Mission to Sixam 7





















Cela faisait plus de 2 heures qu'ils étaient sortis. Ils approchaient de la limite de leur zone de récolte quand Philippe questionna Lin :



- " En combien de temps le poison de la plante à globes agit-il ?
- " Je ne sais pas... Je n'avais jamais observé ce phénomène... Gus a été retrouvé environ deux jours après sa disparition à côté d'une de ces plantes...
- " Et leur étude n'a rien donné ? Le poison n'a pas pu être extrait et analysé ?
- " On n'a pas pu... Tous les spécimens sont morts.
- " Tous ?"

Elle hocha la tête, et il vit qu'il avait capté son attention. Tout en la fixant du regard il déclara, désinvolte :

- " Espérons que le voyage se passe mieux pour les échantillons récoltés cette fois-ci..."

Durant les minutes qui suivirent, les gestes de Lin furent ralentis, parfois stoppés. Elle réfléchissait. Si elle réfléchissait, c'est que quelque chose la taraudait, et il espérait fortement qu'ils soient gênés par la même anguille. Parce-que dans le cas contraire, tout espoir de connaître la vérité un jour serait perdu. Il prenait un gros risque en confiant ses doutes à la jeune femme, si proche des Lalouche. Mais de ce qu'il avait perçu d'elle, il ne l'imaginait pas complice de leurs méfaits, surtout que Lazlo se mettait en quatre pour lui donner une bonne image de lui. Il leva ses yeux plein de dédain au ciel. Autant dire qu'il n'était pas serein. Mais avait-il une autre exobiologiste spécialisée en phyto et témoin du drame qu'ils venaient de vivre sous la main ? Non. Ainsi, ses cent pas de ronde le ramenèrent vers elle, et, une fois à sa hauteur, il coupa la communication avec la base :

- " Il faut retourner sur la colline."

Ce qui ne fut pas du goût de Coumba :

- " Ah nanananananan, certainement pas... Lin... Lin... ?"

La jeune biologiste hésitait.

- " Lin, t'es pas sérieuse..." S'alarma sa collègue
- " On n'aura pas d'autre chance de savoir ce qu'il s'est passé." tenta Philippe. "On doit y aller. Ne serait-ce que pour voir si rien ne nous a échappé là-bas.
- " Je ne bougerai pas d'ici !"

Lin se tourna vers elle :

- " Personne seul dehors, Coumba." Elle lui tendit la main : "On le doit à Joseph. On doit chercher, au moins."

Les yeux de la géologiste se mirent à briller. Au bout de quelques secondes, elle dirigea ses doigts tremblants vers la paume de Lin qui referma les siens par dessus.

- " Je ne te lâcherai pas."

Coumba s'accrocha au bras de son amie tandis que Philippe annonçait :

- " C'est parti alors. Mettez-vous devant, que je vous vois. Et personne à plus de 50 centimètres."

Il les reconnecta à la station, et la voix d'Eric se fit entendre :

- " Vous m'entendez ? Phil...
- " Oui, on est là, répondit le médecin.
- " La communication a été interrompue. Tout va bien ? Vous êtes passé par une perturbation ?
- " Oui. Une toute petite. Tout va bien. Le Docteur Lalouche est avec toi ?
- " Non. Apparemment il avait quelque chose à faire et m'a confié la surveillance radio de votre sortie.
- " Ok, on continue. À tout à l'heure.
- " À tout à l'heure. Et soyez prudents, hein...
- " Compte sur nous."

Il ignora le regard noir de Coumba et poussa gentiment ses deux collègues vers la direction qu'il souhaitait prendre.





***




La marche des 3 scientifiques ne se fit pas sans peine, excepté pour Philippe qui était entraîné et imposait un rythme soutenu. À bout de souffle, les filles firent une petite pause une fois arrivées sur le plateau de la colline, tandis que l'ancien militaire continuait vers la plante à globes qui avait empoisonné Gustave et Joseph.

- " Moi, je reste là, annonça Coumba.
- " Ok", répondit Lin en trottinant vers Philippe.



