6. Les Sables Mouvants







8 ans. 8 ans passés à faire semblant. A mimer la vie de famille, l'amour, le bonheur. A tenir tout cela à distance, à l'intérieur. A essayer, du moins. A échouer, finalement. Oui, elle avait échoué. Car le retour de Silvia, qui a déboulé dans leur vie millimétrée, lui a fait prendre conscience d'une chose : elle ne veut pas que cela s'arrête. Parce-que sa famille, aussi factice soit-elle, elle l'aime. 

Daniel lui jette un regard tandis qu'elle s'assoit, termine sa bouchée et demande pendant qu'il prépare celle d'après : 

- « Tu voulais me dire quelque chose ?
- « Téo a vu la photo. Celle de Corey, qui est passée à la télé. »

Le visage de Daniel marque la stupéfaction, il ne s'attendait pas à ça.


- « Il n'a même pas eu à la voir sur internet. Il l'a captée lorsqu'elle elle passée pendant l'émission. Et je peux te dire que c'est furtif. Il a reconnu tout de suite celle qu'il avait trouvée dans tes affaires. »

La contrariété le gagne, elle n'est pas surprise. Elle ajoute alors d'une voix douce et apaisée : 


- « On savait que ça allait arriver. C'est un miracle que l'illusion ait tenue jusque là... »

Il hausse plus largement les sourcils, prend une inspiration et souffle :


- « Ok... C'est quoi le plan maintenant ? Parce-que ce n'est pas comme si on avait des réponses à lui donner... 

« Ce qui est sûr, c'est qu'on ne doit pas rajouter du mensonge au mensonge. 
« On n'aura pas le choix. À partir du moment où il voudra savoir qui est la petite fille sur la photo, on n'aura pas d'autre possibilité que de lui dire la vérité. Et tout de suite, il va s'imaginer que Corey est son père. Je ne me vois pas trop lui dire que ce n'est pas sûr... Et quand bien même ce le serait, on ne peut décemment pas lui dire que Corey Gotha est son père sans que lui-même ne soit au courant. »

Il pouffe, désabusé.

« Je ne pensais pas dire ça un jour mais... Honnêtement, j'espère que c'est Kay. Ce serait beaucoup plus simple. »

Sur ces mots, ils se redressent tous deux légèrement et se regardent l'un l'autre : oui, ils ont la même idée. Julie, plus prompte à la parole, conclue : 

« Ça nous évitera de mettre la puce à l'oreille de Kay pour rien.
- « Tu crois qu'il ne va pas se poser de question ?
- « L'avantage avec Kay c'est que tu détournes son attention et il oublie ce qu'il était en train de faire la minute d'avant. » 

Daniel lui concède ce point en inclinant brièvement la tête sur le côté. Julie continue : 

- « On verra ce que l'on fait quand on aura les résultats du test... Quoiqu'il en soit... »

Elle déglutit.

- « Il faut se préparer à annoncer la vérité à Téo. Il n'avait de toute façon jamais été question de lui cacher l'identité de ses parents biologiques indéfiniment. Cette photo, c'est le signal. C'est le moment. Mais il faut que l'on face front ensemble. On ne peut pas lui faire une telle révélation alors que vous vous déchirez de la sorte Silvia et toi... Tu dois te réconcilier avec ta sœur.
- « Ça ne se fait pas sur demande.
- « Ça doit commencer par l'un de vous deux. Or tu es l'aîné... Et celui qui vit avec Téo, c'est toi. »



- « Pour le moment, il est sous ta responsabilité. Je sais que tout ça te pèse. Mais... On ne peut pas continuer comme ça... Tu t'éloignes de plus en plus du foyer, physiquement et... émotionnellement. Je ne te blâme pas... Mais... Si tu ne trouves pas la force de donner le change, il faudra rediscuter de notre arrangement. Peut-être... Peut-être est-on arrivés au bout de ce que nous pouvions faire... »








***









- « Cherche pas Miko. C'est pas l'ballon. »


- « Trop bas. »




- « T'as pas besoin d'adversaire en fait.

- « Putain mais ça m'SAOÛLE ! »


- « J'arrive à rien ! Putain mais... ! »


- « En même temps t'as l'air un peu tendu mec. Enfin j'veux dire... Plus que d'habitude. Relax ! Y'a un truc qui te tracasse ? Tu veux qu'on en parle ?

