Mission to Sixam 6






- " Vous avez fini ?
- " Pas tout à fait. Vous pouvez consulter le premier jet.
- " Ça s'annonce comment ?
- " Pas bien.
- " Et Gus ?"

Philippe marqua un temps avant de répondre.

- " Gustave devrait s'en tirer avec un bon mal de crâne."

Lazlo arrêta de faire défiler l'écran et fixa le médecin qui semblait au comble de l'agacement. Il le vit frapper violemment la touche retour de son clavier à plusieurs reprises. Non. Ce n'était plus de l'agacement. C'était de la colère. De l'ulcération, même.
Il l'aurait bien apaisé en lui disant qu'ils allaient faire la lumière sur tout ça, mais l'implication de Gus compliquait tout. Si seulement son frère pouvait répondre à ses messages...
Tendu, il ne put réprimer un soupir. L'ambiance était très lourde depuis leur retour, et ce qu'il était en train de lire n'allait rien arranger.





***


De son côté, Eric suait sang et eau pour réparer les dommages causés par le virus.



Un virus qui avait clairement eu l'intention de tous les tuer. Pourquoi ? Qui ? Comment ? Eric luttait pour ne pas penser. Il fallait absolument se concentrer sur sa tâche pour rendre la base à nouveau sûre.



Lin, Coumba et Lenny quant à eux comptaient les secondes. L'alarme sonnait toujours, mais pour rien. Un des effets du virus.
Coumba sanglotait doucement, mortifiée, se rendant coupable de ce qui était arrivé à Joseph.
De temps à autre, l'alarme s'arrêtait. Pour reprendre de plus belle.
Ainsi, elle s'arrêta... et reprit.



Coumba avait poussé un petit cri. À bout de nerfs, elle éclata en pleurs pour de bon.
Lenny la prit dans ses bras.



- " C'est rien... C'est rien... Eric va réparer ça tu vas voir."

La jeune femme pleurait à chaudes larmes contre le torse de son compagnon.

- " J'ai tellement peur... Pour nous, pour Joseph... Il est si jeune... J'aurais du y aller... Je ne me serais pas éloignée, moi... Mon Dieu... Je m'en veux tellement...
- " Coumba... Mon cœur Tu n'étais pas en état. Et c'est moi qui lui ai demandé...
- " Pour me préserver... Mon Dieu..."

Ses pleurs redoublèrent d'intensité et ses lamentations, devenues rauques, prirent ses deux amis à la gorge. Ils n'avaient plus de mots. Ils étaient paralysés.


Et Lin détestait ce sentiment, pour bien le connaître. Celui d'être seule au monde, comme au fond d'un puits aux parois lisses, observant impuissant un autre nous-même obturer sa lumière. À la fois victime et bourreau.

La culpabilité.

Elle se leva brusquement et se précipita au 1er sous sol.
Il lui fallait comprendre.



- " Lin... Tu vas bien ? S'inquiéta Lazlo en apercevant la jeune femme affolée.
- " Comment il va ?"

Son expression s'attrista.
Lin porta une main à sa bouche avant même d'avoir la réponse.

- " Il est très affaibli. On ne sait pas s'il tiendra jusqu'au retour. On... On ne sait pas s'il tiendra la nuit."

Le deuxième main rejoignit la première.

Comprendre. Réfléchir, pour ne pas céder à la panique.

- " C'est la plante ?"

Lazlo hésita.

- " Je ne sais pas...
- " Sa combinaison a été attaquée ? Il a des brûlures ? "

Il était embêté, ce que ne comprit pas Lin qui s'agaça :

- " Lazlo !
- " Je n'ai pas tout lu, encore. Pour l'instant, on sait que ses organes montrent des signes de défaillances. Une de ses surrénales a déjà lâché...
- " Mon Dieu...
- " On va être à court de médicaments et de solution. Il faut qu'on rentre.
- " Quand ?
- " Le plus vite possible. Mais on doit sécuriser la base d'abord. Je vais épauler Eric. Commencez à préparer vos affaires."



- " Il faut charger la cryo tout de suite pour le matériel vivant. Tu t'occupes de l'inventaire ? Coumba pourra t'aider ?
- " Oui. Elle est bouleversée mais elle fera ce qu'il faut."



- " Je viendrai vous aider dès que j'aurai fini avec Eric. Lin..."



- " Il va falloir refaire une sortie..."