Le médecin coupa dans un premier temps la communication avec la base :

- " Je vais couper la communication avec toi aussi, Coumba. De ton côté, tu vas la rétablir avec Eric et meubler le silence de temps en temps pour ne pas l'alerter. Occupé comme il est avec le réseau, il ne remarquera rien. Si ça sent le roussi, tu nous préviens et on se reconnecte. Ok ?
- " ... je n'aime pas ça Philippe.
- " Je sais... Mais on te protège en faisant ça. Le moins tu en sauras et le moins tu seras impliquée. En cas de soucis, tu diras que je vous ai menacées pour venir jusque là. J'endosserai l'entière responsabilité.
- " Tu me fais peur... Tout ça me fait peur...
- " Je suis désolé Coumba. Mais j'ai le sentiment de devoir le faire. Je ne veux pas regretter toute ma vie de ne pas avoir cherché à l'aider."

La jeune géologiste hocha doucement la tête, lui donnant l'autorisation d'établir une connexion privée avec Lin :

- " Lenny m'a dit que le poison libéré par la plante provoquait des dommages nanoscopiques aux combinaisons et que c'était par là qu'il atteignait l'astronaute. Il m'a dit aussi qu'il provoquait des brûlures. Or, il faudra m'expliquer comment Gustave a survécu à des trous dans sa combinaison et Joseph ne présentait aucun dommage tissulaire. J'ai donc examiné sa tenue et elle est intacte. J'ai fait pareil pour Gus. Même constat. Le Docteur Lalouche a dit que c'était cette plante qui avait causé le coma de Gus, lors de sa précédente mission. Mais Gus ne présente aucune cicatrice de brûlure."

Lin absorba les données avant de demander :

- " Lazlo aurait menti ?
- " Je ne vois que ça.
- " Pourtant il avait l'air terrorisé quand...
- " C'est ce que m'a raconté Lenny aussi."

La jeune femme secoua la tête.

- " Mais qu'est-ce-que ça veut dire ? Que le poison passe au travers de la combinaison ? Sans la brûler ? Pourquoi il aurait inventé un truc pareil ?
- " Je ne sais pas... Cette plante est la clé, Lin. De ce qui est arrivé à Gus et Joseph..."

Il ne termina pas sa phrase. Il se contenta de la fixer du regard.
Elle étudia la demande implicite.



- " J'ai besoin de savoir si tu sais s'il y a un risque à effectuer un prélèvement maintenant, ajouta-t-il.
- " J'ai réalisé des dizaines de récoltes et c'était la première fois que cela faisait ça, quand j'étais avec Lazlo et Lenny. De ce que j'en sais, le relargage du poison est aléatoire...
- " On peut les planter sur Terre, non ?
- " Dans une cuve adaptée, oui.
- " Serais-tu en mesure de les étudier... en off ?"

Les iris de la biologiste vacillèrent. Cela représentait tellement de choses... Du vol, du mensonge, de la trahison.

- " Sans cela, on ne saura jamais ce qui leur est arrivé." poursuivit-il. "Gus et Joseph vont devenir gênant. Oaz'Corp va les faire taire.
- " Gus a été soigné par Oaz'Corp !
- " Et il a tenté de tous nous assassiner. Cela fait 2 accidents graves en 2 missions. Oaz'Corp ne peut pas laisser cette mauvaise pub éclater au grand jour. Alors si on veut avoir une chance de comprendre un jour, il faut que tu fasses les recherches de ton côté.
- " On a pas besoin de voler, Philippe. Il suffit d'en parler à Lazlo...
- " Tu n'as pas compris où je voulais en venir ? Ils ont détruit les spécimens pour Gus. Ils ont étouffé l'affaire. Que crois-tu qu'il va se passer cette fois-ci ?
- " Lazlo ne ferait jamais un truc pareil !

Philippe fut pris d'un rire jaune :

- " Lazlo s'appelle Lazlo Lalouche, Lin. Si son programme spatial a été menacé, il a dû être le premier à tout foutre sous le tapis ! Tu peux me croire... Les gens au pouvoir se foutent de la vérité. Tout ce qui compte, c'est d'atteindre leur but. Et le but d'Oaz'Corp est de gagner de l'argent. Des blessés et des morts, ça ne rapporte pas de contrat.
- " Je connais Lazlo. Il ne mettrait jamais la vie de quelqu'un en danger pour de l'argent.
- " J'espère de tout mon cœur qu'il est le preux chevalier que tu souhaites qu'il soit. Mais aussi vertueux qu'il puisse être, si ses découvertes sont gênantes pour Oaz'Corp d'une quelconque façon, le conseil ne le laissera jamais divulguer les résultats. Et à postériori, je me dis que c'est forcément ce qu'il s'est passé pour Gustave. Je me suis laissé complètement berner par leur discours rassurant... Ils m'agitaient le dossier médical de Gus sous le nez pour me prouver que tout allait bien, mais force est de constater que ce n'était pas le cas ! Et on a tous failli y passer ! Donc si je ne comprends rien à ce qu'il s'est passé avec Gus, il est hors de question que cela se reproduise pour Joseph. Je ne prendrai pas le risque que ces plantes soient détruites par un énième coup du sort bien trop pratique pour Oaz'Corp. Le poison peut-être le remède. Mais les plantes exogènes sont surveillées de près, comme tu le sais. Si tu peux en faire pousser ne serait-ce qu'une en secret, cela nous permettrait de l'étudier en toute discrétion.
- " C'est de la trahison. Ce geste pourrait me coûter ma carrière..."