- « Non merci.
- « Vas-y j'parie que c'est encore une embrouille avec Nadia.
- « Quoi « encore » ?
- « Sérieux Bro à chaque fois que tu fais la gueule comme ça, c'est à cause d'un truc qui s'est passé avec Nadia. Le seul truc qui peut t'emmerder autant c'est le boulot, et t'as pas la même tête. Là t'as la tête de « Nadia elle m'a encore cassé les couilles ».
- « Vas-y ta gueule.
- « CQFD.
- « Rien à voir. J'veux pas que tu parles d'elle comme ça, c'est tout.
- « Oh la la hey c'est bon... On est entre nous, hein. Putain elle te tient par la queue même à distance c'est ouf. »
- « Bon allez si t'as que ça à dire j'ai pas envie de t'entendre. On peut continuer ou j'me casse ? »


- « T'es susceptible putain ! Détends-toi sérieux ! J'essaie de t'aider ! Dis-moi c'était quand la dernière fois que tu l'as... que vous avez fait l'Amooouurrrr et je te dirai si c'est grave.

- « Tu m'saoules.
- « Ouh la.
- « La ferme.
- « C'est plus d'une semaine ça... En sachant qu'on est lundi... Ouch ça fait au moins 10 jours...
- « Ferme-la...
- « … Sauf que le week-end d'avant...  »


- « Haaaaannnnn mais ça fait combien de temps que vous avez pas niqué ?!!!

- « Mais ta gueule !... »


 - « ...T'as qu'à parler plus fort encore !! 
- « Hey les garçons je vous entends depuis ma chambre... »


- « Merci j'avais besoin d'un public. »


- « Qu'est-ce-qui ne va pas ? »


- « RIEN. Juste Rajesh qui se mêle de ce qui ne le regarde pas.

- « Excuse-moi de m'inquiéter pour ta santé. Et puis l'état de ton entre-jambe explique tes performances pourries.
- « Ses performances ?
- « Tu la fermes Rajesh.
- « Beh oui il a les couilles tellement pleines qu'il peut pas se déplacer normalement. Il a voulu sauter tout à l'heure il est resté au sol, j'te jure.
- « Ok Raj merci pour l'update mais je crois que Miko est sur le point de dégoupiller donc je t'invite à aller... ailleurs. Tu as du pain-perdu si tu veux en bas. Si Hope n'a pas tout mangé. Dépêche-toi. »


- « Ah cool ! »

Aphrodite attend que son colocataire se soit un peu éloigné avant de demander :

- « Ça va Miko ?
- « Ouais ça va.
- « Tu veux parler ?
- « Nan c'est bon. »


- « Allez... Fais pas ta tête de cochon... Ça te fera du bien. »


- « Allez raconte-moi tout.

- « Mais nan mais c'est rien...
- « Ça va pas avec Nadia ?
- « SI ! Ça va ! »


- « Oui alors excuse-moi d'insister mais on sait ce que ça donne quand tu t'entêtes à tout garder pour toi... La dernière fois tu as largué ta petite copine dans les vestiaires en plein bal de promo...

- « Nadia n'a absolument rien à voir avec Juliette. Notre relation n'a rien à voir non plus.
- « Oui enfin pardon, mais je pense que si tu avais été un peu plus communicatif tu aurais pu lui éviter cette humiliation. »


- « J'en ai rien à foutre de ses petits sentiments après ce qu'elle a fait. J'ai failli aller en prison parce-qu'elle était JALOUSE. Et elle a regardé Nadia se faire tabasser à trois contre une sans moufeter. Qu'elle ne se plaigne pas. Ça aurait été un mec je lui aurais défoncé la tête.

