « Putain mais c'est un vrai cauchemar... Faut que tu te réconcilies avec elle. »

Jane ricane et se retourne, son sourire retombant instantanément :

« Il n'y a absolument rien que je puisse dire qui la fasse aller mieux. 
« Moi non plus.
« On sait tous les deux que tu n'as qu'une chose à faire pour régler la situation.
« Jamais de la vie.
« Je suis désolée Dan... Mais à partir du moment où elle peut tout faire capoter d'un claquement de doigt, on se doit de lui donner ce qu'elle veut. Et ce qu'elle veut, c'est toi.
« N'importe quoi... Elle m'en voulait à mort, la dernière fois qu'on s'est vus.
« On parie combien ? »

Les bras croisés, la mâchoire crispée et le regard détourné, il n'arrive pas à lui répondre.

« Arrête de faire ta princesse. Y'a pire, dans la vie, que de baiser Sharon.
« Va te faire foutre, dit-il en la foudroyant du regard. Si on est dans cette situation, c'est précisément parce-que j'ai couché avec elle. Elle recommencera.
« Eh ben fais-toi faire une vasectomie qu'est-ce-que tu veux que je te dise ! T'as un gosse, ça m'étonnerait que t'en veuilles un autre donc c'est tout bénef ! »

La tête baissée, il fait glisser ses mains sur ses hanches. Il aimerait tellement pouvoir évoquer Julie, la brandir comme un bouclier et crier haut et fort qu'il n'est pas disponible. Mais Julie préférera le jeter dans les bras de Sharon plutôt que de risquer de tout perdre à cause d'elle. Il n'a absolument aucune raison valable de refuser ; il a appris depuis longtemps à faire passer sa volonté après tout le reste.
Jane, à quelques mètres, le fixe, un sourcil relevé :

« Ça va si mal que ça avec Julie ? Je me doutais que ce n'étais pas la joie vu que tu passes plus de temps à l'extérieur que chez toi mais... Je pensais pas que c'était au point où elle ne te servirait même pas d'alibi. »

Daniel botte en touche : 


« L'objectif n'est pas d'en faire une cible pour Sharon. »

À peine a-t-il prononcé ces mots que tous deux marquent un temps d'arrêt. Julie ne resterait une cible que le temps de coller une balle dans la tête de Sharon. Ils rougiraient, s'ils en étaient encore capable, devant le plan qui se forme dans leur esprit. La solution à laquelle ils pensent les soulagerait d'un gros poids. Mais le pragmatisme de Jane les rattrape au vol :

« On a besoin de son argent. On est à sec. Si Sharon disparaît, nous disparaissons avec elle. »

Daniel soutient quelques secondes son regard avant de capituler.

« Dis-toi que ça pourrait être pire, reprend-elle. Tu n'auras pas à quitter quelqu'un dont tu es éperdument amoureux et puis... Ce n'est que du sexe. C'est un faible prix à payer en regard de ce qu'elle va nous apporter. »

Il grogne pour toute réponse et entreprend de sortir de la pièce. Il vient tout juste de la dépasser, alors qu'il s'était rapproché d'elle pour contourner le chevalet de conférence, quand elle lui saisit la main par les deux derniers doigts.





Le bras légèrement en arrière, les sourcils froncés en un pli interrogateur, Daniel a stoppé sa course. 

« J'aimerais que les choses soient différentes, moi aussi, lui dit-elle. Mais même si la situation est merdique, on a la chance de pouvoir en tirer un avantage. Et rappelle-toi que tu n'es pas le seul à faire des sacrifices dans cette histoire.
« ... Je sais.
« Ok... » 

Elle ne lâche pas immédiatement sa prise, ce qui lui fait penser qu'elle va ajouter quelque chose. Mais elle ne dit rien, finalement, et il peut quitter la pièce le ventre encore un peu plus serré.




***









- « C'est l'heure. »





Arrivé devant sa cellule, Max Villareal remarque tout de suite l'enveloppe sur le sol. Une fois assis sur son lit, il la parcourt à la recherche de l'expéditeur, en vain. Il finit par tirer la lettre au travers de la fente créée par les gardiens au cours de la vérification des courriers et son contenu lui fait l'effet d'une déflagration dans la poitrine : 



Salut Max.