La jeune femme n'en croyait pas ses oreilles :

- " Mais...
- " Si vous respectez le protocole, il n'y a pas de danger.
- " Comment peux-tu dire ça ? On ne sait rien de l'accident de Gus et Joseph !
- " Ils se sont perdus. Ce sont deux membres qui n'avaient rien à faire à l'extérieur. Avec Coumba vous êtes qualifiées et entraînées.
- " Mais on ne sait rien sur ce qui est arrivé à Gus ! Qu'est-ce-qu'il faisait dehors ?!
- " Laisse-moi gérer ça. Il ne devrait pas tarder à se réveiller. On fera la lumière sur tout ça.
- " Je n'aime pas ça, Lazlo. Je sens que tu nous caches des choses.
- " Lin... "

Il lui attrapa doucement le visage entre ses mains, qu'il regretta gantées :

- " J'ai l'habitude de partager les informations quand j'ai les tenants et les aboutissants... Là je t'ai dévoilé des données isolées parce-que tu m'as demandé des réponses. Des réponses qui méritent d'être complétées. Et au final, ça t'angoisse encore plus. Alors s'il te plaît, fais moi confiance. Je m'occupe de Gus. Je m'occupe de Joseph. Je m'occupe de vous."

Il balaya sa frange en un geste doux :

- " Et ne le dis pas aux autres mais... Je m'occupe de toi, surtout. Tu es la personne la plus importante pour moi. Je t'aime depuis le premier jour. Je ne laisserai rien de mal t'arriver. Est-ce-que tu me crois ?"

Elle hocha la tête silencieusement.

- " Alors crois-moi quand je te dis que vous pouvez sortir en toute sécurité. Je te fais confiance, tu connais les règles. Tout se passera bien.
- " Et si on tombe sur une autre perturbation électro-magnétique ?
- " Vous ne la traversez pas. Vous passez au spot suivant. Fais-moi confiance..."

Lin soupira, et elle acquiesçait silencieusement quand il l'attira à lui pour la serrer dans ses bras.



Il mit son nez dans son cou et remonta le long de sa mâchoire, doucement, savourant un contact qu'il avait tant rêvé, fantasmé, mis si longtemps à obtenir. Il n'aurait pas du faire ça. Ses sens commencèrent à s'emballer. Le cœur battant plus fort, il amena ses lèvres jusqu'à sa tempe et y déposa un baiser. Doux, sensuel. Il serra les paupières, résistant à des pensées inappropriées, pour le moment tout du moins, et lui dit dans le creux de l'oreille :

- " Je n'ai pas attendu tout ce temps pour que tout s'arrête maintenant."

Lazlo Lalouche ne doutait pas. Il avait appris longtemps auparavant que s'il ne pouvait empêcher les incidents, ce qui était déterminant, c'était la façon dont on réagissait face aux événements. Avec le temps il était devenu plutôt bon à cet exercice... quand son frère ne lui mettait pas des bâtons dans les roues.
Il soupira et serra plus fort la femme qu'il aimait contre lui.
Il ne savait pas encore ce que Victor avait manigancé, mais il était prêt. Ils partageaient le même patronyme, et même si c'était la seule chose qu'ils avaient en commun, c'était celle qu'il lui fallait. Parce-qu'il était livré avec un quotient intellectuel d'exception.




***







- " Je vous ai réunis ici pour vous exposer le déroulement des prochaines 48h. Pour commencer, quelques nouvelles de Joseph et Gus. Gus ne va pas trop mal. Il est en train de se réveiller et sera consigné dans la chambre des hommes. Etant donné le manque de place, une réorganisation des dortoirs s'impose. Lin et Coumba vous prendrez mes quartiers, et tous les 4 nous prendrons le vôtre. Lenny et Philippe vous vous relaierez à la garde de Gus. Interdiction de communiquer avec lui sans que je ne sois là. J'insiste là-dessus. C'est valable pour tout le monde."

Les membres de l'équipe acquiescèrent.

- " À la fin de cette réunion, Lin, Coumba et Philippe, vous irez collecter le maximum de matériaux. À votre retour, on emballe tout et on transfère dans le vaisseau. Eric, tu continues de réparer les dommages causés par le virus. As-tu fait ce que je t'ai demandé ?

- " Oui.
- " Bien. Tu mets les deux sous scellés et tu me les donnes. Lenny...
- " Je garde Gus.
- " Voilà. Et il reste Joseph... Joseph, c'est une autre histoire. Le poison a fait beaucoup de dégâts."

L'effroi se lut sur les visages.

- " Oui... Philippe a tout de même réussi à le stabiliser.
- " Il tiendra le temps du voyage ? demanda Eric.
- " ...Je ne sais pas."







- " Il a repris conscience ? s'enquit Coumba.
- " Non. On attend de voir si ses analyses s'améliorent avant de tenter de le réveiller.
- " Mon dieu...
- " Coumba... Est-ce-que tu vas pouvoir sortir ?"