- « Et ça t'a tellement apporté ce genre de réaction... Je te rappelle Miko que ce n'est pas à cause de Juliette que tu as failli aller en prison. C'est parce-que tu avais « défoncé », comme tu dis, Damian.
- « J'allais pas le laisser frapper Nadia ?!
- « Bien sûr que non. Mais il y avait tout un tas de choses à tenter avant. Tu ne connais pas la mesure. Et c'est là où je veux en venir : quand tu es dans cet état de nerfs, tu fais n'importe quoi. Donc si tu veux vider ton sac avant de faire quelque chose que tu regrettes, je suis là pour t'écouter. Et puis je pourrais peut-être t'aider à comprendre ses réactions...
- « Je... Je sais pas quoi te dire. Elle... Depuis qu'elle est retournée à Oaz'... Elle est différente.
- « C'est à dire... ?
- « Elle... Elle est de moins en moins disponible... Elle est vite agacée... Je peux rien lui dire...
- « Tu as l'impression qu'elle prend ses distances ?
- « … Ouais. J'ai l'impression qu'elle me fuit.
- « Ça ne peut pas être juste à cause de son boulot ? Ce n'est pas facile ce qu'elle fait peut-être qu'elle est dépassée... ?
- « … Ouais mais... Bon allez. Ça doit faire un mois qu'on a pas couché ensemble. Et ce week-end ça faisait 2 semaines qu'on s'était pas vus...
- « Et donc tu t'imaginais qu'elle allait t'attendre toutes cuisses ouvertes pour ton retour ?
- « ... »


- « Oh sérieusement Miko... C'est bien la peine de donner les leçons de morale à Raj mais t'es exactement pareil. Vous êtes tous pareils. Selon vous on devrait toujours ressentir un désir ardent à votre encontre et se pâmer devant vous à chacune de vos apparitions...

- « Je n'ai pas dit ça...
- « Nan mais c'est bon Miko je sais lire entre les lignes...Et tu devrais, toi, te pencher un peu plus sur le bouquin. »

 
- « On ne. Fonctionne. Pas. Comme vous. Parfois, oui, on a des pulsions, mais d'autres fois on a besoin de plus que de vous voir apparaître.
- « Nan mais c'est bon j'suis pas un chacal je lui saute pas dessus non plus... Mais elle a pas décollé de son ordi du moment où je suis arrivé au moment où je suis parti.
- « Alors si tu veux mon avis, elle n'a pas sauté sur cet ordi en t'entendant arriver, hein. Elle devait certainement y être avant, et certainement y être après. Elle a du boulot, quoi. Tu sais ce que c'est quand même ?! Avec ce que tu fais ?!
- « Oui, mais quand je quitte San Myshuno pour aller la voir je laisse l’hôpital aussi.
- « Je ne sais pas quoi te dire Miko, à part que tu me décris juste quelqu'un qui se donne à fond dans son boulot. »

Fabien pousse un gros soupir et plonge sa tête dans ses mains avant d'émettre un râle : 



- « Je sais pas... Je sais pas...

- « Il y a autre chose que tu ne me dis pas ? Qui te fait sentir qu'il y a quelque chose qui cloche ?
- « …
- « Ok je t'écoute.
- « Essaie de ne pas trop t'énerver, d'accord ?
- « Ouh la... Je le sens arriver.
- « J'ai besoin de poser la question.
- « … Vas-yyyy... 
- « Est-ce-que Sen est dans le coin ? »

L'expression d'Aphrodite change du tout au tout : 


- « Nan mais là t'es carrément ridicule.
- « Réponds-moi s'il te plait.
- « Nan, nan, il n'est pas dans le coin. T'es sérieux Miko ?!
- « Tu me le dirais si tu savais qu'ils se voyaient ?
- « Bien sûr que non. »


- « Est-ce-que tu tromperais Nadia ?

- « Bien sûr que non.
- « Ok. Maintenant, souviens-toi de tout ce que vous avez vécu, tout ce qui a fait que vous êtes ensemble : penses-tu sincèrement qu'elle pourrait te tromper ?
- « … Non.
- « Bon. C'est tout ce que tu dois retenir. Sen ou pas Sen. Je sais à quoi tu penses. Tu penses à l'anniversaire de Raj. Mais reprends-toi ! Tu crois vraiment qu'ils auraient fait quelque chose avec 30 personnes qui peuvent rentrer dans la chambre sans prévenir, avec toi dans la pièce d'à côté ? Sérieusement ? Tu as du mal avec leur passif, je l'entends parfaitement. Mais il faut que tu acceptes le fait qu'ils tiennent l'un à l'autre. Et je te rappelle que c'est toi qu'elle a choisi. Et même si je ne devrais pas te le dire, elle n'a aucune relation avec lui. Simplement pour ne pas te mettre en rogne. Parce-que tu vois, la seule fois où elle a été lui parler simplement pour prendre de ses nouvelles, tu as pété un câble et tu as failli gâcher l'anniversaire de ton meilleur pote. Alors est-ce-que tu pourrais, s'il te plaît, redevenir le mec intelligent et raisonnable qu'on aime tous ?
- « … Arf... »