Et Lazlo, pensa-t-elle pour elle-même.

- " Ce geste pourrait apporter la justice.
- " Écoute Philippe... On peut en parler à Lazlo...
- " Je ne lui fais pas confiance.
- " Moi si !" S'emporta-t-elle.

Philippe lui attrapa violemment le casque par le dessous et l'approcha de lui :

- " ES-TU SOURDE ?! Je sais que tu couches avec lui mais il va falloir faire un effort, là ! Lazlo est au pire comme les autres, au mieux il obéit aux ordres ! Il y a déjà eu des scandales. L'as-tu vu broncher ?
- " Lâche-moi Philippe."

Ce qu'il fit. La mâchoire serrée, il se força à retrouver un semblant de calme. Il la fallait de son côté.

- " Lin. Ce que je te demande de faire, est aussi vital que grave. Moins il y aura de personnes qui seront au courant, moins on aura de risque de se faire prendre. Dévoiler à Lazlo notre plan, étant donné les événements passés, c'est prendre un risque inconsidéré."

Lin ne répondit pas. Philippe en rajouta une couche :

- " C'est une simple précaution, Lin. Si ça se trouve, de retour sur Terre, les plantes seront bien étudiées comme il faut et tu pourras détruire notre spécimen. Dans le cas contraire, on pourra faire notre devoir envers Joseph : comprendre ce qui lui est arrivé et, s'il survit au retour, avoir une chance de le soigner."

La jeune femme poussa un long soupir, que sa gorge oppressée fit trembloter :

- " On a un projet d'exposition exobotanique permanente, en association avec le gouvernement aux jardins d'Affluista..."

Les traits du médecin se détendirent. En effet, les Jardins d'Affluista faisaient partie de la propriété de Lin. Elle aurait ainsi tout le loisir d'étudier les plantes pour son propre compte, ayant son propre laboratoire au sein des murs de sa villa.

- " Si tout se passe bien, ils ne se méfieront pas et te confieront une de ces plantes, répondit Philippe. Dans le cas contraire, on aura besoin d'un plant non répertoriée."

Lin tourna la tête et vit Coumba qui leur faisait de grands gestes.



Philippe l'interrogea du regard en indiquant la radio. La jeune femme hocha la tête et ils purent répondre aux questions que leur posait Lazlo qui avait repris la surveillance de leur sortie.
Philippe lui fit signe de se dépêcher, car le chef de mission risquait d'avoir accès à leur position GPS à tout moment. Si ce n'était pas déjà le cas, même s'il n'en montrait rien.
Le médecin se dirigeait vers leur collègue quand il remarqua les mains tremblantes de Lin.



Il posa une main douce sur son épaule. Elle le regarda et lut sur ses lèvres :

" Tu peux le faire."

Un fruit... Un simple fruit. Qui pouvait pourtant faire péricliter sa carrière, sa vie, et sa relation avec Lazlo...
Ses doigts n'étaient pas sûrs. Ils manquaient de force.
La biologiste resserra sa prise sur ses ciseaux, sans pour autant réussir à couper un bout de branche. Elle avait trahit la confiance de Dan, déjà...








Elle secoua la tête. Non. Elle ne l'avait pas trahit.






C'était lui qui l'avait faite sortir de sa vie. Il l'avait virée comme une moins que rien. Parce-qu'elle ne l'avait pas cru.
Leur dispute lui revenait en écho.



Elle plissa les paupières. Ce n'était pas le moment.

"Si tu travailles pour Oaz'Corp, c'est que tu n'as rien compris ! Ils ont détruit ma famille !"