J'ai longtemps réfléchi à ce que j'allais te dire. Si j'allais le faire. Si j'allais aller de l'avant, me reconstruire une vie et vous laisser vous démerder. J'ai failli. Mais je n'y arrive pas. La perte que j'ai subie, que l'on m'a infligée, je me rends compte que je ne la dépasse pas. Parce-qu'au final, dans ma famille, la trahison, on s'en venge ou on en meurt. Je sais que ça te parle. Nous avons été élevés dans la même culture du "sang pour sang". Je t'écris tout ça parce-qu'il se trouve, Max, que nous avons été trahis par les mêmes personnes. Celles qui nous sont le plus chères. Nous avons cela en commun, aussi. Parce-que oui, je suis au courant pour vous. À une époque, nous étions aussi proches que deux êtres qui ont partagé le même utérus peuvent l'être, alors nous n'avions pas de secret l'une pour l'autre. Mais j'étais naïve. C'était mal la connaître, finalement. Parce-que la seule chose qui a toujours compté pour elle, c'est sa propre petite personne. Et désolée de te dire, Max, que tu fais partie de ceux qu'elle a laissé tomber car devenu inutile. Eh oui, Max. En prison, tu ne sers à rien. Mais je suis là, maintenant. Viens me voir, si tu veux tout savoir. Et ensemble, on trouvera la paix. À très bientôt, Max.

S.




Il retourne frénétiquement la lettre entre ses doigts mais rien d'autre que ces mots. Des mots mensongers. Blasphématoires. Jamais Jane ne l'aurait trahi. Et pourtant... pourtant sa raison fait une percée au milieu du tumulte passionnel qui l'agite. C'est la seule explication à son comportement. Il avait longtemps cru qu'elle se protégeait en restant loin de lui durant son incarcération. Il s'était fait à l'idée et comptait les heures qui le séparaient de ses retrouvailles avec sa complice mais surtout la femme de sa vie. 


A cet instant, une lucidité nouvelle le saisit : il comprend. Il comprend tout. Son esprit le ramène 25 ans plus tôt, au beau milieu de la nuit, dans le corridor du manoir familial. Il voit, comme si c'était hier, son père chevauchant une femme en chemise de nuit et lui enserrant la gorge de toutes ses forces. Elle le griffe, se débat, hurle par les yeux. Un dernier cri de rage et son père brise l'os hyoïde et écrase la trachée de sa victime. De sa mère. Son meurtrier se relève, haletant, et se tourne vers lui :

« Cette pute a cru qu'elle pouvait me trahir en toute impunité. Fils, regarde bien ce que ça donne de tout donner à une femme. Baise-les autant que tu veux, mais ne t'engage jamais avec l'une d'elle. Et surtout ne leur fait jamais de gosse. Tu entends ? Tu te débrouilles mais tu leur confies pas ton foutre. Ça les rend mauvaises. »

A 7 ans, ce drame et ce message l'avaient marqué au plus profond de lui, si bien qu'il avait suivi aveuglément les conseils de son père. Du moins jusqu'à ce qu'il rencontre Jane. Avec elle, il avait tout oublié. Et il s'était persuadé qu'elle n'était pas comme les autres. Elle n'était pas faible. Ils étaient de la même trempe. Mais il faut croire que son père avait raison. Il avait joui en elle et le résultat était sans appel. Abasourdi, il s'étonne de ne pas être ivre de rage. Tout ce qu'il ressent, c'est une tristesse indicible. Il a l'impression de revivre un deuil, de ressentir le même désarroi que pour sa mère. 
Tout à coup, il se sent un peu mieux. Parce-qu'il sait ce qu'il va se passer : il va nier. Il va lutter pour trouver mille autres raisons : un mensonge, un quiproquo, une manipulation... Et puis enfin, quand il regardera la vérité en face, il pourra laisser la colère parler et rappeler au monde entier qu'on ne trahit pas un Villareal. 

Alors il se laisse envahir par ses souvenirs...








... son visage, sa bouche, son rire, sa vivacité d'esprit, la sensation de ses cuisses autour de lui... 







... dans un seul but : 




... nourrir la bête qui est en lui.













Prison : Origin ID = Fritosaurio / Maximum Security Prison













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Commentaires

Eulaline a dit…
D'abord, je m'extasie des décors que tu as mis en place. C'est magnifique, tellement impressionnant. Quelle patience, quel boulot! Et cela en valait la peine parce que vraiment, c'est très réussi - le centre pénitentier est vraiment une réussite, on sent toute l'oppression de ce lieu confiné, hors du temps - et ça sert tellement l'histoire ♥ On se sent directement plongé dans l'univers de chaque personnage dans lequel il évolue. C'est vraiment vraiment réalisé de façon magistrale, rien n'est laissé au hasard. Une telle maîtrise du jeu pour arriver à ça aussi, je suis vraiment admirative. Cette maîtrise, je pourrais en dire idem pour les mises en scène et les prises de vue qui sont vraiment des petits bijoux, prises individuellement et qui donnent vraiment un plus, une consistance de plus à cette histoire.
Quel talent tu as. On a vraiment l'impression de se sentir projeté dans un film. C'est génial.