- « J'suis vraiment un con.
- « Mais non Miko. Tu gagnerais juste à t'ouvrir un peu plus aux autres. Tu as toujours eu une part de toi qui n'était pas là avec nous. Ça s'expliquait quand tu préparais secrètement le concours de médecine, mais maintenant ? Tu vois, maintenant que tu as tout ce que tu veux : le job, la copine... Pourquoi es-tu encore si distant ? J'ai l'impression que plutôt que de t'ouvrir au monde, tu as juste ouvert la porte pour faire entrer Nadia avant de la refermer aussitôt. Il y a du monde de l'autre côté Miko. Du monde qui ne demande qu'à partager votre bonheur. »

Fabien pouffe de dépit.


- « Le problème... Le problème c'est que je ne suis plus très sûr d'être heureux. »


- « Comment ça ?

- « … Ça fait plus de 10 ans qu'on est ensemble maintenant, on va avoir 30 ans... »

Il soupire.


- « Je me voyais déjà père à 30 ans. Et quand je fais le point, je vois que nous ne sommes pas stables au niveau professionnel - alors que si elle n'était pas retournée à Oaz' ce serait réglé - pour la même raison on ne vit plus ensemble... Ça fait 4 ans que nous sommes fiancés et on ne parle jamais de mariage...  Alors les enfants tu vois, c'est clairement pas pour tout de suite. Et ça me fait chier.

- « Tu lui as parlé de tout ça ? De tout ce que tu ressens ?
- « … Un peu. Il y a longtemps. Elle sait parfaitement ce que j'attends.
- « Et toi ? Tu sais ce qu'elle attend de votre vie ?

Fabien marque une pause et hausse les sourcils :


- « C'est bien possible que je me sois fait de fausses idées... Ou que j'ai mal apprécié l'ampleur de la tâche dans laquelle elle s'est investie. Peut-être... Sûrement les deux.

- « Miko... »

Aphrodite saisit doucement la main de son ami et la presse avec affection : 


- « Parlez-vous. Et si jamais tu dois encore prendre ton mal en patience, eh bien fais-le. Votre histoire vaut le coup. Tu... Tu ne sais pas de quoi... »


Sa voix se met à trembloter légèrement, mais elle poursuit :


- « Tu ne sais pas de quoi demain est fait. Tous les jours... Tous les jours la vie peut... »



- « Pardon... »


Le visage de la jeune femme se transforme : les narines se dilatent, la bouche se tord avant de voir sa lèvre inférieure se faire mordre, les sourcils prennent un pli douloureux.


- « Ça va passer... Ça va passer... »


Fabien prend alors conscience de ce qu'il se passe : cela fera bientôt un an que Bastien, son compagnon, est décédé des suites d'une overdose. De là où il est, Fabien ne le regrette pas. Le jeune disparu était un proche de Damian Oruscant, dealer et violeur notoire ayant suffisamment d'argent pour acheter sa tranquillité et cette proximité avait eu beaucoup d'influence sur le comportement de Bastien. Ce-dernier s'était mis à coucher à droite et à gauche, à se droguer, puis à dealer, le tout faisant péricliter sa carrière de basketteur professionnel. Fabien avait trouvé très étonnant que sa relation avec Aphrodite perdure, bien qu'elle fut très tumultueuse, étant donné le fait qu'il était à contre-courant de tout ce pourquoi elle se battait : le respect de soi et le respect de l'autre. Seulement, à cet instant, il se rend compte qu'il avait mésestimé l'emprise du pervers narcissique que Bastien était devenu : même mort il continuait de la détruire. Car oui, il ne pouvait plus l'ignorer maintenant, même Aphrodite Goddess, héritière d'un empire du divertissement érotique, une des plus grosses fortune du pays, égérie d'une marque de luxe, avait aussi des failles. Failles profondément enracinées mais savamment camouflées... Jusqu'à ce soir. Dans l'intimité de sa demeure, en sécurité près de quelqu'un qui lui est cher, celle qui avait transformé le drame qui avait marqué sa chair alors qu'elle n'était qu'une toute jeune adolescente en une formidable force, celle qui avait bravé l'extrême misogynie de son milieu pour rendre ses productions respectueuses et inclusives laisse transparaître ce qu'elle cache au fond d'elle-même : une âme écorchée. Fabien découvre alors seulement maintenant, avec effroi, que l'amie qu'il pensait invulnérable s'est complètement décharnée. Comment a-t-il pu passer à côté d'une telle transformation ? Comment a-t-il pu être à ce point egocentré pour ne pas voir qu'elle souffrait de la sorte ? A cet instant, il éprouve contre lui-même un profond sentiment de dégoût. La culpabilité qui en découle lui fait dire :


- « Putain Aphro j'suis vraiment qu'un con... Pardon... »


Il passe alors un bras autour d'elle pour la serrer contre lui. 