Mais rien dans son argumentation ne tenait la route.
Elle revint à l'instant présent. Lazlo ne méritait pas qu'elle lui mente. Pas après tout ça.

Philippe s'impatienta :

- " Lin, c'est maintenant ou jamais."

"Ils font des expériences sur les enfants !"



"Je t'aime Lin, depuis le premier jour."



"Si tu es de leur côté, tu ne peux pas être du mien."





"Ne me fais pas ça... "







"Fais-moi confiance"



- " LIN !"





***










- " Qu'est-ce-qui vous a pris de l'amener ici ?
- " Je vous prierais de changer de ton, Philippe."

Philippe se sentait tellement mal quand il regardait Joseph... Les joues creusées, les yeux enfoncés, ses cheveux qui tombaient par poignées...

Il jeta un regard noir à son supérieur :

- " Il devrait être à l'infirmerie.
- " Je sais. Il va y retourner."

Philippe inspecta la perfusion portable reliée à l'avant bras du jeune ingénieur :

- " C'est vous qui lui avez mis ?"

Question stupide. Qui d'autre ?

- " Oui. Rassurez-vous, je lui ai mis l'intégralité du traitement dans la poche.
- " Pourquoi avez-vous eu besoin de le bouger ?
- " En votre absence, mes quartiers étaient plus à même de le protéger.
- " Qu'est-ce-que vous voulez dire ? Que Gustave pourrait chercher à finir le travail ?
- " Je préfère ne pas prendre de risques.
- " Mais vous ne croyez pas que s'il réussit à déverrouiller sa porte et à passer Lenny, il aura autre chose à faire que de s'en prendre à Joseph ?!
- " Gustave ne répond plus à aucune logique.
- " Ce n'est pas le seul." Accusa le médecin.

Lazlo ignora l'attaque.

- " J'ai besoin que vous sédatiez Gus."

Philippe écarquilla les yeux, dubitatif :

- " Pourquoi ?
- " On ne va pas tarder à partir. On ne peut pas se permettre de laisser Gus avec la pleine possession de ses moyens pendant tout le trajet étant donné le danger qu'il représente."

Les sourcils froncés, il ne savait pas quelle question poser à nouveau, tant elles se bousculaient dans son esprit. Il finit par en choisir une :

- " Que se passe-t-il avec Gustave, Docteur Lalouche ?
- " Je n'en sais rien. Sédatez-le, qu'on puisse partir."

Sur ces mots, le Docteur Lalouche tourna les talons, mais le médecin n'en avait pas terminé avec lui :



- " On ne va pas pouvoir le garder inconscient pendant des semaines !
- " Il va bien falloir.
- " Mais c'est dangereux ! Il risque d'y passer !
- " C'est un risque raisonnable."

Ulcéré, Philippe s'exclama :

- " Mais vous êtes devenu dingue !"

Lazlo s'arrêta, aussitôt rejoint par Philippe :



- " Gustave n'avait rien à faire sur cette mission ! Vous avez forcé son intégration et regardez le résultat ! Vous ne cherchez pas à nous protéger, vous cherchez à le faire taire ! Pour couvrir vos décisions prises en dépit du bon sens !"

Le chef d'équipe se tourna doucement, le visage grave :



- " Vous voulez qu'on parle de décisions inadaptées ? J'attendais d'en parler au Docteur Muto en premier mais puisque vous faites du zèle... Qu'est-ce-qui vous a pris de retourner sur la colline ? "

La nuque de Philippe de raidit. Son sort était donc scellé. Le Docteur Lalouche savait. Il ne pouvait plus compter que sur Lin désormais, d'autant plus que Gustave allait être réduit au silence jusqu'à son retour sur Terre... Si ce n'était davantage...

- " Je ne vous entends plus... Vous avez désobéi délibérément à un ordre direct. Vous pensiez que je ne m'en serais pas aperçu ? J'écoute toutes les retransmissions, même si c'est en différé. Vous avez déconnecté votre radio et celle du Docteur Muto. Pour quelle raison ?
- " J'ai voulu vérifier si nous n'avions pas loupé un élément nous permettant de comprendre ce qu'il s'était passé, là-haut. J'ai pris les filles avec moi, car elles refusaient de me laisser partir seul. Elles n'ont rien à voir avec ça. Elles ont voulu faire preuve de solidarité. Je suis le seul responsable de cette décision.
- " Vous avez donc choisi sciemment de mettre deux de vos équipières en danger ?
- " ... J'ai agi de manière impulsive. J'avais besoin de comprendre ce qui était arrivé à Joseph.
- " Pourquoi ne pas m'en avoir parlé ? On aurait pu y retourner ensemble ?"