La jeune femme baissa la tête. Au bout de quelques secondes, elle fit un signe de tête affirmatif.



- " Je sais que vous êtes inquiets à l'idée de sortir... " Reprit Lazlo. "Mais ce qui est arrivé à Gus et Joseph est un accident rel...
- " Gus... Gus y est pour quelque chose ?" Le coupa-t-elle.
- " Je ne sais pas encore, Coumba. Mais je crois qu'on devra attendre que Joseph se réveille pour avoir toutes les informations.
- " S'il se réveille... Chuchota la jeune femme les larmes aux yeux.
- " Ce n'est pas le moment de penser à ça. Il me faut de la matière première pour que la base tienne jusqu'à notre prochain voyage, et suffisamment pour qu'on n'ait pas besoin de revenir dans un mois pour la botanique. On a besoin de ces ressources. Pour la recherche. Pour notre avenir. Vous connaissez les enjeux de ces missions. Alors je vais vous demander de prendre sur vous et de donner le meilleur jusqu'à notre départ. Vous aurez tout le temps de vous reposer ensuite. Allez. On se revoit tout à l'heure."



***


La base était inhabituellement silencieuse. L'ambiance déjà pesante se chargeait de plus en plus en électricité.
Philippe redoutait ça. Il redoutait cette montée en puissance du stress qui faisait ressortir le pire chez les gens. Chez lui. Il sentait que ce contre quoi il luttait depuis des années refaisait surface. Cette colère tapie qui resurgissait quand il se sentait pris au piège, impuissant, quand il n'avait pas la main sur son destin ou sur celui des êtres qui lui étaient chers. Véritable malédiction pour l'homme bienveillant et médecin qu'il était. Philippe s'attachait vite aux gens, leur trouvant toujours des qualités plus grandes que leurs défauts. Ainsi avait-il souvent été secoué par des accès de rage qui lui faisaient perdre toute notion de la réalité, l'espace de quelques instants. Mais même un laps de temps si bref pouvait suffire à commettre l'irréparable.
Il secoua la tête. Il devait se changer les idées, vite. Il devait se concentrer sur sa mission.
Mais sa réflexion le renvoya directement au point qu'il venait de quitter.
Dans le sas, en train d'enfiler sa combinaison, ses mains tremblaient. Il sentait qu'il était en train de perdre le contrôle.
Quand il sentait que sa stabilité émotionnelle était mise à l'épreuve, ce qui devenait heureusement de plus en plus rare avec les années qui passaient, il laissait exploser sa rage contre les objets. Philippe détruisait tout ce qui était à portée de main. Pour ne plus toucher au vivant.
C'est ce qu'il venait de se passer.



À la sortie de la réunion avec le reste de l'équipe, valide ou autorisée à circuler, le profond malaise qu'il avait ressenti depuis le début des événements avait fini de lui enserrer la glotte.

Les derniers instants avec Gus, avant la soirée du nouvel an, le hantaient depuis que l'alarme avait retenti.







- " Gus... Tu ne dois pas ôter ton bracelet. Même pour faire du sport. Il te gêne ? Tu veux que le Docteur Lalouche regarde s'il peut te le rendre plus confortable ?"

Gustave avait répondu par la négative d'un mouvement de tête.

- " Je vais le remettre". Avait-il dit de sa voix rendue rauque par des cordes vocales majoritairement au repos. "Il est dans ma chambre."

Dans la cuisine, Philippe avait eu un petit rire nerveux.



Ses poings s'étaient serrés, et malgré tous les efforts qu'il avait fait pour se sortir de cet état de stress, il n'avait pu empêcher l'inévitable.