Elle éclate en pleurs au moment où leur peau entre en contact, saisie par le contraste que lui procure la chaleur de celle de Miko sur la sienne, glacée.


- « J'suis désolé, continue-t-il. Je suis tellement occupé par ma petite personne que... J'suis désolé... J'aurais du être là... T'as toujours été la plus forte de nous tous... On se repose trop sur toi... »


Elle renifle et répond :


- « C'est juste l'image que je donne. Vous pensez tous que j'ai créé le Fort par charité alors que... je ne l'ai crée que pour moi. Pour être entourée en permanence. Parce-qu'il n'y a rien qui ne me terrifie plus que la solitude. Je sais que quand je te demande de venir tu penses que je te fais une faveur, que je t'accorde une sorte de privilège, mais en réalité... C'est parce-que tu me manques. Tu es gentil, doux, et intelligent. J'ai toujours beaucoup aimé être avec toi. »


Le cœur de Fabien se met à battre plus vite et s'emplit d'une sensation étrange entre la tristesse, le malaise et la culpabilité.


- « Je ne suis vraiment pas sûr de mériter tout ça... J'suis un abruti. J'ai pas été à la hauteur avec toi, je ne le suis pas avec Nadia...

- « Il n'est pas trop tard Miko. Si tu apprends de tes erreurs tout ira bien.
- « Je vais me rattraper... Je te promets que je vais me rattraper. Je suis là pour toi maintenant. Je te le promets. »



Ils restent l'un contre l'autre quelques secondes, puis elle prend légèrement appui contre sa joue avec son front pour doucement relever la tête avant de lui adresser un regard plein de tendresse :


- « Je n'aime pas les promesses. Elles créent de l'attente mais aussi et souvent de la désillusion. Je n'attends rien de toi, Miko. Si je t'ai dit tout ça, c'était pour que tu connaisses les vraies raisons de mes invitations : je suis toujours contente de te voir.
- « … Je... Merci Aphro. Ça me touche.
- « Et pour Nadia... Ne cède pas à la colère, d'accord ? Elle est toujours mauvaise conseillère. »

Il acquiesce silencieusement et la presse à nouveau contre lui.


Un peu plus tard, alors qu'il rentre chez lui, il est agité par plusieurs sentiments qu'il n'arrive pas à identifier et qui lui serrent la gorge quand il repense à sa discussion avec Aphrodite. Mal à l'aise, il attrape son téléphone et tape frénétiquement :


« Tu me manques. Je suis désolé pour ce week-end. Je déteste qu'on soit si loin l'un de l'autre. Je t'aime. »


Il a envie d'écrire plus, de lui dire qu'il l'aime à en avoir mal, que cette intensité le terrifie, qu'il ferait n'importe quoi pour qu'elle souffre moins. Mais sa raison le rattrape et l'empêche de s'épancher car il le sait, cela ne ferait que lui mettre la pression. Alors il envoie sagement son message et reprend sa route, anxieux à l'idée de la réponse qu'il va recevoir... Ou non.






***












L'enfant lève sa petite tête de l'oreiller et tend l'oreille : le bébé pleure.



Il faut qu'elle aille voir ; peut-être qu'elle a perdu sa tétine. Le bébé adore sa tétine.

Arrivée sur le palier, elle s'arrête net, surprise. Que fait son frère devant la porte ? 

- « Daniel ? Daniel ? Qu'est-ce tu fais ? Il faut donner la tétine à bébé. »

- « Nan Nadia ! Papa et Maman veulent pas qu'on... »

- « … Rentre... »

Son papa est fâché. Il gronde Maman. Nadia n'aime pas la voix de Maman parce-qu'elle lui fait mal au cœur.