" Ou ne pas y retourner du tout." Corrigea Philippe mentalement.

- " Je vous l'ai dit, je n'ai pas réfléchi.
- " Je suis franchement très étonné d'entendre ça de votre bouche. Je veux bien entendre cependant que l'on a tous été perturbés par ce qu'il s'est passé... Néanmoins, couper la communication avec la base est inacceptable, et à fortiori dans les conditions actuelles. Le peu de raisons qui pourraient expliquer ce geste inconsidéré n'est pas en votre faveur.
- " Je ne voulais pas que mes propos soient mal interprétés.
- " Ah mais vous avez raison c'est tellement mieux de les dissimuler au cours d'une expédition enregistrée. Si je ne connaissais pas aussi bien le Docteur Muto j'aurais pu penser que vous agissiez de concert avec Gustave pour saboter cette mission ! Sédatez-le pendant que je réfléchis à votre sanction.
- " Non."

Lazlo avait tourné les talons et fut obligé de se retourner à nouveau :





- " Je voudrais interroger Gustave.
- " Vous n'êtes pas en mesure d'exiger quoi que ce soit, Docteur Lambert.
- " Et vos actions sont plus qu'équivoques, Docteur Lalouche.
- " Philippe... Vous êtes en train d'abuser de ma patience. Je vous dis de mettre Gustave sous sédation , vous le faites, point. Dans le cas contraire, je vous enferme avec lui dans une soute pendant toute la durée du voyage. Et je pense que vous regretterez de ne pas avoir fait ce que je vous ai demandé.
- " C'est une menace ?"

Lazlo leva les yeux au ciel :

- " OUI ! J'essaie de vous faire réaliser qu'il représente un danger pour tout le monde ! Si vous êtes trop borné pour le comprendre, je vous mettrai face à vos responsabilités en continuant à protéger le reste de l'équipage ! Donc pour la dernière fois, VOUS OBÉISSEZ AUX ORDRES !
- " PAS QUAND C'EST INJUSTIFIE ET ILLEGAL !
- " IL A TENTÉ DE TUER JOSEPH ! CE N'EST PAS SUFFISANT POUR VOUS ?!
- " ON N'EN SAIT RIEN ENCORE ! JOS...
- " JE SAIS ! JE SAIS, MOI ! IL A TENTÉ DE LE TUER ! D'ACCORD ?! DONC ÉTANT DONNÉ LE FAIT QUE NOUS N'AVONS PAS DE CELLULE DANS LA FUSÉE, VOUS ME L'ABRUTISSEZ, POINT-BARRE !!!"

Après un bref silence, Philippe demanda :

- " Il vous l'a dit ? Pendant notre sortie ? Vous êtes allé le voir ?"

Lazlo, fatigué de ses questions, hocha la tête. Il sembla las, tout à coup.

- " Pourquoi ?" Demanda le médecin complètement perdu. "Pourquoi s'en est-il pris à lui ?"

La fatigue qu'il avait perçu chez son patron quelques instants plus tôt laissa place à un air résolu :

- " Délire paranoïaque."



- " Appelez-moi quand c'est fait que l'on puisse transférer Joseph à nouveau."







***




La nouvelle de la sédation de Gustave ne mit pas longtemps avant d'arriver aux oreilles de Lin, qui, déconcertée se précipita dans les appartements de Lazlo, apparemment en communication avec quelqu'un.





" ... C'est urgent, merci."

- " Lazlo... Dit-elle en arrivant à sa hauteur.



- " Tu aurais pu frapper"... la coupa-t-il.

La remarque lui fit reculer la nuque.


- " On en est encore là, vraiment ? Il faut que je passe par ta secrétaire aussi si je veux te parler ?"

Lazlo la dévisagea d'un air agacé avant de soupirer et de demander :

- " Que veux-tu ?
- " Qu'est-ce-que c'est que cette histoire avec Gus ?"

Il leva les yeux au ciel.