L'assiette posée à côté fut la première victime. Puis il avait attrapé la planche à découper qu'il avait elle aussi faite voler à travers la pièce. Il s'était retenu de justesse d'attraper les couteaux quand il avait vu ses coéquipiers se précipiter dans la direction des hurlements qu'ils avaient perçus comme provenant de la cuisine. À la place, il avait attrapé la poignée d'un tiroir qu'il avait violemment délogé de son caisson, arrachant tout le mécanisme par la même occasion. La cafetière et la machine à thé n'avaient pas survécu, pas plus que le tableau à épices. Puis il avait balancé son poing contre la porte du réfrigérateur dont le revêtement avait partiellement absorbé le choc, qui avait malgré tout été trop important et surtout répété à quatre reprises, pour épargner l'écran tactile qui avait projeté des étincelles lorsqu'il s'était brisé. Après un ultime cri de rage, il s'était laissé tomber le long d'un meuble de cuisine, à bout de souffle.
Les genoux repliés, les coudes posés dessus et ses mains plaquées sur son front, il avait accueilli la période réfractaire qui survenait après ses crises. Ses équipiers, eux, étaient mortifiés, immobiles, muets.
Puis son œil avait perçu un mouvement. Il s'agissait de Coumba, qui s'était mise à approcher doucement. Arrivée à sa hauteur, elle s'était agenouillée, lentement. Il n'avait pas osé la regarder dans les yeux. Embarrassé, il avait juste murmuré un tremblant "Je suis désolé", qui avait arraché des larmes à la jeune femme. Toute aussi ébranlée que lui, elle avait ouvert grand ses bras et l'avait amené à elle. Il s'était laissé faire et sa tête s'était retrouvée contre la poitrine de Coumba, secouée par de petits sanglots. Elle lui avait caressé les cheveux, posé un baiser sur le crâne puis resserré son étreinte en lui murmurant et répétant : "Ce n'est pas grave." , tout en le berçant calmement.
Après quelques minutes, elle s'était tournée vers les autres membres de l'équipage et avait tendu une main vers Eric. Ce dernier, de premier abord, avait eu un mouvement de recul et avait jeté des regards inquiets à ses coéquipiers, comme s'il avait été découvert à la suite d'un quelconque méfait. Puis l'amour dans le regard de sa jeune collègue était parvenu jusqu'à lui. Il l'avait apaisé, ainsi que le murmure "Il a besoin de toi." qui avait fini de l'encourager à dépasser sa pudeur et la peur du regard des autres, du jugement. Il s'était également senti soutenu par les expressions bienveillantes de ses collègues.
La main de Coumba toujours tendue, à mesure qu'il avait avancé, lui montrait qu'elle cherchait la sienne. Il la lui avait donnée, et elle l'avait tiré en douceur vers eux tandis qu'elle lui cédait sa place. La jeune femme avait sourit tandis que Philippe refermait ses bras autour d'Eric, ému, et, au lieu de les laisser ensemble, s'étaient placée de manière à les enlacer tous les deux. Puis Lenny s'était approché, agenouillé, puis joint à eux. Encouragés par Coumba, suivirent ensuite Lin et Lazlo qui avaient entrelacés leurs doigts quelques minutes plus tôt.

Le souvenir de cette étreinte collective le réconforta quelques instants. Suffisamment pour qu'une série de questions arrive à son esprit : pourquoi Gustave avait-il ôté son bracelet si tôt, au risque d'attirer les soupçons ? Pourquoi n'était-il pas dans le même état que Joseph, voir pire ? Avait-il maintenu le jeune ingénieur devant la plante tandis que celle-ci répandait son poison et s'était placé ensuite devant elle à l'arrivée de Lenny pour brouiller les pistes ? Que comptait-il faire, dehors tout seul, une fois tous ses collègues morts... ?
Ils avaient renvoyé sur Sixam un fou furieux...
Le médecin secoua la tête. Les informations recueillies auprès de Lenny et les données collectées sur les deux ingénieurs ne correspondaient pas. De plus, Gustave n'aurait jamais du faire partie de cette mission, il avait été imposé. Le point commun entre ces deux énigmes ? Le Docteur Lazlo Lalouche.




***








Dans le sas avec les filles, Philippe essayait de se calmer. De garder son sang-froid, pour avoir les idées claires.
Alors que l'ascenseur arrivait, il intercepta un échange de regard entre Lenny et Coumba dans lequel il trouva un certain apaisement.

- " Tu es une sorcière..." lâcha-t-il doucement.

La jeune femme eut un sourire teinté de tristesse.

- " On verra ça à notre retour sur Terre..."

Les portes s'ouvrirent et ils pénétrèrent dans l'ascenseur dont les parois vitrées leur permirent de voir que Lenny suivait sa compagne du regard.

- " Je ne veux pas trop m'avancer..." répondit Philippe  "mais je crois que tu n'as pas trop à t'en faire.
- " De toute façon j'ai des potions."

Ses deux collègues eurent un petit rire. Tous trois souriaient, et cela faisait du bien.

- " C'était une évidence, Eric et toi." Poursuivit-elle. "Je suis contente que vous vous soyez trouvés."

Le médecin sourit pudiquement avant de souffler tout bas :

- " J'espère de tout mon cœur que ce que nous avons vécu survivra à cette mission."

Lin haussa les sourcils dans leur dos, pensive : elle ressentait la même chose.

- " Au pire tu m'appelles..." Suggéra Coumba. "quand on a pour un on a pour deux..."

Les portes s'ouvrirent à nouveau, empêchant Philippe de se réjouir.
En effet, avec ce qu'il s'apprêtait à faire, les potions de Coumba risquaient de ne pas suffire.





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