- « Retourne au lit Nadia. Tout va bien.
- « Tu ne peux pas lui dire ça. Parce-que personne n'est dupe. Même Nadia le sent et cela perturbe ses nuits. »


Quand elle regarde sa maman, Nadia a la gorge qui se serre. Elle a l'air tellement triste...


- « Retourne dans ta chambre, Nadia. Daniel va venir avec toi. »

Mais l'enfant ne veut pas laisser sa maman si malheureuse alors elle décide de l'emmener avec elle :

- « Avec maman.
- « Je n'ai pas fini avec Silvia ma chérie. Elle est malade il faut que je m'occupe d'elle. Tu veux bien aller au lit avec ton frère ?
- « Un câlin et un bisou d'abord. »






C'est doux. C'est chaud. Ça sent bon. Nadia adore mettre son petit nez dans les longs cheveux de sa maman. 

Elle est reposée par terre délicatement et Daniel lui prend la main pour la raccompagner jusqu'à son lit. Au moment où il la lâche, elle se jette sur lui en disant :

- « Un câlin et un bisou ! »









C'est doux. C'est chaud. Ça sent bon. Ces bras là, ce sont ses préférés après ceux de Maman. Ces bras là, ils l'aiment d'amour aussi.

Une fois dans son lit, elle répète :

- « Un câlin et un bisou ! »


Il faut dire qu'elle a un petit peu peur. Elle ne sait pas pourquoi, mais c'est là.
Daniel s'exécute et dit :

- « Ne t'inquiète pas. »

Il dit autre chose aussi, mais elle n'entend pas. Elle se concentre, mais il parle de moins en moins fort.

















Et puis quand elle ferme les yeux, elle entend enfin :

- « Tout ira bien. »









La maison est silencieuse ce matin. Mais ce n'est pas un silence calme, non. C'est un silence qui fait battre son cœur plus fort. C'est un silence qui lui fait peur. Le bébé ne pleure plus. Par contre la nounou oui, quand elle lui pose la question si le bébé a bien dormi. Intriguée, elle va dans sa chambre.




« Arrête. N'y va pas. NON. NON NON NON... »









Le spasme qui lui saisit la poitrine la réveille en sursaut.


Elle n'est pas sûre de la date ni du lieu. Où est Fabien? Pourquoi n'est-il pas là ? Son rythme cardiaque s'emballe ; elle le cherche dans la pénombre, l'appelle. Mais rien. Et puis le décor lui revient. Elle est chez elle, et non chez eux. Comme toutes les nuits où elle fait des cauchemars et qu'il n'est pas là, elle le regrette. Un sanglot lui échappe alors qu'elle se remémore la sensation de ses bras qui l'entourent et l'attirent à lui, le sentiment de sécurité qui en découle.  Pourquoi diable continue-t-elle de le garder à distance ? Alors même que la place vacante dans le lit l'emplit de détresse elle reste incapable de lui donner le change. Quelque chose a changé depuis qu'elle est revenue mais elle est incapable de dire quoi. Tout ce qu'elle sait, c'est que malgré l'amour évident qu'elle ressent pour lui, quelque chose l'empêche de suivre ses élans du cœur, même lorsqu'elle reçoit un message qui se veut réconciliateur et qui lui prouve que malgré leurs différents son amour pour elle reste inchangé. Elle aurait voulu lui dire qu'elle aussi était désolée de se comporter ainsi, de ne pas être à la hauteur, de ne pas lui apporter ce qu'il attendait malgré la promesse qui avait été faite, qu'elle l'aimait si fort que rien que le fait de penser à lui, à eux, à ce qu'ils avaient été lui vrillait les tripes. Malheureusement le "Moi aussi" de circonstance est éculé. 









Elle se rend compte aujourd'hui que l'amour ne suffit plus. Fabien a besoin d'avancer dans sa vie, de faire des projets et de travailler à leur réalisation, quand elle a les yeux rivés sur le passé. Une obsession qui occupe ses journées, ses nuits, sa tête, son cœur. Ne reste plus que son travail qui la connecte au présent car c'est le seul moyen qu'elle a pour accéder aux outils qui lui servent pour sa quête. C'est pourquoi elle ne se recouche pas malgré l'heure : garder à flots son taux d'élucidation, c'est garder son pass pour explorer les tréfonds de son histoire.


