- " Rien qui ne te regarde, ni toi, ni qui que ce soit d'autre sur cette base. Je commence à en avoir marre qu'on discute mes ordres.
- " Ce n'est pas une dictature, Lazlo. Nous sommes des partenaires. Pas des sous-fifres, ni des soldats qui obéissent sans broncher. On a le droit de savoir ce qu'il se passe avec Gustave. "

Lazlo se retourna vers son bureau, ferma les yeux, posa ses coudes sur la table et joignit ses doigts écartés avant d'appliquer son front sur ceux-ci. En l’occurrence, si. Ils étaient des sous-fifres. Mais il avait mis tellement d'énergie à le leur faire oublier, si soucieux de se rendre accessible pour Lin, qu'il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même s'ils ne se comportaient pas comme tels. Et surtout, il voulait à tout prix éviter de se mettre Lin à dos. Alors il prit sur lui autant qu'il le put et déclara :

- " Gustave a agressé Joseph. Nous n'avons aucun moyen de le mettre en détention dans la fusée, et pourtant on doit se protéger de lui.
- " Mais avoue que c'est extrême comme disposition !
- " Et une tentative de meurtre ce n'est pas extrême ? Il est instable. Je ne peux pas prendre le risque de le transporter vigilant.
- " Mais pourquoi a-t-il agressé Joseph ? Pourquoi a-t-il tenté de tous nous tuer ?! Pourquoi il a eu l'autorisation de partir avec nous ?!
- " JE-NE-SAIS-PAS !"

Il se leva brusquement de sa chaise et répéta en criant sur la jeune femme :

- " JE-NE-SAIS-PAS ! JE N'AI PAS TOUTES LES REPONSES LIN !"

Cette phrase fit brutalement écho en Lin :



"Je n'ai pas toutes les réponses, Lin !"



Daniel n'avait pas toutes les réponses. Lazlo non plus.

- " Alors qui ? Qui les a ? Qui a toutes les réponses, Lazlo ?!"

La question le figea. Il savait. C'était une certitude.

- " Qui Lazlo ? Qui a tenu absolument à ce que Gustave fasse partie de cette mission ?"

Il la regarda d'un air désolé.



Elle secoua la tête, niant l'évidence. Il n'allait rien lui dire.
Les larmes aux yeux, elle recula, méfiante et à la limite du dégoût :

- " Que caches-tu, Lazlo ?"

L’intéressé répondit, la voix cassée :

- " J'imagine que ça devait arriver un jour, hein...
- " De quoi tu parles ?
- " Je parle des questions dérangeantes."

La jeune femme fronça les sourcils, le cœur à cent à l'heure :

- " Que caches-tu... Lazlo ?
- " Plein de choses... Dont certaines abominables. Je n'ai pas eu d'autre choix que de te mentir. Et je devrai le faire encore."

Lin plaqua une main sur sa bouche.
Une larme roula sur la joue de Lazlo alors qu'il détournait la tête, honteux. Il faisait référence à la fois où, par acquit de conscience, elle lui avait demandé s'il savait quelque chose à propos de l'Épidémie du Berceau. Il lui avait répondu du tac au tac le discours officiel et elle avait choisi de s'en contenter.
Il y avait des centaines de questions à poser. Et pourtant rien ne sortait. Elle sentait qu'elle se liquéfiait de l'intérieur. Le poids de la culpabilité venait d'exploser en elle, la remplissant de toute la douleur qu'elle avait perçue, mais refoulée, de son ancien compagnon lorsqu'elle avait décidé de ne pas le suivre sur le chemin qu'il avait choisi. Elle l'avait laissé seul. Elle l'avait abandonné à son sort.
Étourdie, elle tourna sur elle-même, les mains sur le front.

- " J'ai cherché à te protéger... J'ai essayé de toutes mes forces... de te tenir écartée de tout ça..."

Un éclat de rire amer sortit de la gorge de Lin.

- " Ce n'est pas moi qu'il fallait protéger... C'était les enfants ! Tous ces enfants qui sont morts par votre faute !
- " ... Nous n'avons pas démarré ça. Le container a été volé et endommagé. Nous avons tout fait, tout fait, tu entends, pour réparer ça !
- " Vous avez payé des pots de vins !
- " OUI ! Oui on l'a fait ! Parce-que le mouvement qui se montait contre nous allait démolir tout ce que nous faisions pour soigner les enfants !
- " Alors pourquoi ne pas l'avoir dit ! Pourquoi ne pas avoir dit au monde entier que vous pouviez les soigner ?! Au lieu de donner de l'argent à ceux qui n'en avaient pas besoin ! "

Lazlo se tut à nouveau. La jeune femme secoua la tête. Il y avait pire.