Pour l'histoire, maintenant, waouh! Un chapitre de ouf encore.
Contrairement à Matthoo que j'ai lu sur tweeter, je n'imaginais pas que Gerald, le flic amer, désabusé, frustré, prêt à tout pour connaître lui aussi la vérité, peu amène à respecter les autres parce que seule la justice doit être faite, puisse être un mentor plus agréable que ce qu'il n'est. Et Nadia, qu'il ne voit que comme un pion, comme une façon d'arriver à son but, en fait les frais, de son plein gré cette fois parce que la confiance n'existe plus entre eux. Nadia est intelligente, elle sait qu'elle a besoin de lui, elle en paye le prix. Un prix trop élevé à mon sens mais qui suis-je pour juger une enfant qui veut se réparer, qui veut comprendre? Même si j'avoue, une quête telle que celle-là est un tel moteur que je me demande ce qu'il en restera lorsqu'on arrivera au bout. Si Nadia n'en sort évidemment.

Dan... :/ J'ai trop le cœur serré pour lui. A la naissance, son deuxième prénom a dû être Sacrifice :o
Que de souffrance pour un jeune homme si plein de qualités. Sa résignation fait vraiment peine.

Bon, Jane c'est vraiment un de mes personnages préférés et elle ne démérite pas dans ce chapitre. Elle est splendide, cruelle, dure, avec une carapace plus grosse que son égo. Je l'aime trop ♥

Bon, Sasha, je ne vais pas le répéter et peut-être que je vois des fils tirés qui ne le sont pas, mais j'ai vraiment l'impression qu'elle est l'élément clé, celle par qui tout peut arriver.

Lin, j'étais si contente de la revoir. Pareille à elle-même. Magnifique, classieuse, réservée, professionnelle. Elle l'a senti elle aussi que la jeune Sasha était "différente" même si son analyse finale n'est pour moi par la bonne (encore une fois, je peux me tromper, j'ai tendance à rêver éveillée :D)

Et on arrive à Max. *soupire* pauvre loulou... décidément, c'est sûr, on ne naît pas tous avec les mêmes chances dans la vie.
Et Max est peut-être l'erreur de Jane *re-soupire*, la pierre dans sa chaussure qu'elle n'a pas encore sentie, qu'elle a négligée... mmmh...

Pff, bref, tu as compris, j'ai adoré et j'attends avec tellement d'impatience la suite. Hâte Hâte hâte...

GGO a dit…
Eulaline Merci beaucoup :D Par contre la prison n'est pas de moi (je l'ai légèrement modifiée avec les appareils de muscu et le parloir qu'on verra plus tard), je l'ai prise sur la galerie (le nom de l'auteur est en fin de chapitre). En tout cas je suis vraiment contente si l'immersion est là ! :D

Oui, je sais que Gerold n'est pas ton préféré XD Pour moi c'est différent, j'ai vu son évolution, je sais ce qu'il aurait pu être. Mais clairement, comme je le raconte au travers de sa non intervention dans la brouille (le mot est faible) de Nadia, c'est foutu ! ^^"
Je suis d'accord, pour moi aussi le prix est trop élevé. Pour tout le monde.

Merci pour tout ce que tu écris. Je ne peux pas trop commenter, au risque de trop en dire. Mais c'est chouette à lire. <3



Pythonroux a dit…
Alors ce chapitre, c'est de la bombe atomique.

On voit tous les ennemis possible et imaginable à part un petit intermède avec Lin (dont je n'arrivais pas à retrouver le prénom, merci de l'avoir indiqué ^^ (purée mais elle s'appelle comment la copine de Dan :( :( :( grrrrr)

Nadia et son boulot. Quoi dire à part que cette grosse boule de nerf va bientôt craquer ^^ surtout si on l'empêche de boucler les affaires sur lesquelles, elle passe ses journées et nuits....
J'attend de rencontrer son "double" avec impatience.

Lin, le rayon de soleil quand elle arrive et rencontre Sasha mais celui-ci repart bien vite quand elle se remémore un le passé.
J'espère qu'elles travailleront bien ensemble ;)

Dan, Dan, Dan, que dire.... tu aimes faire des erreurs et toujours répéter celles-ci ou bien ? Tu n'en as pas marre de laisser les "bêtises" de tes parents te contrôler ?
Mais bon, tu es comme ça. Tu as l'impression que tu es le seul qui peut tout gérer.
Avec le retour de Sharon, vous êtes dans la mouise... Elle sait tout et elle a prévenu le "petit" Max

Chapitre excellent ;)
GGO a dit…
Pythonroux Comme je suis contente de te revoir ici !

Merci beaucoup pour tes commentaires, c'est toujours agréable à lire.

Je sais que tu veux retrouver la Nadia de son enfance, mais je ne sais pas si cela est possible. Elle s'est bien abîmée, depuis... :/

Merci merci <3