Et comme si cela n'était pas assez compliqué à gérer, il faut qu'une photo de Silvia surgisse de nulle-part. Pour l'instant, le père Gerold n'a pas l'air d'avoir pris connaissance de la photo. Mais que se passera-t-il lorsque ce sera le cas ? La croira-t-il lorsqu'elle niera être au courant de quoi que ce soit ?

- « Put... »

Elle ne peut terminer son juron, sa voix étant étranglée par une fausse route. Elle tousse violemment puis se remet doucement en s'essuyant les yeux.

 « Putain... » Pense-t-elle en son sein. « Si seulement Daniel acceptait de me parler...  »





Sa main se met à trembler sur la cuillère. La gorge serrée, elle est incapable d'avaler quoique ce soit et cela l'agace tant qu'elle sent des larmes arriver. Tout le monde l'alerte sur sa perte de poids mais elle se sent impuissante. Faudrait-il qu'elle se gave ? Faudrait-il qu'elle ravale ce qu'elle vomit ? À cette pensée elle lâche rageusement sa cuillère, prend ses affaires et se dirige vers la porte d'entrée en s'imposant de se concentrer sur l'affaire en cours. C'est le dernier jour avant la cession du dossier aux services de Del Sol Valley, il faut faire vite.



Arrivée au commissariat, Nadia se rend compte que sa résolution perd en intensité à mesure qu'elle se rapproche de son supérieur. Que va-t-il faire quand il saura ? Elle en est persuadée, il va savoir qu'elle ment. Il ne lui pardonnera jamais sa trahison. 

Nadia déteste le sentiment qui l'étreint. Cette sensation de se rapetisser, se fragiliser... quand était-elle devenue une telle poltronne ?

















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Commentaires

Eulaline a dit…
Après avoir lu ce chapitre, hier soir (ciel, qu’il est beau, intense, le rêve de Nadia est bouleversant autant dans la forme que le fond – je crois qu’il restera à jamais l’un de mes passages préférés de tout no u turn), j’étais très en colère. En colère contre tous les personnages - Sauf Rajesh parce que lui, il m’a fait rire :D :
- En colère contre Dan qui voudrait bien mais qui ne peut point… et n’arrive toujours qu’à blesser ceux qu’il aime.
- En colère contre Julie qui ne voulait pas mentir au petit Téo mais l’a laissé se construire malgré tout dans ce mensonge et dans une famille qui n’existe pas. Pauvre petit … il est sur le point d’être démoli par les personnes en qui il a le plus confiance  *cœur brisé*
- En colère contre Kay qui n’a pas réussi à ne pas se faire respecter. Pauvre homme qui passe pour le bêta du groupe.
- En colère contre Miko qui n’ a pas réussi à offrir à Nadia la légèreté et l’envie de profiter de lui et des petits moments simples de la vie, qui ne lui a pas donné l’envie de lever le nez de son écran quand il revient après des semaines d’absence, de goûter au plaisir simple d’être avec celui qui vous aime et qui se contente de se demander si Sen n’est pas revenu (ouhou, gamin, on parle de Nadia, là…)
- En colère contre Aphro, la petite fille riche qui attend des autres qu’ils comblent son gouffre de douleurs et s’en vient quand même tenir le rôle de celle qui sait ce qui est bon pour les autres, à quel point il est important que Miko prenne Nadia en compte (bon sang, il ne fait que ça depuis le début)
- En colère contre Nadia qui perd pied, se retrouve dix ans en arrière, fermée, cloîtrée dans sa quête, se refusant à s’offrir ce dont elle a besoin : la présence, les bras, l’écoute de Miko.
Bref, je suis allée me coucher en râlant.
Puis, ce matin, si la colère contre Dan et Julie est toujours aussi présente d’avoir joué, de ce qu’ils ont fait et de ce qu’ils sont sur le point de faire, je me suis surprise à me dire que oui, c’est vrai, Miko et Nadia sont arrivés au bout du chemin. C’est un de mes couples fétiches. Mais ados. A trente ans, ils ont eu dix ans pour s’apprivoiser, pour se regarder, pour s’écouter, pour se construire le petit nid douillet où venir se réfugier quand la vie est trop dure et trop injuste. C’est un échec cuisant. Ils sont restés à l’arrêt, n’ont pas revu leurs priorités, continuent à se comporter comme des gamins (euh et tu veux un enfant, toi, Miko, qui est encore qu’un gamin ?) Oui, Nadia a raison, l’amour ne suffit pas. Il faut l’envie de construire, il faut l’envie d’aimer. Et ça, ils l’ont perdu en chemin, mes deux tourtereaux.
C’est triste. Tellement triste.
Et beau, tellement beau aussi. Je crois que tu es une des personnes, GGo, qui manie comme personne les mots pour leur donner le plus grand effet et donner au lecteur, tel que moi, l’émotion brute, sans fioriture.
C’est aussi parce que dans cette histoire, je retrouve beaucoup de ce que j’ai cru saisir de toi : l’enfant au centre de tout, l’enfant et ses origines, l’enfant et les liens du sang, la quête de la vérité, de la justice, tout ce qui fait qu’à mes yeux tu es une belle personne et ça donne une histoire magnifique, avec des personnages extraordinaires qui donnent envie de se révolter, de prendre position, qu’on aime autant qu’ils agacent. No u turn c’est vraiment plus qu’une histoire et ça j’aime ! Encore merci.
GGO a dit…
Eulaline Hey oui, tu as bien raison sur tout. Y'a une petite circonstance atténuante sur le secret des origines on en reparlera. Après tu ne seras pas forcément d'accord hein, mais on en reparlera... ;)