- " Plus de secret Lazlo...
- " Tu crois que ça me plaît ? Tu crois que je ne voudrais pas tout partager avec toi ? Tout foutre en l'air ?
- " Qu'est-ce-qui t'en empêche ?"

Nouveau silence.

- " Qu'est-ce-qui t'en empêche ?!"

Elle s'approcha de lui, l'attrapa violemment et le secoua en hurlant :

- " QU'EST-CE-QUI T'EN EMPÊCHE ?!"

La voix brisée, il répondit :

- " Je ne peux pas te le dire..."

Effarée, elle ouvrit de grands yeux plein d'effroi en reculant :

- " Qu'est-ce-qui peut bien être pire que d'être responsable de la mort de dizaines d'enfants ?"

Pas de réponse. Elle crut devenir folle.

- " PARLE MOI LAZLO !
- " Travailler pour l'armée."

Elle le vit déglutir.

- " Pourquoi crois-tu que nous sommes intouchables...?
- " Quel rapport entre l'Epidémie du Berceau et l'armée ?
- " Tout."

Lin digéra la nouvelle.

- " Qu'est-ce-qui t'a empêché de tout dévoiler à la presse ? À part sauver tes fesses ?
- " Ce dont je t'ai parlé tout à l'heure. On travaillait sur un traitement. Puis ça a dérivé sur de la recherche pour aider ceux qui avaient survécu. De la recherche classée."

La voix tremblante, elle demanda :

- " Est-ce-que je participe, même indirectement, à ça ?
- " Non. J'ai tout fait pour ne pas t'y mêler.
- " C'est-à-dire ?
- " Au départ, j'étais seul responsable de la phyto. Je demandais à mes assistants de s'occuper des plantes terrestres pendant que je m'occupais des exos. Et puis tu es arrivée... Avec tout ce talent... Et tes questions toujours plus pertinentes qui me faisaient aller toujours plus loin. Tu es devenue ma muse, Lin. Mais je savais que tu te lasserais de ce que nous nous contentions de faire à notre ancien labo. Et je ne pouvais pas te mêler à ce que nous faisions dans le cadre des recherches classées. Alors j'ai créé une entreprise qui utiliserait tes compétences et te permettrait de les sublimer...
- " Oaz'Pharma."

Lazlo hocha la tête.

- " Je savais que je concurrençais Willow Labs en faisant ça... Mais c'était le seul moyen de te garder... Te garder innocente. Oaz'Pharma a été créée pour toi. Pour que tu répares dans la lumière ce que j'ai détruit dans l'ombre."

Les paupières de Lin se fermèrent, faisant ruisseler ses larmes. Elle se mit à pleurer, debout, immobile, sidérée.
Il s'approcha doucement, elle ne bougea pas. Il posa ses mains sur ses joues et appuya son front contre le sien :

- " Je suis tellement désolé... J'aurais voulu te garder dans un monde simple où nous travaillerions ensemble à rendre le monde meilleur. Pardon... Pardon de ne pas avoir été à la hauteur. Pardon de ne pas t'avoir faite fuir, quand il était encore temps... Pardon de ne pas avoir eu le courage de me séparer de toi, même quand j'ai su que tu ne m'aimais pas. J'ai été égoïste. J'ai voulu te garder près de moi. J'ai voulu que tu me sauves. Que tu sauves mon âme souillée en œuvrant pour le bien. Alors que c'est moi qui aurait du te sauver. Pardon de ne pas avoir su t'aimer."



***







*Communication établie*




" Je suis très occupé alors j'espère que c'est important."



" Gustave a déconné.
" Comment ça ?
" Il a fait une sortie non autorisée. Joseph est tombé sur lui, au mauvais moment.
" ... Tu as intérêt à avoir une bonne raison pour ne pas avoir su gérer ça.
" Tu ne la connais pas ? Tu es tellement occupé à me mépriser que tu ne partages pas des informations capitales. Qu'as-tu demandé à Gustave ?
" Rien qui ne te concerne."

La colère de Lazlo était telle qu'il ressentit un goût de bile dans sa bouche. Acre. Amer. Révulsant.