Kay le pauvre ça va le suivre un moment... Mais bon, comme tu dis, devant un public il ne fait rien pour que ça change...

Dan de toute façon y a rien qui va, dans tous les sens du terme...

Aphro, comme beaucoup de monde, prodigue des conseils au travers du filtre de sa propre expérience... or la sienne est bien pourrie ET les conseilleurs ne sont pas les payeurs.

Fabien il a plusieurs choses à regler... mais surtout son syndrome du Saint Bernard.............

Un simple merci n'est jamais assez pour te remercier... Merci merci merci...
Eulaline a dit…
"Y'a une petite circonstance atténuante sur le secret des origines on en reparlera. Après tu ne seras pas forcément d'accord hein, mais on en reparlera... ;)"
Il y a intérêt à ce que ce soit vraiment une très très bonne raison que j'admette qu'on mente à un enfant de cette façon, je te le concède, ce ne serai pas facile de me convaincre :o
Pythonroux a dit…
Encore un chapitre très fort en émotion qui nous apporte encore pleins de news chez tout le monde.

C'est vraiment pas facile la vie ;)
GGO a dit…
Pythonroux Merci :D

En effet, surtout la leur XD :*
Fanfani a dit…
Que c'est triste de voir ce joli couple partir en sucette !
C'était très habile de ta part de démarrer sur les boufonnades de Rajes, comme si de prime abord on parlait juste d'une routine de couple dans le creux de la vague sexuelle. Mais non, petit à petit, avec les confidences faites à Aphro, on perçoit que le malaise est bien plus profond et qu'un gouffre sépare peut-être Miko et Nadia bien malgré eux. Et voilà que Nadia enfonce le clou... sont-ils vraiment arrivés au bout de leur histoire ? j'aurais tendance à le croire même si j'aimerais une autre issue à ces années de vie pas si commune que ça.

Une mention spéciale pour le flash-back de Nadia. Pfiouuuuu... j'en ai eu le coeur tout serré ! C'est dramatiquement beau ce que tu as fait là.

Quant au petit Téo, j'appréhende le moment où il va comprendre que sa vie et sa famille reposent sur un mensonge. Julie et Dan m'interrogent aussi sur la question du mensonge protecteur. Un mal pour un bien même s'il refera mal plus tard ? Une lâcheté ? Un déni ? Une vraie nécéssité ? Un mauvais choix ? J'voue que je ne sais pas. Je n'arrive pas à les juger, juste à m'apitoyer sur ce petit bonhomme ballotté dans une histoire qui le dépasse.

GGO a dit…
fanfan Ah ça, tu fais bien de le soulever, pour leur vie "commune"... Etre et rester ensemble est un vrai challenge et c'est vrai que les envies de Fabien vont rapidement devenir incompatibles avec leur mode vie actuel. Ça fait beaucoup d'embûches quand même...

Je suis contente si ça a fonctionné ce petit flash-back, c'est un beau compliment que tu me fais en plus.

Pour Téo, on sait bien que la règle N°1 c'est de ne jamais cacher ses origines à un enfant. Mais là le cas est un peu plus complexe, même si ça n'excuse pas tout... On aura l'occasion d'en reparler.

Merci beaucoup <3