" Ton ego démesuré va causer notre perte.
" Ah Lazlo... Toujours des grandes phrases et...
" On s'est chopé un virus, Victor. Un virus informatique.
" Où ? Quand ?! Comment ?!
" Je pense qu'il était là depuis notre départ et qu'il s'est activé au moment où on était le moins vigilant. C'est ce moment là que Gus a choisi pour sortir également.
" Et comment il a deviné, le virus ? Questionna son interlocuteur, sarcastique.
" C'était le Nouvel An, Victor. S'il fallait lancer une attaque, c'était à ce moment là.
" ... D'accord... Étendue des dégâts ?
" Le pire est derrière nous. On fait le minimum pour partir au plus vite.
" Pourquoi ?
" Joseph va mal. On ne sait pas s'il tiendra le temps du retour."

Victor jura.

" Il y a un autre problème, poursuivit Lazlo.
" Évidemment...
" L'équipage tient Gustave pour responsable de l'attaque virale, en plus de l'agression de Joseph.
" ... Mais... Ce n'est pas un problème, ça. Tant mieux, même. On a un coupable idéal.
" Sauf qu'ils remettent en question l'intégration de Gustave au sein de la mission. TA décision.
" Teu teu teu... C'est la décision du conseil, je te rappelle.
" Ne joue pas sur les mots.
" Au contraire. Et tu devrais apprendre à le faire, au lieu de jouer les Caliméros à tout bout de champ. L'équipage peut penser ce qu'il veut, nous avons des experts qui ont déclaré que Gustave était apte. Ils n'ont qu'à les attaquer si ça leur chante et s'ils ont du pognon à perdre.
" Expertise inventée de toute pièce.
" C'est improuvable.
" Philippe risque de poser des problèmes.
" Philippe Lambert ? Tu parles ! Avec ce qu'on a sur lui il est pas près de broncher tu peux me croire...
" Il est quand même très remonté.
" Bah dis lui de se calmer. Rappelle-lui que s'énerver ne lui rapporte jamais rien de bon et que sans nous il moisirait en prison. Bon... Et Joseph... Il peut être gênant ou Gus a réussi à le transformer en légume ?"

Lazlo déglutit.

" On ne saura pas avant qu'il se réveille.
" Je crains qu'on ne doive choisir pour lui."

Il ferma les yeux. Ce n'était pas parce-qu'il s'y était préparé que cela rendait l'ordre moins dégueulasse. Il déglutit encore.

" Lazlo. Ce serait bien que tu sois l'homme de la situation, pour une fois. Que ce ne soit pas moi qui me tape toujours le sale boulot.
" Je n'assassinerai pas Joseph, Victor.
" Tu préfères que je le fasse ? Vraiment ?"



Devant le silence de son frère, Victor enchaîna :

" C'est bien ce que je pensais. Vois les choses du bon côté. Avec toi, ce sera doux, mielleux, moelleux, dégoulinant tout ce que tu veux. Alors que moi je ne pourrai pas m'empêcher de le torturer pour découvrir ce qu'il sait, et même s'il ne sait rien, je le tuerai quand même au cas où. Donc soit reconnaissant que je te laisse l'opportunité de le faire partir en douceur. Sinon, tu as découvert d'où venait le virus ?
" Je me disais que tu saurais peut-être... Quelle est la dernière personne que tu as provoquée ?
" Ne sois pas mesquin... Je te signale d'ailleurs que le dernier à avoir fait le malin, c'est toi avec Willow Labs."

Une décharge électrique lui traversa la colonne. Il n'était quand même pas à l'origine de tout ça ?

" Tu l'as isolé ? Qu'on puisse l'étudier ? ... Lazlo ?
" Hein ?
" Le virus !
" Oui.
" Très bien. Je m'en occuperai à ton retour.
" "On" s'en occupera. Des fois que tu veuilles effacer tes traces...
" Ne te fais pas plus bête que tu ne l'es. Tu sais très bien que je ne peux pas te tuer.
" J'avais peur que tu ais oublié.
" Aucun risque. Mais ne te crois pas protégé. Je cherche toujours un moyen d'annuler le contrat chez le notaire.
" Bon courage.
" Tout vient à point à qui sait attendre Lazlo. Et crois-moi, le jour viendra où je te ferai payer ta trahison."

Victor raccrocha sur ces mots.

Lazlo s'autorisa à respirer, même si l'air fit trembler sa cage thoracique en y pénétrant.



Combien de temps lui restait-il ? Combien de temps lui restait-il à vivre son existence misérable, aux côtés de la femme de sa vie dont il venait de briser le cœur, et d'un frère qui cherchait à se débarrasser de lui depuis leur plus tendre enfance ? Combien de temps avant que tout ne leur pète à la tronche ?































À suivre...








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